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Crise mondiale
Comment sortir du capitalisme ? Par Thomas Coutrot

Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°50 (avril-mai 2009)

" Comment sortir du capitalisme ?
Vers un socialisme civil "
Par Thomas Coutrot (économiste, membre du Conseil scientifique d’Attac)


La crise actuelle est une crise majeure du capitalisme, telle que celui-ci en a connue à la fin du XIXème siècle et dans les années 1930. Il faut avoir conscience que nous n’en sommes qu’au début, que d’autres effondrements majeurs, bancaires, industriels et monétaires, sont devant nous, et surtout une période de dépression économique longue. Suite à la crise bancaire provoquée au début des années 1990 par l’éclatement d’une bulle immobilière, le Japon a connu quinze années de stagnation alors même que son économie était tirée par les exportations vers la Chine et les USA. Aujourd’hui la crise est planétaire, il n’y a plus nulle part où exporter. Elle ouvre une période de grands dangers, mais aussi de grandes opportunités : comme le disait l’historien Immanuel Wallerstein dans une récente interview, « nous sommes dans une période, assez rare, où la crise et l’impuissance des puissants laissent une place au libre arbitre de chacun : il existe aujourd’hui un laps de temps pendant lequel nous avons chacun la possibilité d’influencer l’avenir par notre action individuelle », et surtout, ajouterais-je, par notre action collective.

Le néolibéralisme ne survivra sans doute pas à cette crise, ce sera le premier point que je développerai. Mais c’est une autre affaire pour ce qui concerne le capitalisme. Wallerstein suggère un scénario noir – « un système d’exploitation encore plus violent que le capitalisme » – mais on peut penser à un autre scénario, aussi vraisemblable mais guère plus réjouissant, celui d’un « capitalisme dictatorial et xénophobe », ou bien d’une « écodictature », comme l’écrivait André Gorz dans un texte écrit peu avant sa mort.

Ce texte remarquable s’intitulait « La sortie du capitalisme a commencé » - et c’est mon second point. En effet, si l’on veut éviter le scénario noir, j’essaierai de montrer qu’il est plus réaliste d’envisager une sortie du capitalisme que d’en rechercher un nouveau mode de régulation, un « néo-keynésianisme vert mondial », qui conserverait les traits essentiels du capitalisme, en particulier l’orientation de l’économie en fonction du seul impératif du profit. Dans une troisième partie j’ébaucherai une stratégie de sortie du capitalisme et d’affirmation d’un nouveau mode d’organisation de la société qu’on pourrait qualifier – en empruntant ce terme à l’économiste Bruno Théret - de « socialisme civil ».

1. Pourquoi le néolibéralisme ne se relèvera pas

Le néolibéralisme repose sur quatre piliers : la libre circulation des marchandises et des capitaux (l’utopie de la « liquidité » parfaite), la privatisation généralisée, la flexibilité du travail, le pouvoir absolu des actionnaires dans l’entreprise. Il a donné lieu à une vague d’innovation financière qui a échappé à tout contrôle. La finance mondiale a monstrueusement proliféré et se trouve aujourd’hui en voie d’implosion. Par la précarisation et la mise en concurrence des salariés du monde entier, le néolibéralisme a permis aux actionnaires de confisquer les gains de productivité : mais pour préserver la dynamique de la consommation, le système a dû recourir à l’empilement inconsidéré de dettes publiques et privées. L’épisode des subprimes n’est que le sommet de ce château de cartes qui ne pouvait à terme que s’effondrer. Nous y sommes.

