Attac 45, 10 ans d’altermondialisme. Par Rémi Daviau (mai 2009) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°51 (juin-septembre 2009)

Sous l’impulsion de l’impressionnante expansion qu’a connue Attac dans ses premières années, Attac 45 a été créée sur le territoire peu enclin aux alternatives qu’est le Loiret en avril 1999, il y a donc dix ans. Saisissons l’occasion de faire un bilan global de notre activité ! Liés au mouvement ATTAC par une charte et autonomes dans nos actions, représentés (de manière inégale) dans les trois plus grandes agglomérations (orléanaise, montargoise et giennoise), en contact fréquent avec les antennes locales de la constellation altermondialiste, producteurs et diffuseurs d’information, organisateurs de manifestations, nous avons sans conteste développé une action reconnue face à la principale caractéristique de notre temps : l’emprise quasi totale du pouvoir financier sur notre monde au détriment de la démocratie, de la justice, de la solidarité et de l’écologie.

Un espace de liberté intellectuelle

La préoccupation première de notre comité local a été d’ouvrir des espaces de compréhension, d’échange, de débat. Sans dogmatisme et en toute indépendance, car nous savons qu’il n’est pas d’action efficace sans une compréhension préalable des enjeux. Une partie de nos actions consiste donc à présenter, discuter et nous emparer de connaissances, souvent de manière académique : ainsi débats publics, conférences (1), projections de films, expositions (2), font-ils partie de notre activité de base ; ainsi co-organisation d’événements avec d’autres structures (3), et actions au sein de collectifs (4) sont-ils dans nos priorités.

Moins classiquement, ajoutons cependant que nos actions de sensibilisation peuvent prendre d’autres formes : souvenons-nous juste des étiquetages de produits soupçonnés OGM en magasins ; de l’invasion d’un supermarché par des caddies pleins de produits Danone à l’époque du boycott contre les licenciements ; ou encore des affichettes apposées sur des distributeurs annonçant les placements des banques dans les paradis fiscaux...

Au regard des sujets abordés en dix ans, la volonté apparaît clairement de favoriser un regard transversal et de créer des passerelles entre les différentes thématiques, qu’elles soient financières, économiques, sociales, écologiques, démocratiques, politiques. La mondialisation néolibérale, outil de développement du capitalisme financier, n’a-t-elle pas pénétré chaque aspect, chaque recoin de notre planète et de notre vie ?

Analyse critique du néolibéralisme et recherche d’alternatives

Si l’analyse critique documentée est un versant de notre activité, l’autre est l’élaboration de propositions alternatives. C’est donc par les deux faces que nous abordons la plupart des thèmes auxquels nous sommes attachés, et qui chacun ont fait l’objet de dizaines d’actions de notre part :

Le néolibéralisme et le capitalisme financier. Du premier jour à aujourd’hui, il est au coeur de notre travail : son histoire, son idéologie, ses outils (paradis fiscaux, fonds de pension, institutions internationales, libre-échange...) et les régressions sociale, démocratique et écologique qui l’accompagnent, jusqu’à l’effondrement actuel.

Le système de gouvernance internationale. Oligarchique, très largement au service de l’ordre que nous combattons. Nous avons ainsi décrypté le rôle et le fonctionnement de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), de la Banque mondiale et du FMI (Fond monétaire international), du G8 et de l’OTAN ; nous nous sommes intéressés aux rapports nord-sud, à la dette du tiers-monde, aux ajustements structurels, aux migrations, à la souveraineté alimentaire. Nous avons aussi travaillé au niveau européen, et en particulier sur les dernières évolutions de l’Union, par exemple à travers une campagne intensive contre le Traité constitutionnel en 2005.

La notion de biens publics. Nous avons informé et mené campagne sur les domaines qui doivent rester, ou passer, hors de la sphère purement marchande ; en particulier l’eau, la santé, le système de retraites par répartition, mais aussi l’éducation, la recherche, la culture ; la Poste, le réseau d’électricité... Sans évidemment oublier l’AGCS (Accord Général sur la commercialisation des Services), programme international de destruction des services publics signé au sein de l’OMC.

L’aspect écologique de la crise. Les conséquences écologiques de l’agissement des multinationales (Bayer et BASF pour le Régent et le Gaucho ; et bien entendu au premier plan, Monsanto et les OGM) ; mais aussi le pic pétrolier, l’empreinte écologique, les notions de productivisme et de décroissance, sont parmi les points qui ont retenu notre attention.

Avec une mention spéciale pour notre action locale sur les OGM : dès sa création, notre groupe est en pointe dans cette lutte (en 2000, le Loiret est un département pilote pour les expérimentations en plein champ), et propose à toutes les communes du Loiret une délibération interdisant sur leur commune la culture de plantes génétiquement modifiées ; initiative qui sera reprise dans la France entière. Depuis, des structures spécialisées se sont créées (Loiret sans OGM), dont nous sommes partie prenante.

La précarisation et les luttes sociales. Activité de promotion plutôt que d’impulsion pour nous, le plus souvent au sein de collectifs (puisque la raison d’être d’Attac n’est pas un travail de défense sur le terrain, activité assurée par d’autres structures plus compétentes que nous), nous avons contribué à alerter et défendre les cas de personnes ou groupes "sans" (sans papiers, sans logement, sans travail, ...).

