Mariage GdF-Suez : « extrêmement attractif pour les actionnaires », par Jacques Cossart (automne 2007) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°43 (automne 2007)

Jacques Cossart est secrétaire général du Conseil scientifique, membre du Conseil d’administration d’Attac France

Par un communiqué du 3 septembre 2007, les présidents de Gaz de France et de Suez annoncent la création d’un nouveau groupe « GDF-Suez ». Les conseils d’administration des deux compagnies ont déclaré le dimanche 2 septembre « la création d’un groupe leader des secteurs du gaz et de l’électricité, de dimension mondiale et à fort ancrage franco-belge ». Cette décision, qui obéit aux canons du capitalisme financiarisé, est le résultat de tractations qui durent depuis bientôt deux ans, au cours desquelles les « investisseurs » ont tenté de résoudre les contradictions habituelles entre propriétaires du capital. Gageons d’ailleurs que cette lutte n’est pas achevée et que, en particulier, la propriété de Suez Environnement n’est sans doute pas définitive.

Ainsi donc, 213 000 salariés ont appris qu’ils allaient désormais dépendre d’une même entité juridique. Bien entendu, ils n’ont pas été consultés. Ce sont les propriétaires de Suez et de GDF (fonds propres GDF, 16 milliards € et 32 milliards € pour Suez) qui ont décidé avec le soutien actif, semble-t-il, du président de la République. A cet égard, il n’est pas neutre de rappeler qu’en face de 48 milliards de fonds propres enregistrés dans les comptes de ces sociétés au 31 décembre 2006, la bourse, elle donne une « capitalisation » de près du double. C’est, évidemment sur la base de ce dernier chiffre que s’opèrent les ventes d’actions. Les anciennes arguties relatives au « patriotisme économique », outre leur totale inanité théorique, ne visent qu’à permettre l’appropriation par des propriétaires privés de ce qui a été bâti en une soixantaine d’années par les salariés et les citoyens, même s’il ne s’agit pas d’embellir cette période faite, aussi, de luttes acharnées.
Les déclarations tonitruantes ayant trait à la création du troisième géant européen, derrière le Russe Gazprom et le Français EDF n’abusent que ceux qui veulent bien l’être, en particulier les commentateurs habituels de la plupart des organes de presse. S’il s’agit d’une décision de première importance pour le devenir français et européen, comment donc expliquer que les citoyens n’aient strictement rien à dire ? On comprend d’ailleurs parfaitement cette « discrétion » démocratique. Comment, par exemple au regard même des critères que l’on prétend intangibles, convaincre les citoyens français que le groupe ainsi créé (71 milliards de chiffres d’affaires) est plus pertinent que ne l’aurait été le groupe EDF-GDF (80 milliards) ?

Informés, les citoyens français, et sans doute européens, n’auraient vu dans cette affaire que les palinodies habituelles ayant pour seul but d’augmenter les capitalisations boursières et les dividendes versés. D’ailleurs avec une distribution de profits de quelque 1,5 milliards en 2006, en augmentation de près de 50 % par rapport aux distributions de 2004, les actionnaires de Suez ont tout lieu de se montrer parfaitement satisfaits. Davantage que le 1,1 milliard qu’a versé Suez au titre de l’impôt sur les sociétés !

N’y aurait-il donc aucune logique industrielle à cette opération ? De nombreux « experts » nous affirment que si. Comme l’indiquait, benoîtement, le directeur général de Suez Environnement -l’héritières de la célèbre Lyonnaise des eaux- « les compteurs d’eau et de gaz sont au même endroit, et nos 116 000 kilomètres de réseaux de tuyau d’eau potable circulent dans le sol aux côtés de ceux de GDF. Les deux entreprises ont les mêmes risques à gérer, les mêmes besoins de connaissance du sous-sol et les mêmes problématiques d’envoi de facturation ». Certes, mais alors pourquoi ce qui vaudrait pour une compagnie privée, Suez, ne vaudrait-il plus pour une compagnie publique EDF ? Comment peut-on, avec une telle morgue, avancer pareil argument alors que pendant des mois et des mois on nous a répété tout le bien qu’il fallait penser de la séparation desdits réseaux pour - à tout prix au sens propre comme au figuré - faire éclater l’ensemble EDF-GDF ? Qui donc oserait prétendre, de bonne foi bien entendu, que ces « rationalisations », n’entraîneront pas de suppressions de postes ? Et les salariés ne seraient pas concernés ?
Mais, nous rétorque-t-on, mezzo voce il est vrai tant l’argument est risible, ce sera tout bénéfice pour le consommateur !

Enfin, argument décisif, il convient, nous dit-on, d’être capable de faire face à la compétition européenne et mondiale en construisant une Europe de l’énergie. Comment, dans la logique même de la régulation de l’économie de l’énergie par les seuls marchés qui vient de faire un pas supplémentaire au 1er juillet 2007 avec la dérégulation du marché électrique, ne pas relever les incohérences d’une telle prétention ? En effet les capacités de distribution, de stockage et de transport du nouveau groupe ne seront guère accrues au regard de ses concurrents.
Mais, beaucoup plus grave, cette décision s’inscrit dans un processus aggravé de compétition alors que notre monde, particulièrement en matière d’énergie, a un besoin urgent de coopération. L’Europe, Russie comprise, a tout à gagner d’une vaste coopération entre les différents pays du continent et du Maghreb, par exemple. Une telle fusion n’est en rien un début de solution à la dégradation environnementale galopante, notamment climatique, dont, pourtant, on nous dit que c’est là l’enjeu vital du 21ème siècle. L’énergie est, en effet, un bien public et doit donc être traitée comme telle.

D’ailleurs les actionnaires, eux, ne s’y trompent pas ! Le PDG de Suez, Gérard Mestrallet déclare que ce processus est « extrêmement attractif pour les actionnaires ». Ce n’est, en rien, ajoute-t-il en substance, une nationalisation du groupe Suez ! Dont acte. En revanche, on peut affirmer qu’il s’agit bien d’une privatisation de GDF.

Montreuil, le 6 septembre 2007