Franchises médicales, politiques de la santé : quel avenir ? Compte-rendu de la conférence de B. Teper (mars 2008)

Compte-rendu de la conférence de Bernard TEPER (Commission santé d’Attac France, Président de l’Union des Familles Laïques) à Beaugency, le 07/03/08

Compte-rendu par Isabelle Sannazzaro, Attac 45.

Lorsqu’un gouvernement met en place des franchises sur des actes médicaux, il justifie son action par la nécessité de diminuer les dépenses de la Sécu afin d’en réduire le déficit, le fameux trou dont on nous parle si souvent qu’il nous ferait culpabiliser. Or, il s’avère que si les franchises, en diminuant les remboursements versés aux malades, permettent des économies à court terme, elles augmentent les dépenses à moyen ou long terme. Plus on met en place de franchises, plus on augmente les dépenses à moyen terme, quand bien même la part remboursée à l’assuré diminue.

Cette perte d’efficacité du système de sécurité sociale s’explique très simplement : les franchises dissuadent les personnes aux revenus les plus modestes de consulter leur médecin tant que les troubles restent en deçà de l’insupportable. En général le mal, non traité, s’amplifie, et il devient nécessaire de passer par les urgences pour donner les soins désormais nécessaires. Bien sûr, une journée d’hospitalisation revient beaucoup plus cher à la sécurité sociale qu’une simple visite chez le médecin. Donc, en augmentant les franchises, on diminue le nombre de visites chez le médecin et on augmente les dépenses de santé tout en remboursant moins bien le patient.

Pour appuyer cette démonstration, il suffit de comparer avec le modèle américain, où le système des franchises médicales s’est développé antérieurement et sert de modèle à nos politiques : en France, les dépenses de santé représentent actuellement 11% du PIB. Aux USA, elles représentent 14% du PIB

Pourquoi, alors, instaurer des franchises médicales si elles s’avèrent contre-productives ? Il y a une raison cachée à cela : elles ne sont pas faites, comme on nous le dit, pour diminuer le trou de la Sécu.
En effet, les remboursements perçus par le patient sont faits de deux parts, l’une versée par la Sécu et le complément, versé par une Mutuelle. Quand on met en place une franchise, on diminue le remboursement de la Sécu et on augmente celui venant de la Mutuelle. Ce faisant, on permet donc aux multinationales de l’assurance, qui réassurent les grandes Mutuelles, d’augmenter leur chiffre d’affaire (environ 9% par an !). Les franchises ne sont donc pas faites pour réduire les dépenses publiques du secteur de la santé, mais pour avantager les grands groupes, pour marchandiser, libéraliser le système de santé, sur le modèle américain.

Pourtant, la Sécurité Sociale fait de la solidarité en mutualisant les sommes perçues auprès de tous et en les redistribuant selon les besoins de chacun. Les grandes firmes, elles, font de la sélection par le risque, en proposant des tarifs préférentiels aux jeunes, qui coûtent très peu, et en dissuadant les plus âgés que gardent donc les mutuelles ; Celles-ci, supportant les coûts les plus élevés tout en étant privées d’une partie de leurs revenus, dirigés vers le privé, ne peuvent plus faire de la solidarité et commencent à adopter le même modèle sélectif pour subsister. (on sait, en effet que 50% des dépenses de santé sont le fait de 6% de la population : les pathologies lourdes et les fins de vie.) Quelle philosophie préfère-t-on pour demain ? Le choix est entre nos mains lorsque nous choisissons notre assurance maladie !

Actuellement, environ 12% des Français n’ont pas de complémentaire santé et 20 à 25% ont des complémentaires « bidons », qui ne remboursent pas de manière significative. L’évolution de notre système de santé est donc faite pour les précariser davantage.

Le fait que le système favorise le privé au détriment du public apparaît encore dans les différences de statuts entre cliniques privées et hôpitaux publics. En voici quelques exemples :

 La contre-réforme Juppé a créé les ARH (Agence Régionale de l’ Hospitalisation). Cette structure autorise son directeur à fermer un service dans un hôpital public et à le rouvrir dans une clinique privée, souvent avec la même équipe. L’ARH va d’ailleurs être remplacée par l’ARS (Agence Régionale de la Santé) où le mot hôpital est gommé pour mieux faire disparaître l’hôpital public.
 Dans certains centres hospitaliers, le privé se développe à l’intérieur même du domaine public. En plein cœur de l’hôpital, il peut y avoir un secteur privatisé à condition, bien sûr, que ce soit un secteur rentable (ex la radiologie).
 Les cliniques privées utilisent parfois le plateau technique de l’hôpital alors qu’elles n’ont en rien participé aux investissements. Le service public voit, lui, ses créneaux horaires diminuer.
 Les investissements trop lourds échoient en effet forcément à l’hôpital.
 L’hôpital ne choisit pas ses patients et soigne tout le monde ; Les cliniques privées ne prennent que les actes rentables. C’est un acte marchand où le patient devient client.
 Un exemple exemplaire : au Havre, à l’hôpital public, le parking est payant et coûte 8 € par jour. A l’hôpital privé, le parking est gratuit et le tramway construit par la municipalité dépose les patients juste devant l’entrée.

