FSM de Belém 2009 : choses vues, par Erika Girault Le témoignage d’Erika au Forum social mondial.

Le témoignage d’Erika au Forum social mondial ; et en pièce jointe le compte-rendu des ateliers et des travaux suivis, ainsi que le bilan global du FSM.

Terre du FSM

26/01 : 1er jour

Le début de mon voyage a été plutôt chahuté et c’est dans une chaleur tropicale que je me retrouve enfin à Belém.

De Belém, plusieurs angles de vue peuvent être portés :

 Le géographe dirait que : « Belém est la capitale de l’État de Parà, l’équivalent terrestre de l’UE, peuplé de 1,5 millions d’habitants. Cette ville est plantée à 150km de l’Océan de l’Atlantique au bord d’un affluent de l’Amazone. Le climat équatorial fait de ce paysage un territoire humide et chaud »
 Le touriste dirait que : « Belém est une ville dynamique qui offre de nombreuses possibilités : fruits, légumes ou encore poissons, architecture atypique, le tout bercé par des rapports humains chaleureux. La porte de l’Amazonie s’ouvre à Belém comme le révèle la présence de la culture indigène. Le charme, et particulièrement l’ombre des manguiers assure une sérénité certaine ... ».
 Le Belemois dirait que : « le Belémois est une Belémoise ! La ville étant, en effet, peuplée de 60 % de femmes. Cette ville vit une expansion terrestre, économique et humaine continue. La question sociale est particulièrement difficile du fait d’inégalités de richesses. La ville est également tournée vers la recherche sur la biodiversité avec son université, lieu d’accueil du FSM ».
 La délégation AdM : « premier contact avec cette ville vers 1h du matin, heure locale, dans un bar autour d’une bière, la chance nous est offerte tout de suite de rencontrer des participants brésiliens au FSM, notamment une éducatrice intervenant dans les Favelas, et qui par la création de textile impulse l’insertion des enfants des rues, dans le tissu social. Elle apparaît toute de suite intéressée pour connaître ce réseau de distribution qu’est le commerce équitable ».

La vie du FSM commence … Le CRID organise des visites d’initiatives d’économie solidaire dans les environs de Belém, notre délégation se partage trois destinations et j’ai choisi de rencontrer le mouvement des Femmes des Iles de Belém.

Le Movimento das Mulheres das Ilhas de Belém (MMIB) sur l’île de Cotijuba

Le MMIB est créé en 1998 pour faire face aux difficultés rencontrées par les femmes au quotidien sur cette île située à une heure de bateau de Belém. Les femmes sont victimes de violences psychologiques ainsi que physiques et elles manquent de protection de la part des politiques publiques. L’association soutient 60 femmes. Elles se regroupent, échangent entre elles, et s’organisent pour améliorer leurs conditions de travail.

Les activités qui sont pratiquées sont diverses :
 formation technique des jeunes ;
 gestion des revenus familiaux ;
 papier recyclé et en fibre de bananier ;
 création d’activités économiques (plantation de Piprioca - racines pour l’alimentation et récolte des graines pour l’artisanat, fabrication des « bio-bijoux » - bijoux fabriqués à partir des graines et autres végétaux, récolte des graines des fruits tropicaux - Pracaxi - qui sont utilisés pour la production de cosmétiques - l’entreprise Natura fabrique des savons, plantation de fleurs tropicales pour les parfums et les crèmes) ;
 bibliothèque - la seule de l’île. Le MMIB organise aussi des visites du centre pour les écoles et des actions de sensibilisation sont menées à travers l’île.

Vue d’ensemble

Suite de mon programme : marche d’ouverture avec tous les militants ; journée pan-amazonienne ; puis participation aux activités autogérées.

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27/01 : 2ème jour

72000 personnes réunies dans un même but envahissant les artères de Belém en sont bien la preuve. Dans la convergence de nos luttes, notre message "d’autres échanges pour un autre monde" prend tout son sens. Sous une pluie équatoriale donc diluvienne, le message de notre altermondialisme nous abrite, renforçant notre mobilisation, sur le rythme incessant des danses indigènes. La vie économique, sociale, et culturelle locale s’intègre naturellement à notre marche de militants qui se transforme en une fête partagée avec les habitants de Belém.

Indigéne

De l’appel hurlant pour les droits des peuples indigènes de l’UNIA (União Nacional das Indigenas das Amazônia), la foule se retrouve unique et conséquente pour mesurer l’injustice et confirmer son soutien. La dispersion du mouvement n’est qu’éphémère pour mieux prolonger la lutte dès l’ouverture du forum social le lendemain.

