Faites taire La Rumeur ! par Florent Viallon (automne 2007) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°43 (automne 2007)

« Les rapports du Ministère de l’Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu’aucun des assassins n’ait été inquiété »

« Aux humiliés l’humilité et la honte, aux puissants le soin de bâtir des grilles de lecture. [...] La réalité est que vivre aujourd’hui dans nos quartiers c’est avoir plus de chance de vivre des situations d’abandon
économique, de fragilisation psychologique, de discrimination à l’embauche, de précarité du logement, d’humiliations policières régulières, d’instruction bâclée, d’expérience carcérale, d’absence d’horizon, [...] c’est se rapprocher de la prison ou de la mort un peu plus vite que les autres... »

C’est pour ces propos, extraits du texte Insécurité sous la plume d’un barbare (consultable sur
(http://lmsi.net/spip.php?article308), qu’Hamé, rappeur du groupe La Rumeur, est poursuivi depuis cinq ans par un certain N. Sarkozy, ex-ministre de l’Intérieur et actuel Président de la République. Pour mieux comprendre les enjeux de ce procès, un retour sur le passé s’impose.

Chronologie

2002

 début 2002 : campagne présidentielle dont le thème principal est l’insécurité.
 avril : Hamé écrit le pamphlet Insécurité sous la plume d’un barbare.
 21 avril : 1er tour des présidentielles : Chirac et Le Pen s’opposeront en mai.
 29 avril : Publication du texte de Hamé dans le fanzine accompagnant l’album de La Rumeur L’Ombre sur la mesure.
 Mai : N. Sarkozy devient ministre de l’Intérieur.
 Juillet : Le ministre de l’Intérieur dépose plainte contre La Rumeur pour diffamation. Il reproche à 3 passage du pamphlet de « porter atteinte à l’honneur et à la considération de la police nationale en ce qu’ils insinuent l’existence de conduites illégales de la part des forces de police ».

2004

 novembre : D. De Villepin devient ministre de l’Intérieur. Procès en 1ere instance
 17 décembre : relaxe : le tribunal estime que les critiques formulées contre la police étaient générales et qu’il n’y avait pas « de faits précis imputables » à une personne ou un groupe de personnes. Il estime également que « replacés dans leur contexte, ces propos ne constituent qu’une critique des comportements abusifs susceptibles d’être reprochés sur les cinquante dernières années aux forces de police ».

On songe immédiatement aux meurtres du 17 octobre 1961, aux victimes du métro Charonne, à Malik Oussékine et à tant d’autres pour lesquels la version officielle sur leur mort ne semble pas coïncider exactement avec la réalité...

2005

 avril : au nom du ministre, le Procureur de la République fait appel du jugement.
 novembre : les banlieues s’embrasent.

2006

 mai : jugement en appel et deuxième relaxe

2007

 mai : N. Sarkozy devient Président de la République.
 juillet : jugement de la Cour de Cassation qui casse les jugements précédents en estimant que le texte de Hamé est diffamatoire.

Ce jugement est donc renvoyé devant la Cour d’Appel avant l’ultime possibilité de contestation devant la Cour de Cassation.

Au delà de l’acharnement juridique, et bien au-dessus de médiatiques procès de rappeurs lucratifs (dont deux seulement seront condamnés à des peines d’amende), Hamé et La Rumeur entendent dénoncer « la police et tous ces cadavres qu’elle a dans ses placards » et ressentent être les « dépositaires, [les] héritiers involontaires de ce rapport avec la police, qui ensanglante l’imaginaire des quartiers ».

Et plutôt que de la jouer profil bas en arguant de la simple liberté d’expression, Hamé et ses complices préfèrent politiser le débat (voir ci-dessous le communiqué de La Rumeur). Parmi leurs témoins figuraient des sociologues, dont Fabien Jobard, chercheur au CNRS, un historien, Maurice Rajfus, historien spécialiste de la répression et... un gardien de la paix. Tous ont affirmé la réalité des violences policières et que le texte incriminé « reflétait le sentiment général ». C’est ce qu’ont estimé les différents jugements aboutissant à des relaxes.