Le néolibéralisme est un modèle de société, mais un étrange modèle puisqu’il est fondamentalement antisocial. Il repose sur l’hypostasie de l’individu égocentrique qui fait advenir l’intérêt général par la libre poursuite de son intérêt particulier. Il prône la soumission de la société à l’économie (« there is no such thing as society », « la société ça n’existe pas », disait Margaret Thatcher), la dissolution généralisée des collectifs et des solidarités sociales. Le capitalisme a toujours eu tendance à détruire les formes traditionnelles de socialisation, mais les sociologues classiques espéraient que la division du travail ou la démocratie introduiraient des formes alternatives de socialité. Or le néolibéralisme, qui est comme le dit Michel Husson un « pur capitalisme », où la logique capitaliste est libérée de toute entrave, ne porte aucune forme nouvelle de solidarité sociale. La liquidité totale du capital débouche sur la liquidation de la société. Prenons l’exemple de la monnaie, l’une des institutions de base de nos sociétés marchandes : jusqu’à présent elle était nécessairement adossée à un État, à une souveraineté. L’essor d’un marché financier mondialisé parfaitement fluide, et en particulier la généralisation des produits dérivés, permet en théorie de construire des équivalences entre tous les titres financiers. Des économistes américains ont analysé ce phénomène inédit comme une tentative de construire une monnaie mondiale privée, sans État mondial. L’effondrement actuel est celui de cette chimère théorique. La crise financière actuelle pourrait d’ailleurs bien culminer dans une crise monétaire, un effondrement du dollar, aux conséquences désastreuses pour tous.

Dans les années à venir les États et donc aussi les contribuables vont être appelés à renflouer un système financier et productif en déroute : les banques et l’automobile, puis la plupart des secteurs, vont être frappés par de gigantesques faillites qu’on ne pourra repousser (peut-être) que par des injections massives d’argent public, l’explosion des déficits des États et/ou l’activation massive de la planche à billets. L’idéologie néolibérale ne s’en remettra pas. La période de crise sociale et politique qui s’ouvre sera si profonde que les piliers du néolibéralisme ne seront plus politiquement défendables, du moins à l’intérieur de la légalité institutionnelle.

2. Pourquoi il faut sortir du capitalisme

Que signifierait alors instaurer un nouveau mode de régulation du capitalisme ? Restreindre politiquement le déploiement de la logique du profit ; viser un keynésianisme vert mondial. Il faudra bien sûr soutenir toute tentative sincère en ce sens (qu’on ne voit pas encore poindre, il faut le reconnaître, quand on lit la récente déclaration du G20, simple réaffirmation incantatoire des principes du néolibéralisme). Mais cette voie me semble peu réaliste pour quatre raisons au moins :

Non seulement il faut se préparer à sortir du capitalisme, mais cela va devenir une question politique d’actualité dans les années à venir. On peut anticiper la montée d’une profonde colère sociale devant le cynisme des élites économiques et politiques néolibérales (et social-libérales). Que nous proposent-elles en effet ? Après trois décennies qui ont vu la stagnation ou la baisse du niveau de vie général, et l’enrichissement scandaleux d’une infime minorité, les peuples devraient maintenant supporter non seulement le chômage et la misère de masse, mais encore un détournement massif des ressources publiques pour renflouer le système financier et les grands groupes capitalistes. Le philosophe Axel Honneth, le successeur de Jurgen Habermas à Francfort, nous explique que les mouvements sociaux trouvent de façon très générale leur source non pas tant dans des conflits d’intérêts matériels que dans l’expérience du déni de reconnaissance, du mépris social. Nous entrons sans doute dans une ère où l’expérience du mépris va percuter de plein fouet des millions de gens. Les luttes sociales se dérouleront bien sûr dans les entreprises (malgré le chômage et la précarité qui vont s’aggraver), mais aussi et surtout dans la rue, autour des banques, des sièges sociaux, des Bourses, à l’occasion des expulsions de locataires, de salariés occupant leur entreprise, de sans papiers... On peut aussi parier sur l’émergence de pratiques alternatives d’entraide, de survie, d’expérimentation, comme on l’a vu au Brésil ou en Argentine après des effondrements économiques : coopératives, systèmes d’échange locaux, etc. Pour éviter que la colère sociale soit détournée vers les habituels boucs émissaires, il faudra à la fois – j’y reviendrai - un puissant mouvement d’auto-organisation de la société, et l’irruption de nouvelles forces politiques dans les institutions pour y mener des politiques de transformation sociale.