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28/01 : 3ème jour

Place aux peuples indigènes

Les invités, sur le devant de la scène, pour cette cérémonie d’ouverture sont les peuples indigènes du sous-continent. Les peuples indigènes s’adressent au monde. Et pour une fois, 90 000 personnes prêtent l’oreille.

D’abord on accuse. On accuse le monde « civilisé » de détruire toutes les minorités ; on accuse le néo-libéralisme de, malgré toutes ses promesses, n’avoir pas réussi à construire un monde de justice, de dignité, d’égalité en droits ; on accuse les multinationales de vol de terres, de vol d’eau ; on accuse les 5% de l’humanité de manipulation et d’éradication des cultures ancestrales.

Terra amazonica

Ensuite on appelle au secours. Le cri pour la dignité. Chacun leur tour, avec la voix hurlante du désespoir, sur la tribune face à une société civile unifiée. L’UNIA (União Nacional dos Indigenos da Amazônia) dit « S’il vous plaît, aidez-nous à faire comprendre à notre gouvernement que nous ne sommes pas des animaux. Comme tous les humains, nous avons 5 doigts. » ou encore les Conseil National des Ayllus et Marka du Collasuyu (Bolivie) : « Les peuples indigènes ne sont pas le folklore de la démocratie ». Le délégué du CONAMAQ déclare : « Aux multinationales, nous fournissons de l’eau cristalline et pure - pour l’extraction minière et l’agroindustrie - et en échange il nous reste l’eau empoisonnée ». Il est urgent de défendre la Terre Mère (Pachamama), de protéger la biodiversité et la cosmovision indigène.

Enfin on agit. C’est la première initiative politique de ce forum : la création d’un mouvement unifié des peuples indigènes d’Amérique latine. Ils décident ensemble que le 12 octobre prochain ne soit plus la journée de la race et de la découverte de l’Amérique, mais la journée de la Résistance Indigène. Dans une parole unique, la langue de la justice, ils demanderont la reconnaissance de leur existence. Ils appellent aussi les sociétés civile à se mobiliser pour que les États non-signataires comme la France, signent la Convention 169 (seul texte ayant une valeur autre que symbolique pour la défense des droits des peuples indigènes).

La convergence des luttes

Palestine-Brésil

C’est alors que je me rappelle du discours de Laputa du Zimbabwe, de celui de Bertha du Bangladesh. Particulièrement, je me souviens de celui d’Issa de Palestine… Les mots, les émotions, les convictions sont les mêmes. Ce sont les paroles de tous les peuples oubliés. Ils ont besoin d’aide. Comme dit Obadias (de la tribu des Satéré Mawé) « é cuando o primer mondo sera consciente que as mudanças appareceram ».

La vie du forum est quelquefois bien frustrante. 1975 activités ont été proposées par l’ensemble des structures participantes et le programme a été publié assez longtemps à l’avance. Ainsi l’atelier d’ATTAC Brésil que j’aurais aimé écouter : « La crise financière et le post-capitalisme : les relations entre les mouvements sociaux et les gouvernement dans la recherche de solutions » a été annulé. J’ai donc assisté à celui du CADTM « La dette écologique et les biens communs de l’humanité ».

Le CADTM dénonce la dette écologique puisqu’elle n’est qu’un prolongement de la dette financière que les pays du Nord, colons économiques, continuent d’imposer aux pays du Sud. Plusieurs membres du CADTM des pays du Sud ont porté leur témoignage :

 Le Pakistan doit rembourser environ 3 milliards à la Banque Mondiale. Et pour pouvoir les payer, il faut produire pour augmenter le PIB et exporter pour faire entrer des devises. En produisant de manière intensive, on pollue. Le témoin raconte : « Le Pakistan produits des tapis destinés à l’exportation, pour le confort des pieds des français, des allemands, des anglais … - 40% des tapis en France viennent du Pakistan. Voilà comment le Pakistan n’a plus d’eau saine dans ses nappes phréatiques, il faut puiser à plus de 500 pieds de profondeur.

 En Inde, on extrait du bauxite. Pour cela, il faut du charbon, et pour extraire le charbon, il faut déplacer environ 30 000 personnes. C’est au nom du développement que les industriels expulsent les habitants. En effet, ils pensent créer de l’emploi (en réalité ce sont 3 000 personnes qui travailleront dans des conditions proches de l’esclavage dans les mines de charbon). La Norvège investit 2 milliards de dollars dans le développement industriel, au lieu de financer les actions de la société civile.

 Dans le delta du Niger, les américains ont épuisé un gisement de pétrole, et tout simplement, ils ont laissé les infrastructures sur le site en partant. C’est le peuple qui doit payer pour le nettoyage.

