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Le 29 avril 2008, le Tribunal administratif d’Orléans a annulé le contrat signé par le Conseil général du Loiret avec un groupe privé, constitué par Vinci et le Crédit Agricole, pour la construction et l’exploitation sur dix ans du collège de Villemandeur (ouvert en septembre 2007).
Ce premier contrat de « Partenariat public-privé » (PPP) signé en France pour un établissement scolaire était justifié par le Conseil général en raison du caractère d’urgence qui présidait à sa construction ; celui-là même qui a été dénié par le jugement. Par-delà cette motivation du tribunal (intéressante en soi car elle montre que le Conseil général aurait pu l’éviter), il convient d’éclaircir les enjeux du « PPP ». Car derrière l’apparence d’une disposition hyper-technique, c’est en fait une décision hyper-politique qui se cache ; en témoignent d’ailleurs, pour notre cas local comme plus largement, les nombreuses critiques qui ont fusé, au point de voir se constituer un large front de contestation : associations de parents d’élèves, syndicats de personnels enseignants, associations citoyennes mais aussi syndicats des artisans et petites entreprises du bâtiment et ordre des architectes.
Un « PPP », rappelons-le, est une procédure qui permet à une collectivité de déléguer à un groupe privé la construction et la gestion d’équipements publics sur une durée pendant laquelle la collectivité versera un « loyer », avant de récupérer le site en fin de contrat. La prose des zélateurs de cette invention nous renseigne suffisamment sur ses avantages supposés : « il a pour but d’optimiser les performances respectives des secteurs public et privé pour réaliser dans les meilleurs délais et conditions les projets qui présentent un caractère d’urgence ou de complexité pour la collectivité : hôpitaux, écoles, systèmes informatiques, infrastructures. Les avantages de cette forme nouvelle de contrats sont multiples : l’accélération, par le préfinancement, de la réalisation des projets ; une innovation qui bénéficie à la collectivité par le dynamisme et la créativité du privé ; une approche en coût global ; une garantie de performance dans le temps ; une répartition du risque optimale entre secteur public et privé, chacun supportant les risques qu’il maîtrise le mieux. À ce titre, le contrat de partenariat vient compléter et enrichir la panoplie des outils de la commande publique en France. » (1).
En fait, loin de servir l’intérêt public, ce dispositif accumule plutôt les risques de clientèlisme et de soumission aux grand groupes privés.
Si l’habit du PPP se veut moderne et sympa (le public et le privé côte à côte, la vision du politique et l’efficacité de l’entrepreneur main dans la main), l’idéologie qu’il recouvre n’a rien de nouveau. La Commission européenne parle d’une "législation plus moderne" adaptée "aux besoins administratifs modernes" et "essentielle pour la compétitivité de l’Europe". Christine Lagarde, l’actuelle ministre de l’économie, explique que « ce système incite les collectivités à penser plus globalement et à plus long terme. Ce que l’État ne peut ou ne souhaite pas faire lui-même, faute de moyens, de temps, ou à défaut d’une efficacité comparable à celle du secteur privé, il peut désormais le faire faire par des professionnels qui prennent en charge l’ensemble des opérations, depuis la conception jusqu’à l’exploitation » (2) ; Eric Doligé, Président du Conseil général du Loiret, argumente en réponse à la décision du tribunal administratif que « dans une société mondiale où la concurrence est acharnée, notre pays a besoin en tous domaines de réduire ses délais et ses coûts. Les citoyens demandent moins de charges et plus de souplesses (...) » (3).
Concurrence-compétitivité-adaptabilité-liberté-mondialisation-lourdeur-archaïsme-charges : c’est le sempiternel gloubiboulga néolibéral qui apparaît dans toute sa splendeur, et dans lequel est planté le drapeau de la liberté individuelle pour mieux s’approprier les richesses collectives et le bien commun.
Le PPP, tout récent en France, a déjà été largement expérimenté dans d’autres pays, qui ont eu le temps de juger des résultats. Au Canada, la Fédération Canadienne des Municipalités a publié en 2007 une étude sur les effets des différents PPP réalisés : le bilan est clair, les projets réalisés sont quelquefois plus mais jamais moins chers que leurs équivalents faits dans un cadre public ; et la transmission de la gestion d’établissements publics au privé dépossède les pouvoirs publics de leur droit de regard et de leur responsabilité. En Angleterre (où jusqu’à 15% des investissements publics ont été réalisés sous la forme de PPP), le système est initié par Major puis repris par Blair : le domaine hospitalier se retrouve particulièrement sinistré par la gestion privée.
Au niveau mondial, la Banque mondiale, le FMI et l’OCDE, dans le cadre de leurs programmes de déréglementation et de privatisation de biens publics mondiaux, font évidemment la promotion du PPP (4) ; de manière complémentaire, des cohortes de fondations regroupant des structures privées (bancaires et financières entre autres) en font l’apologie active, sous forme de lobbying auprès des politiques (5).