3. Comment sortir du capitalisme ?

Si la question de la sortie du capitalisme est posée, comment y répondre ? Le mouvement ouvrier a buté sur trois problèmes clés : le sujet de cette transformation (la classe ouvrière ? le prolétariat ? le salariat ?), son rythme (réforme ou révolution ?) et sa méthode (par en haut ou par en bas, l’État ou l’auto-organisation sociale ?).

Concernant le sujet de la transformation sociale, très brièvement, je me contenterai de dire qu’on ne peut plus le concevoir comme une seule classe sociale, mais comme une convergence de forces sociales très diverses pour défendre et promouvoir les intérêts de la société dans son ensemble, contre les logiques mortifères du capital et de la guerre. On peut parler du « bloc social altermondialiste », cette alliance non-classiste qu’on voit émerger dans les forums sociaux, entre mouvements ouvrier, écologiste, paysan, féministe, indigène, pacifiste, de solidarité internationale, etc., bref, entre de multiples composantes de la société civile, qui expriment, comme le disait Karl Polanyi, la résistance de la société face à l’utopie du Grand Marché autorégulateur.

Concernant le rythme de la transformation sociale : la révolution ne peut plus être pensée sur le modèle du Grand Soir. On ne basculera pas d’un coup de la société actuelle dans une autre après un bref épisode révolutionnaire. D’abord parce qu’il n’existe pas aujourd’hui de projet socialiste (ou décroissantiste...) prêt à porter. Ensuite et surtout parce que la leçon majeure de l’échec du léninisme – et même du marxisme à cet égard –, c’est que le socialisme n’est pas l’enfant naturel du capitalisme, le fruit spontané de ses contradictions. Comme disait Gramsci le changement de société suppose une longue guerre de positions. Dans cette guerre de positions le bloc social alternatif (altermondialiste en l’occurrence) conteste l’hégémonie sociale du bloc capitaliste (néolibéral). Il construit lui-même, pas à pas, son programme, ses institutions alternatives, son hégémonie idéologique, au plan économique et politique. Il n’y a pas de chemin tracé, de modèle à appliquer, mais une longue période de création et d’innovation sociale, comme l’a été d’ailleurs l’émergence du capitalisme. Cela ne veut pas dire qu’une crise révolutionnaire – une « guerre de mouvement » - pourra être évitée (on l’a vu en 1789). Mais elle ne viendra, éventuellement, qu’après une phase de maturation qui pourrait durer plusieurs décennies. Nous ne pouvons pas écrire l’Histoire à l’avance, mais l’année 2008 marque probablement l’entrée dans cette « guerre de positions » entre deux blocs sociaux antagoniques en lutte pour l’hégémonie.

Le troisième point clé est celui de la méthode de la transformation sociale. Dans le mouvement ouvrier, les marxistes (généralement étatistes) s’opposaient aux libertaires (plutôt basistes). (Bien sûr c’est plus complexe, Rosa Luxembourg, Gramsci ou les autogestionnaires se sont démarqués d’une vision étatiste). Il importe d’affirmer que la stratégie de transformation sociale doit marcher sur les deux jambes de l’intervention publique et de l’autonomie populaire. Pour des raisons que je ne développerai pas ici, mais qui tiennent à l’inévitable tendance à l’émancipation des représentants vis-à-vis de leurs mandants, l’État est un outil mais aussi un obstacle ; il est autant un problème qu’une solution. La conquête du pouvoir politique est donc une nécessité mais les mouvements sociaux doivent conserver toute leur autonomie pour mettre la pression sur les élus, même les plus progressistes.

Il faut donc à la fois un programme politique qui prépare un dépassement du capitalisme en organisant l’intervention du plus grand nombre dans toutes les sphères de la société, dans l’économie mais aussi dans l’Etat. Mais il faut en même temps que prolifèrent les initiatives des mouvements sociaux et l’auto-organisation de la société civile.