La question c’est :

Comment garantir les besoins fondamentaux des populations (en biens communs) et en garantir l’accès de manière durable pour les générations à venir ? La réponse de la Banque Mondiale et de l’Union européenne est : Le Capitalisme Vert ! C’est à dire qu’on dépollue ce qu’on a pollué, en faisant toujours du profit, bien sûr, au nom du développement durable. La réponse de la société civile est de rompre avec ce système de commercialisation des biens communs et de s’appuyer sur les besoins des populations ; et si les biens communs servent à satisfaire les besoins fondamentaux des populations, ils doivent être gratuits.

François Houtard (qui écrit un livre sur les agrocarburants) nous dit que malheureusement, nous sommes en train de construire la dette écologique des pays du Sud, au nom de l’écologie, notamment en organisant ces monocultures (canne à sucre, soja) qui dévastent la forêt et sa biodiversité. Si ça continue comme ça, 60 millions de personnes vont être expulsées de leurs terres d’ici 25 ans. Tout le monde sait que la dette écologique existante ne peut être payée, mais il faut se mobiliser pour qu’elle arrête de proliférer.

Quatrième, cinquième et dernière journées : un condensé !

Le site du FSM

C’est dans les deux universités de Belém que se déroule le forum. Les sites sont animés par des villages associatifs où exposent les structures participantes.

Voici, par exemple, l’imposante structure de Cuba qui fête les cinquante ans de sa révolution (voir photo). Sous cette tente, on peut assister à tout un tas de conférences, de projections de films commémoratifs de l’arrivée de Castro, du démantèlement des enseignes américaines et où la fille du Che (qui ne connaissait presque pas son papa) a fait un petit discours. Et le soir tombé, des orchestres endiablés de salsa animent la place.

Des groupes d’artisans et de paysans qui fonctionnent selon les principes de l’économie solidaire exposent aussi leurs projets. Un marché solidaire a pris place, présentant le bricolage ingénieux des groupes organisés de femmes (veuves, femmes rurales, victimes de violences, femmes des favelas...) rassemblées dans des structures collectives, ayant pour but de leur fournir un revenu - par des formations à la fabrication de bijoux, de chaussures en latex, de textiles, etc – et de favoriser leur intégration économique et sociale.

Les indigènes vendent leur culture. Ils se lancent dans la vulgarisation de leurs tatouages. Les peintures sont fabriquées à partir des fruits tropicaux amazoniens qu’ils appliquent avec une tige de bois. Chaque symbole signifie quelque chose.

Mobilisation palestinienne : Quoi de plus flagrant, lorsqu’on parle de convergence des luttes, que les organisations brésiliennes qui soutiennent la Palestine ?

Un militant brésilien me raconte que les groupes de soutien à la Palestine, ici au Brésil, demandent avant tout de recevoir l’information juste. Les médias sont désinformés et les Brésiliens ne savent pas vraiment ce qu’il se passe au Proche Orient. Les associations palestiniennes sont très peu nombreuses au Brésil. Souvent, ce sont les partis politiques qui mettent en place des actions de sensibilisation en créant des visuels (comme le panneau publicitaire ci-dessous), ou encore en organisant des jets de chaussures sur des affiches israéliennes !

Ceci est un panneau publicitaire de la taille d’un bus, édité par le Parti Communiste du Brésil et placardé au hasard dans les rues de la ville. Contre la guerre, pour la paix. Un Etat Palestinien. Maintenant !

LE TRIBUNAL POPULAIRE : Rencontre avec João, avocat à Rio de Janeiro

- L’Etat Brésilien sur le banc des accusés

Le contexte est le suivant :

De nombreuses personnes sont assassinées par les forces de l’ordre. La police municipale (Guarda Militar), est formée, comme son nom l’indique, par l’armée puis lâchée dans les bidonvilles avec la mission d’y faire régner l’ordre. Corrompue, elle est bien souvent impliquée dans les trafics en tous genres (surtout armes et drogue). A Récife, elle est celle qui organise les guerres de gang de manière à ce qu’ils s’entretuent. A São Paulo, la police tuent à bout portant les gens les plus pauvres qui dorment dans la rue (pour « nettoyer » cette ville si touristique), souvent sans défense puisque shootés à la colle (la colle a le triple avantage de faire passer la faim, de donner envie de dormir et surtout d’être très bon marché). À chaque fois, la police bénéficie de l’impunité de la part du système juridique, lui aussi corrompu. Pour illustrer ses propose, João me dit qu’en 2008, à Rio on a recensé 1300 tués par balles des forces de l’ordre. Il ajoute qu’il s’agit bien des cas « recensés ».