Mais le yo-yo politique en a décidé autrement : selon les changements de locataire au ministère de l’Intérieur ou à l’Elysée, les jugements se suivent et ne se ressemblent pas... La faillite des politiques de nettoyage haute pression dans les quartiers n’a pas à être évoquée, ni être écornée l’image de notre sainte police, éprise de déontologie et d’humanisme éclairé. Il est donc urgent d’étouffer toute tentative de critique et de noyer sous des lénifiants discours sécuritaires tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à une prise de conscience politique des habitants de cités et des jeunes issus de l’immigration. La caillera doit rester ce qu’elle est et où elle est : il ne faut pas désespérer Neuilly !

Pour Hamé et ses semblables, le parloir plutôt que l’isoloir ! Mais leur français est approximatif : ils ont pris ces deux mots à la lettre et font entendre ce qu’ils ont à dire. Mais quand on proclame préférer un « excès de caricature à un excès de censure », on peut toujours inverser les termes, il suffit de se faire violence...

Florent Viallon,
Attac 45

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COMMUNIQUE

Le groupe de rap LA RUMEUR déplore que la vindicte se poursuive cinq ans après la plainte déposée par Nicolas Sarkozy, à l’époque ministre de l’intérieur. Compte tenu de son précieux attachement à la liberté d’expression (« Je préfère un excès de caricature à un excès de censure »1), l’actuel président de la République aurait pu demander l’arrêt des poursuites contre le texte de Hamé.

Le tribunal correctionnel de Paris avait pourtant considéré en première instance que Hamé se bornait à présenter « des bavures commises par les représentants de l’ordre (…), dont la réalité n’est, en elle-même, pas contestable, puisque souvent à l’origine de rapports et de commissions officielles, comme plus fréquents dans les quartiers et cités de banlieue » et qu’une telle opinion relevait de la liberté d’expression.
La Rumeur ne renie rien, ni l’insécurité dont ont été victimes des générations d’immigrés, ni les discriminations et bavures dont ils font encore l’objet.

La Rumeur entend faire du procès devant la cour d’appel de Versailles des états généraux d’une histoire trop souvent rejetée dans le silence. La justice reconnaîtra-t-elle les pages sombres de la police française ? Ou considèrera-t-elle diffamatoire d’évoquer les massacres d’octobre 1961 et Charonne, ou les violences mortelles commises depuis les années 80 ?

Hamé et Dominique Tricaud (Avocat à la cour)

1 Déclaration de Nicolas Sarkozy au sujet de l’affaire Charlie Hebdo

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APPEL

Nous artistes, intellectuels, et citoyens, nous déclarons solidaires du groupe de rap La Rumeur, poursuivi avec acharnement et malgré deux relaxes, depuis cinq ans par le ministère de l’intérieur pour avoir publié un texte mettant en cause les violences policières depuis plusieurs décennies en France. Nous le faisons au nom du principe fondamental de la liberté d’expression. Mais aussi parce que nous estimons qu’il est urgent que s’ouvre enfin un débat sans tabou sur les pages sombres de l’histoire de la police française.

La justice doit reconnaître qu’il n’est pas diffamatoire de revenir sur les massacres d’octobre 1961, de Charonne, ou les bavures commises depuis les années 80.

Premiers signataires

Noir Désir, Mouss et Hakim (Zebda), Kader Aoun, Jacky Berroyer, Benjamin Biolay, Cali, Maurice Rajsfus (historien), Esther Benbassa (directrice d’études à EPHE-Sorbonne), Denis Robert (écrivain), Olivier Cachin (journaliste), Christophe Honoré (réalisateur), Raphaël Frydman (réalisateur), Erik Blondin (gardien de la paix), Geneviève Sellier (universitaire), Philippe Manoeuvre (rédacteur en chef de Rock & Folk), Bruno Gaccio (auteur), Lydie Salvayre (écrivain), François Bégaudeau (écrivain), Bernard Comment (écrivain, éditeur), Jean-Pierre Garnier (sociologue au CNRS) ...

Pétition à signer en ligne sur www.larumeur.org