Commençons par le programme de mesures politiques. Au plan économique on peut énumérer un certain nombre de changements des règles du jeu qu’une gauche de transformation sociale devrait porter dans le débat politique au plan régional, national, européen et mondial, et commencer à mettre en oeuvre là ou c’est possible (là je vous propose une liste de 11 orientations) :

En même temps il faudra changer les règles du jeu politique, accroître le contrôle citoyen sur les institutions, viser la démocratisation de l’État : là je suggère 5 orientations :

Car la deuxième jambe de la transformation sociale, c’est le développement de l’autonomie populaire, de l’intervention directe des citoyens dans les affaires économiques et politiques : je propose ici quatre axes de lutte :

Conclusion : quel modèle de société alternative ?

Comme l’explique le sociologue nord-américain Erik Olin Wright, les sociétés modernes sont structurées autour de trois pôles fondamentaux : l’économie, l’État et la société civile. Dans le capitalisme, l’économie (le capital) exerce son hégémonie sur l’État et sur la société civile. Dans le « socialisme » bureaucratique l’État domine, absorbe même l’économie et la société civile. Dans le « socialisme civil », c’est la société civile qui assure son hégémonie sur l’économie et sur l’État. Le capitalisme recherche la marchandisation généralisée, le « socialisme » bureaucratique se fonde sur l’étatisation de la société, le socialisme civil peut être décrit comme une entreprise de civilisation. Il ne décrète pas l’abolition de l’État ou du marché, mais organise progressivement (et à très long terme) leur dépérissement par leur socialisation.

La stratégie ici ébauchée amène une remise en cause des institutions centrales du capitalisme : le despotisme du capital dans l’entreprise, la liberté (pour le capital) d’exploiter la main-d’œuvre par les outils du chômage et de la précarité, la liberté (toujours pour le capital) de circuler et de s’investir où il l’entend. Elle s’attaque donc aux rapports de propriété capitalistes eux-mêmes. Elle s’attaque tout autant aux mécanismes de la domination étatique, à l’accumulation privative de capital politique. C’est donc une stratégie révolutionnaire. Mais il s’agit aussi et d’abord d’une stratégie réformiste. Aucune des avancées démocratiques évoquées n’est par elle-même une rupture de l’ordre capitaliste. La démocratisation et la socialisation de l’économie résulteront d’abord d’une série d’avancées démocratiques partielles combinées qui sapent le pouvoir du capital. Grâce à ces avancées, la société civile fera son apprentissage collectif de la gestion de l’économie et de l’État. Jusqu’où le capitalisme pourra-t-il s’adapter ? Jusqu’où les élites économiques supporteront-elles de voir leur pouvoir désarticulé, encerclé, contrôlé de l’intérieur et de l’extérieur, du dessus et du dessous, par des mouvements sociaux et des acteurs politiques déterminés à faire valoir le principe démocratique dans toutes les sphères de la société ?

Il est bien trop tôt pour se poser ce genre de questions. C’est pourquoi le clivage traditionnel entre réformistes et révolutionnaires n’est pas vraiment opératoire dans la période actuelle. Personnellement, je pense que si le capital commence à perdre cette guerre de positions, il réagira violemment. Il faudra alors que la société tranche la question des droits à la propriété privée des grands moyens de production. La société civile pourra alors instaurer son hégémonie – celle de la démocratie - sur l’économie et sur l’État. Mais aujourd’hui le clivage pertinent à gauche est autre : aménager l’actuel ordre néo-libéral sans contester le pouvoir de la finance, ou bien viser de nouvelles avancées démocratiques, fondées sur la participation active des citoyens aux décisions qui les concernent dans tous les domaines ? Rénovation du néo-libéralisme ou extension de la démocratie ? Tel est le clivage de court et moyen terme. A long terme, si la transformation sociale s’approfondit, elle obligera probablement les sociétés à choisir entre capitalisme et démocratie. Comme vous le voyez, je crois comme vous à la vertu des utopies, mais des utopies réalistes, ancrées dans le mouvement réel des choses et dans la longue durée.

* Ce texte reprend une conférence donnée au mouvement Utopia par Th. Coutrot.



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