La promotion d’alternatives concrètes

Quels autres mondes possibles ? En contrepartie de l’analyse et de la réflexion sur le long terme, il est essentiel d’ouvrir des voies par la reconnaissance et la promotion de pratiques alternatives. Ainsi, Attac 45 (à l’instar de la plupart des comités locaux d’Attac en France, en ceci nettement plus souples que la structure nationale !) a participé, voire impulsé des expériences concrètes : dans le domaine de la relocalisation du circuit alimentaire (Attac 45 avait initié un partenariat solidaire avec les producteurs bio du Loiret, avant que le projet n’évolue et réapparaisse sous la forme de la première AMAP du Loiret suite à un Forum social local ; initiative qui allait en engendrer plusieurs autres dans le département) ; des pratiques collectives alternatives (le lieu autogéré orléanais le Chiendent a lui aussi été lancé lors d’un Forum social local, et largement soutenu par notre groupe à ses débuts) ; ou encore sur le travail (échanges avec les acteurs locaux de l’économie sociale et solidaire, réflexions à partir des films de Pierre Carles, des expériences argentines ou britanniques de reprises d’entreprises...).

Sans oublier l’espace privilégié de l’altermondialisme, l’irremplaçable lieu d’échange, de confrontation et d’élaboration collective, horizontal, ouvert et démocratique, qu’est un Forum Social. Nous avions participé à l’édition mondiale 2001 de Porto Alegre en la personne de notre premier président, Christian Weber ; nous avons, avec plusieurs autres groupes ATTAC de la région Centre, ainsi que quelques autres structures, envoyé une représentante locale, Erika Girault, à l’édition 2009 de Bélem. Et localement, nous avons impulsé la première série de Forums sociaux locaux sur Orléans et Montargis, entre 2002 et 2004 (d’où sont sorties plusieurs initiatives fructueuses, dont un collectif de promotion des services publics, une AMAP, le Chiendent, l’animation du Grand Raffut...) ; nous avons relancé la dynamique en mai 2009, de manière encourageante ; mais ne brulons pas les étapes !

Et maintenant...

On le voit, dans le sillage du mouvement altermondialiste international, notre action aura consisté à mettre en lumière et à décrédibiliser fortement le mécanisme du néolibéralisme. Attac 45 a modestement (mais obstinément) oeuvré pour faire bouger les lignes en mettant des thématiques en débat, et c’est la première bataille à gagner, car nous savons que le monde est dirigé par des idées !

Qui, il y a dix ans, à Orléans ou ailleurs, pariait sur les taxes internationales, sur un rejet massif des OGM, sur la remise en cause des paradis fiscaux ?... Aujourd’hui, puisque nous avançons nous aussi, nous oeuvrons à éclairer l’articulation entre les différents aspects de la crise globale dans laquelle nous nous trouvons. Nous parlons de sortie du néolibéralisme, du productivisme, du capitalisme. Jamais les projets de société alternative n’ont été aussi brûlants, nous relançons une dynamique locale, issue du dernier Forum social orléanais, qui rassemble des gens venus de tous horizons pour oeuvrer ensemble.

La prochaine Assemblée générale d’Attac 45, programmée le 03 octobre 2009, sera sans doute l’occasion de définir plus précisément les modalités de travail de notre groupe dans la configuration, autant locale qu’internationale, qui s’annonce. Réservez votre journée !

Notes

1) On en oublie certainement, mais citons quelques intervenants : Jean-Pierre Berlan, Claudine Blasco, François Brune, Pierre Carles, Bernard Cassen, Thomas Coutrot, François Dufour, Gérard Filoche, Susan George, Pierre Guiard-Schmitt, Jean-Marie Harribey, Michel Husson, Jean-Marc Jancovici, Esther Jeffers, Raoul-Marc Jennar, Pierre Khalfa, Marc Laimé, Mohamed Larbi Bouguerra, Serge Latouche, Marc Le Glatin, Frédéric Lordon, Damien Millet, Jacques Nikonoff, René Passet, Dominique Plihon, Ignacio Ramonet, Claude Serfati, Bernard Teper, Eric Toussaint, Jean-Luc Touly...

2) Merci à tous nos partenaires, dont : Couleurs Café, Le petit Bouchon, l’Atelier, Autour de la Terre, le cinéma des Carmes, le théâtre de la Tête Noire, le Centre dramatique national, l’Astrolabe, le Défi’stival, la librairie des Temps Modernes, Radio Campus, Radio Chalette...

3) Associations, syndicats, organisations politiques, municipalités... La liste de ceux avec qui nous avons travaillé jusqu’ici est démesurément longue, mais pas dépourvue - malgré sa variété - d’une cohérence certaine, puisqu’on y retrouve, sans sectarisme, tous ceux qui, à leur manière propre, oeuvrent pour les mêmes valeurs que nous !

4) Certains de ces collectifs durent (le Forum des droits de l’Homme, devenu des droits Humains ; le collectif Egalité ; le collectif de soutien aux Faucheurs volontaires...) ; d’autres ont existé le temps d’actions ponctuelles, comme des manifestations à l’occasion de sommets internationaux (OMC, G8, OTAN...).