25-27 juillet, Al Jadida (Maroc) : 1er forum social maghrébin, Par Mouhieddine Cherbib (été 2008) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°47 (oct/nov 2008)

Par Mouhieddine Cherbib

président de la Fédération des Tunisiens Citoyens des Deux Rives (FTCR)
membre du comité de pilotage du Forum Social Maghrébin.

Dans tout le Maghreb, les luttes sociales continuent de s’amplifier, de même que les luttes pour les droits humains, en défense de sociétés civiles réprimées, ou encore pour faire pression sur le contenu de l’Union pour la Méditerranée... Voilà deux raisons conjoncturelles de se féliciter de la tenue cet été du premier Forum Social régional en terre maghrébine, ensemble avec des sociétés civiles de toute la région... C’est un exploit, d’autant que le Maghreb était jusqu’ici le grand absent de la dynamique altermondialiste mondiale. Ce premier FSMagh mûrit pourtant depuis quatre ans, en dépit même de réalités politiques difficiles : fermeture depuis 1975 de la frontière maroco-algérienne, contentieux du Sahara occidental ; plus grave, l’absence de société civile autonome, comme en Libye, de libertés et de démocratie, comme en Tunisie, ou d’espace possible hors d’un pouvoir  ; des entraves aux déplacements des acteurs politiques et sociaux ; des susceptibilités culturelles entre les différents acteurs, qu’il a fallu prendre le temps de faire dialoguer entre eux...

Les 25, 26 et 27 juillet à Al Jadida, réunissant 2000 personnes au fil de 24 séminaires, 42 ateliers autogérés et 9 axes de débat, ce premier FSMagh a finalement réussi à impliquer sept délégations du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, de Mauritanie, de Lybie, du Sahara occidental et de l’immigration maghrébine, ainsi que de nombreux invités internationaux d’Afrique subsaharienne, de Palestine, d’Israël, mais aussi d’Europe et d’Amérique du Nord. Les différentes délégations témoignaient des contradictions de leurs sociétés. J’ai été frappé par la richesse et le dynamisme de la société civile marocaine, liés à un processus politique national certes complexe, mais qui a permis tout de même à la société civile de s’autonomiser depuis une dizaine d’années vis-à-vis du pouvoir et des tractations politiciennes… Ailleurs, du fait de pouvoirs autoritaires, comme en Tunisie, en Libye, ou corrompus, comme en Algérie, un tel terreau est faible ou inexistant, ou bien il peut témoigner d’un recul, comme en Mauritanie. (...)

Ce qui a vu le jour est l’espace populaire autonome de luttes le plus important depuis les Indépendances. Il a permis l’expression des solidarités avec les luttes actuelles : luttes de Sidi Ifni, grévistes syndicalistes du SNAPAP, atteintes aux libertés et à la démocratie en Mauritanie, intérêts des populations du bassin minier tunisien de Gafsa... Tourné vers le rêve d’un Maghreb des Peuples, le FSMagh a fait naître en outre des coordinations maghrébines sur l’eau, les droits humains, les femmes, l’immigration, les jeunes, ainsi qu’une Charte du Maghreb des Peuples, certes critiquable, par exemple sur la faiblesse de son volet culturel, mais pouvant servir de cadre de référence... Le FSMagh a abordé de front les questions politiques les plus sensibles : cherté de la vie, crise sociale, chômage, droits humains, biens publics, migrations, etc. Une question aussi délicate que celle du Sahara a été posée dans un séminaire de 600 participants, pour la première fois au Maroc, dans un cadre maghrébin. Toute la gamme des opinions étaient représentées, des plus hostiles à l’indépendance d’un Sahara occidental à ses défenseurs les plus enthousiastes. Plusieurs débats ont porté également sur la laïcité.

Les débats du FSMagh ont été en réalité essentiellement menés entre des maghrébins globalement laïcs, mais ils sont traversés par de fortes divergences sur la question du traitement de la laïcité en terres de culture et de tradition musulmanes. Le FSMagh étant perçu comme une initiative de la gauche, les islamistes cependant se sont peu ou pas inscrits. Il faut cependant tenir compte des nuances entre les situations dans les différents pays et les différents mouvements à ce propos. La problématique de l’immigration a été également très discutée : droits et situation des migrants dans les pays du Nord ; le Maghreb en tant que région de transit des migrants subsahariens, impliquant des coopérations interétatiques de plus en plus étroites pour gestion des flux migratoires vers l’Europe ; le Maghreb enfin comme pays d’accueil de ces derniers, ce qui implique la question, relativement inédite, des droits des immigrés chez nous au Maghreb ! Les militants n’en avaient jamais discuté entre eux auparavant ! (...)

Malgré son pari réussi, l’avenir du Forum Social Maghrébin reste aujourd’hui incertain. Par exemple, le récent coup d’Etat militaire en Mauritanie remet en cause notre espoir d’y tenir notre prochain forum. Nous condamnons fermement ce coup de force et appelons au rétablissement de la démocratie et du gouvernement issu d’élections libres. Il n’y a de légitimité possible dans la région que pour des régimes démocratiques respectueux des libertés et des droits des peuples.

* Tribune parue dans Politis (28 août 2008)