 En 2004, Monsieur Douste Blazy a démarré les franchises : 18 € pour les actes de plus de 91 €. Cette mesure est devenue effective le 1er septembre 2006. En novembre 2007, ces 18 € n’avaient toujours pas été versés à la CNAM par les cliniques.

 Encore un fait : l’assurance maladie finance les hôpitaux et les cliniques privées. Dans le cas des cliniques, une caisse pivot leur rembourse dans les quatre jours 85% de toute facture produite, sans aucune vérification. Ce n’est qu’ensuite que les factures sont envoyées pour vérification à la caisse gestionnaire. Si une erreur est décelée, la clinique produit une deuxième facture et la caisse pivot paie à nouveau 85% de cette nouvelle facture, pour le même acte !
En revanche, pour l’hôpital, pas de remboursement sans vérification préalable !

S’étonnera-t-on encore si les hôpitaux sont en déficit tandis que les cliniques sont excédentaires ?

Dans le domaine de la santé, comme dans la plupart des autres domaines, le paradigme actuel est le même : il faut privatiser les profits et socialiser les pertes ; Mettre le secteur public en déficit afin de prouver qu’il est inefficace, inapte à remplir sa mission et que seul le privé est rentable et réellement efficace. Bien sûr, puisqu’il s’accapare peu à peu tous les secteurs rentables, laissant au public ceux qui coûtent beaucoup et rapportent peu.

Ce processus de marchandisation qui brade petit à petit, à notre insu, notre service public au privé est à l’oeuvre dans bien des domaines ( l’éducation, la poste, les transports ferroviaires…). Si ce mouvement est particulièrement préoccupant en ce qui concerne la santé, c’est bien sûr à cause de la gravité des enjeux humains que cela recouvre ; c’est aussi à cause de l’importance considérable des enjeux économiques qui se jouent là. Pour mieux le comprendre, revenons aux chiffres :

La santé représente le premier budget humain.

 Le budget de l’Etat, provenant des impôts, représente environ 280 Milliards d’€, tous ministères confondus.
 Le budget de la Sécurité Sociale s’élève, lui, à 390 Milliards d’€ (cotisations sociales, taxes, CSG). Il y a donc plus à privatiser, plus de profits à dégager dans ce domaine que dans nul autre.

La Sécurité Sociale paie les assurances maladie, les retraites, les allocations familiales, indemnise les accidents du travail et les maladies professionnelles. La Protection Sociale qui comprend la Sécu, les assurances chômage, les pensions versées aux handicapés et aux personnes âgées a, elle, un budget de 500 Milliards d’€, ce qui représente 30% des richesses produites en France. Voilà pourquoi les enjeux économiques sont ici énormes.

Et le fameux trou de la Sécu, d’où vient-il ? Avons-nous les moyens de le réduire et comment ?

La Sécurité Sociale étant financée par les revenus du travail, la perte de ses gains correspond à environ 10 points de PIB (9,6, d’après la commission européenne, 8,9, d’après l’INSEE), ce qui représente une somme de l’ordre de 170 Milliards d’€ !
Si on était toujours dans une situation semblable à celle de 1982, c’est à dire si on diminuait la part de PIB allouée aux profits, on aurait donc environ 170 Milliards d’€ de plus, par an, à utiliser dans des investissements hospitaliers, des campagnes de prévention ou de dépistage réellement efficaces… Enfin 170 Milliards consacrés à la santé publique plutôt qu’à rémunérer quelques uns.

Or, le trou de la Sécu est évalué entre 10 et 15 Milliards d’€.
Le gaspillage dans la gestion des dépenses de santé, qu’on tient également pour responsable du déficit, a été chiffré entre 1 et 3 Milliards d’€. Est-il encore besoin d’ajouter un commentaire quand les chiffres parlent d’eux-mêmes ?

Juste une précision : dans les profits, on entend :
 les investissements de demain
 la rémunération des actionnaires
 la rémunération de l’argent sale (fausses factures…)
 Les investissements n’ont pourtant pas augmenté en % en 25 ans. Les profits ont donc surtout été dirigés vers les deux autres destinations.

Si on veut vraiment régler le trou de la Sécu, il faut donc revenir à la situation antérieure. La seule solution est de déplacer le curseur pour revenir à une configuration proche de celle du début des années 80 (l’année 1982 représentant la situation la plus favorable).

Et dans les autres pays ? On observe la même évolution partout mais pas avec les mêmes chiffres. Deux exemples parmi d’autres :
 En 2005, la Hongrie a osé présenter un référendum : Pour ou contre la privatisation de tous les hôpitaux publics ? Si le gouvernement n’a pas réussi à mettre son projet en application ce n’est donc pas faute de l’avoir tenté !
 Aux Pays-Bas la Sécurité Sociale a été privatisée.

Les élus ont un pouvoir sur ces questions. La solution pour pérenniser un système de protection sociale et de santé, mis en place après la guerre et fruit de bien des luttes, est entre leurs mains.
Entre les nôtres aussi car nous avons le pouvoir de revendiquer nos droits auprès d’eux !

Pour lutter, le dispositif EGSAM rassemble 20 à 30 organisations dans un manifeste alternatif. Vous pouvez trouver des informations sur les sites d’ATTAC et de l’Ufal.