Dans l’Union européenne, le PPP est mis en place en mars 2004 par une directive de la Commission européenne, qui ne considère pas les dépenses faites dans le cadre d’un PPP comme faisant partie de la dette publique. Il suffit de se rappeler que l’investissement et le crédit publics sont condamnés par la Banque centrale européenne et interdits par les traités européens successifs pour voir que c’est bien la voie du désengagement public au profit des pouvoirs privés qui est creusée.
En France, depuis sa mise en place en juin 2004, sous l’impulsion des néo-libéraux français et dans la foulée de la directive européenne, l’échec de ce nouvel outil à démonter le bien public est flagrant : début 2008, 25 contrats seulement avaient été signés (6)... Le gouvernement décide donc que c’est son caractère d’exception qui pose problème - celui-là même que le tribunal administratif d’Orléans a invoqué dans le cas de Villemandeur. Une nouvelle loi est en conséquence présentée en février dernier (7), qui permet entre autres de conclure un PPP si celui-ci revient moins cher qu’une opération publique (en rognant sur la main-d’œuvre, par exemple...) ! La mobilisation de différentes structures (8) n’aura rien changé : la loi a été adoptée à l’Assemblée nationale le 26 juin (votée par l’UMP et le Nouveau centre), ouvrant ainsi grand les portes à la modernité et au grand appétit des puissants.
Une loi d’ordre idéologique difficilement saisissable sous ses atours techniques, une régression faite sur mesure pour contenter les multinationales, une dizaine de prisons (parmi d’autres établissements publics) en phase de construction sous PPP dans tout le pays ; dans le Loiret, la construction programmée de deux autres PPP pour des collèges (qui ne sera pas empêchée par l’annulation du contrat - mais pas du partenariat - de Villemandeur) : une fois encore, les perspectives semblent tracées droites et larges.
Cependant, l’écran de fumée n’a pas mis longtemps à se dissiper, et le PPP est bien pris pour ce qu’il est, une nouvelle ruse des pouvoirs de l’argent et de leurs subordonnés qui font métier de politique. Des institutions internationales (ONU), des confédérations syndicales, des associations citoyennes, en France comme partout dans le monde, réagissent à cette nouvelle agression contre le bien commun. Tout en sachant que les collectivités locales qui prennent la décision d’un PPP doivent s’attendre à répondre à leurs administrés et électeurs de leurs actes. Lutte locale, lutte globale : de la Banque mondiale au Conseil général, c’est à chaque échelle que la résistance et l’alternative doivent continuer à s’organiser.
Rémi Daviau, Attac 45.
1) Documentation du Ministère de l’économie.
2) Débats à la séance du 1er avril 2008, Assemblée nationale.
3) Communiqué de presse du Conseil général du Loiret, 29/04/2008.
4) Depuis 1999, la Banque mondiale et plusieurs pays riches ont décidé d’orienter leurs aides à l’accès à l’eau vers la mise en place de PPP en créant le Public-Private Infrastructure Advisory Facility, qui fait pression par tous les moyens pour obtenir, partout où c’est possible, la privatisation des la gestion de l’eau.
5) National Council for Public-Private Partnerships aux USA, Institut de la gestion déléguée (très écouté par N. Sarkozy) et Centre d’expertise français pour l’observation des partenariats public-privé en France, etc etc. A noter aussi l’action de personnalités comme l’ancien ambassadeur américain à Paris, banquier, administrateur de plusieurs multinationales françaises et ami de Nicolas Sarkozy Felix Rohatyn, qui milite depuis la fin des années 90 pour l’expansion des PPP, en faisant la promotion auprès des collectivités locales, dans le but avoué de privatiser les structure urbaines et d’affaiblir la puissance des Etats, par le biais de divers colloques aux Etats-Unis et en Europe.
6) « Etat et perspectives du marché des contrats de partenariat » - janvier 2008, ministère de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi.
7) Au Sénat, c’est Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret, qui a été en charge de ce dossier pour le groupe PS, qui s’oppose au projet.
8) Coopératives du BTP, syndicat de l’architecture, SNSO, Association des ingénieurs territoriaux, Confédération des artisans du bâtiment, Union des géomètres.
A LIRE EGALEMENT :
L’affaire de Villemandeur :
-* Le premier collège « public privé » retoqué par la justice, sur LibéOrléans (29/04/2008)
Et par ailleurs :
-* Eau Privée ou Privés d’Eau ? par le groupe EAU d’Attac 45 (décembre 2005)
-* Les éditos du bulletin du Syndicat National du Second Oeuvre (SNSO) (chercher "édito" sur la colonne de gauche)
-* L’UNSA Education obtient l’annulation du partenariat public-privé (PPP) de l’INSEP (mars 2008)
Le dossier sur les PPP de Marc Laimé :
-* Adieu services publics : L’institut de la gestion déléguée redessine la France d’après (mai 2007)
-* Les PPP sont nuisibles et minent la démocratie (septembre 2007)
-* La France soumise au PPP (octobre 2007)
-* Mobilisation internationale contre les PPP (novembre 2007)