Les paradis fiscaux, ou comment soustraire le profit au bien commun, par Denis Chagnolleau (févr. 2009) Extrait de la Lettre d ’Attac 45 n°49 (févr.-mars 2009)

Il existe environ une cinquantaine de paradis fiscaux dans le monde, la moitié se trouve en Europe. Ce sont de petits Etats, peu peuplés comme les îles Caïmans, les Bermudes, la Suisse, Jersey et Guernesey, Andorre, Monaco, le Luxembourg….

Les points communs aux paradis fiscaux

Les paradis fiscaux partagent quatre caractéristiques communes :
Ils offrent une fiscalité réduite ou nulle sur les revenus des particuliers et les bénéfices des entreprises.
Ce sont des paradis bancaires : ils pratiquent un strict secret bancaire et sur les transactions financières.

Ils sont aussi des paradis judiciaires : les autorités de ces pays sont réticentes ou refusent de collaborer avec les autorités judiciaires et fiscales des pays tiers. Ils offrent une impunité judiciaire en cas de poursuite.
Enfin, ils proposent des formalités et des frais réduits pour la création de sociétés.

Différents types de sociétés permettent aux riches particuliers et aux firmes multinationales d’échapper à l’impôt dans leur pays d’origine :

 La société “offshore” : créée dans un paradis fiscal, elle ne fait pas d’activité en dehors de ce pays. Elle est sous-fiscalisée et sous-réglementée. Grâce aux prix de transfert (prix de vente de biens ou services pratiqués entre les filiales d’une multinationale), une filiale d’une multinationale placée dans un pays à fiscalité élevée peut vendre à prix coûtant des biens et services à une société “offshore”, elle ne sera pas taxée car elle ne déclarera pas de bénéfices. La société “offshore” revendra ces biens et services en déclarant des bénéfices qui ne seront pas ou peu taxés par le paradis fiscal.
 La “société écran” : elle cache l’identité de son vrai détenteur par l’utilisation de prête-noms (en général, un administrateur local). Son but est de cacher le véritable donneur d’un ordre de virement, le vrai propriétaire d’une société et le vrai propriétaire d’un fonds. Ces sociétés seraient au nombre de trois millions selon les Nations Unies.
 La “banque coquille” : une banque sans présence physique dans aucun pays autrement que par une boîte postale.
 Les pavillons de complaisance (Panama, Libéria, Bahamas, Malte, Chypre) : en 1920 ils représentaient 5% de la flotte mondiale, 60% aujourd’hui. Ils offrent de nombreux avantages aux armateurs : droits d’enregistrements peu élevés, pas ou peu d’impôts, peu ou pas de contrôles, liberté d’employer des marins peu payés, socialement peu ou pas protégés.

Des “paradis” toxiques

Les paradis fiscaux favorisent l’évasion fiscale des riches particuliers qui y placent leur fortune et des multinationales dont les sociétés “offshore” sont défiscalisées. Le manque à gagner serait de 50 milliards d’euros pour la France et de 300 milliards de dollars pour les Etats-Unis !
Ce phénomène a eu un effet pervers pour la majorité des Etats et leurs citoyens :

 Le “dumping” fiscal : les Etats n’ont cessé de baisser les impôts sur les riches particuliers et les grandes entreprises pour attirer les investissements.
 Le manque à gagner pour les Etats a aggravé les déficits budgétaires et contribué à réduire les investissements publics, l’activité des services publics et sociaux.
 La fiscalité des Etats s’est reportée sur les pauvres et les classes moyennes qui ne peuvent échapper à l’impôt en plaçant leur argent dans les paradis fiscaux.

Les paradis fiscaux blanchissent l’argent sale : ils recyclent l’argent des trafics illicites (trafics d’êtres humains, de drogue, d’armes…) par l’intermédiaire des sociétés écrans qui réinjectent cet argent dans l’économie légale : de 600 à 1500 milliards de dollars selon le FMI. Il est à noter que les paradis fiscaux sont utilisés par les Etats pour y faire transiter les commissions occultes (comme l’a montré l’affaire Elf) et l’argent de la corruption.

Les paradis fiscaux aident au financement du terrorisme.
Ils sont un obstacle à la coopération judiciaire internationale par leur refus de collaborer en cas de poursuites judiciaires engagées par un pays tiers.

Enfin, ils fragilisent le système financier international. Depuis les années 1990, les crises financières et économiques sont liées aux flux qui ont transité par les paradis fiscaux. La mobilité des capitaux, encouragée par la dérégulation financière néolibérale, a eu un effet désastreux en accentuant les phénomènes d’investissements et de retraits brutaux de sommes colossales qui ont ruiné des Etats comme l’Argentine. Les paradis fiscaux sont la cause, les porteurs et les bénéficiaires des crises financières.

Marginale à l’origine, l’utilisation des paradis fiscaux s’est généralisée depuis 30 ans avec les déréglementations et les dérégulations liées à la mondialisation néolibérale. Elle est devenue un phénomène massif : les paradis fiscaux accueillent 400 banques (toutes les grandes banques y ont leurs filiales), les deux tiers des Hedge Funds (fonds spéculatifs) qui gèrent plus de 10000 milliards de dollars d’actifs, 2 millions de sociétés-écrans (toutes les sociétés du CAC40 ont ce type de filiales), les dépôts des non résidents était évalué à 4800 milliards de dollars en 1997 (soit environ 54,2 % des actifs internationaux de l’époque, sans doute plus aujourd’hui).
A titre de comparaison, le PIB de la France est d’environ 1500 milliards de dollars, celui du monde d’environ 30000 milliards.

La lutte contre les paradis fiscaux

La lutte contre les paradis fiscaux passe par une information des citoyens, une action volontariste et concertée des Etats, de l’Union Européenne et des organisations internationales. Jusqu’ici leur action a été marginale. Voici quelques pistes non exhaustives :
 Faire pression sur les paradis fiscaux pour qu’ils lèvent le secret bancaire et collaborent avec les autorités judiciaires et fiscales des pays tiers.
 Les gouvernements pourraient ne plus apporter de garanties aux dépôts des filiales des banques placés dans les paradis fiscaux.
 Créer une taxe globale sur les multinationales dont le montant serait redistribué aux pays où elles sont présentes selon des critères à déterminer (chiffre d’affaire, capital investi…)
 Changer les normes comptables internationales : chaque multinationale doit rendre transparente sa comptabilité, dire dans quels pays elle est présente, ce qu’elle y fait, le montant de ses actifs, le nombre de ses salariés, ses profits avant impôts...