Le Tribunal Populaire est le fruit du travail d’une ONG basée à Rio de Janeiro qui lutte contre les discriminations envers les pauvres (résidents des favelas, si nombreuses dans une ville aussi riche que Rio, et envers les Noirs - qui bien souvent sont aussi les résidents des favelas).

Ses objectifs :
 Créer du lien social entre les familles des victimes
 Permettre de dénoncer les bavures des forces de l’ordre au grand public mais surtout à l’État
 Être visible au niveau du gouvernement

Ses actions :
 Recenser les cas de « bavures »
 Rassembler les familles des victimes
 Leur fournir gratuitement un soutien juridique

Des procès populaires sont mis en place dans des lieux à haute fréquentation de la ville. Les familles sortent des bidonvilles pour dénoncer les actes commis par la police.

Sur ce stand, on peut assister à des projections et des témoignages de victimes. Comme cette mère qui a perdu son fils dans une fusillade. Au bout de 6 années de recherche de preuves et de témoins, elle a réussi a déposer une plainte dans un tribunal conventionnel, qui a lancé une enquête au sein de l’institution. Les deux policiers ont été identifiés puis incarcérés. Ils ont été relâchés parce que l’enquête piétinait ; et une loi au Brésil stipule que si une investigation n’aboutit pas dans les deux ans, les accusés sont relâchés. Cette femme a dû changer de ville et de nom de peur d’être retrouvée par les policiers.

BELEM EXPANDIDA (ou en Français : Belém Élargie)

L’édition 2009 du Forum ouvre une nouvelle forme de participation des mouvements, associations et organisations de la société civile qui ne se sont pas rendus à Belém et qui pourtant, voudraient exprimer leur participation active dans le processus du forum. Le jour de l’Action Globale (17 janvier 2008) a initié une dynamique de diverses activités pour qu’un autre monde soit possible dans toutes les régions du monde, élargissant les propositions du forum. À partir de cette expérience, il a été déclaré que les activités liées au forum seraient décentralisées. Ce projet a été préparé par la commission communication du forum.

Grâce au support technique de volontaires du monde entier, le Belém Expandida a pu voir le jour et les enjeux du forum peuvent s’exporter au-delà de l’Amazonie. Des salles de l’université sont mises à disposition de tous pour des vidéo-connexions. Ces salles sont équipées d’ordinateurs, de vidéo-projecteurs, de caméras et de micros. Des rendez-vous sont pris au préalable avec des villes du monde entier (Poitiers, New York, Samawa en Irak, Rome, Montauban, Mexico, Aguascalientes, Ramallah, Louga au Sénégal, etc.) et l’équipe de volontaires invite les gens à participer aux vidéo-conférences.

Nous avions pris rendez-vous avec les P’tits Débrouillards de la Rochelle et nous devions discuter du forum Sciences et Démocratie. Finalement, trois jeunes filles indigènes sont arrivées dans la salle et l’échange s’est créé très facilement entre les deux groupes. Elles ont raconté leurs vies dans la communauté.

De même, j’ai pu discuter (difficilement à cause de la mauvaise liaison) avec Georges à Ramallah, activiste en lutte contre le mur, engagé contre l’accord d’association Israël/ Union européenne et qui était curieux de savoir ce qui se passe dans ce forum, et comment est représentée la Palestine.

Conclusion

Le forum est un fourmillement d’activités, il y aurait plus de 10 000 choses à dire sur la vie en dehors des ateliers, des conférences et des plénières, sur les petits moments de vie. Nous pourrions décrire les micro-activités économiques créées juste pour l’occasion, comme par exemple les vélos-taxis qui vous emmènent partout à travers la fac pour 2 ou 3 R$ ou encore, les vendeurs de parapluies qui guettent l’averse tropicale et qui surgissent avec leurs pépins à fleurs. Nous pourrions aussi parler des micro-manifestations en tous genres, improvisées dans l’enceinte de l’université pour légaliser l’herbe, pour abolir le travail esclave, ou encore pour dénoncer les trahisons du Président (photo ci-dessus, avec l’inscription « voleur » sur le front). Nous pourrions parler des expositions culturelles (photos ci-dessous), des dessins des gamins du monde exposés dans le bâtiment central, des groupes de maracatus et des batucadas improvisées qui défilent après les derniers ateliers poursuivant les participants pour les entraîner dans la danse, avec un avant-goût de carnaval.

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A lire également :

 Déclaration de l’Assemblée des mouvements sociaux lors du Forum social mondial 2009
 Déclaration de l’assemblée pour la justice climatique