Attac contre le Pare, par Jean-Pierre Masson (sept. 2000) Extrait de la Lettre d’attac 45 n°5, septembre 2000

Le Bureau d’Attac 45, a décidé le 10 juillet de s’associer à l’appel des quatre organisations de chômeurs - AC !, APEIS, CGT chômeurs et MNCP contre le Plan d’aide au retour à l’emploi (PARE) signé par le Mouvement des entreprises de France (Medef) et deux confédérations syndicales, la CFDT et la CFTC. Cette décision a été confirmée par le CA de notre association le 5 septembre. De leur côté le bureau national d’Attac et plusieurs autres groupes locaux ont fait de même.

Comme l’indique le communiqué d’Attac national nous entendons ainsi affirmer notre totale solidarité avec les
organisations de chômeurs et dénoncer le projet de « refondation sociale » porté par le Medef. Ce projet s’inscrit dans la droite ligne d’une mondialisation libérale qui, comme l’indique la plate-forme
constitutive de l’association, « a pour
conséquences l’accroissement permanent
des revenus du capital au détriment de
ceux du travail, la généralisation de la
précarité et l’extension de la pauvreté ».

C’est donc un processus de la plus extrême gravité qui est actuellement engagé par le Medef, et qui appelle un
sursaut immédiat de la part de la représentation nationale, du gouvernement et de l’ensemble des citoyens. Tout comme l’OMC prétendait, à travers le Cycle du millénaire, doter la planète d’une nouvelle Constitution, le Medef se propose, à l’échelle de la France, de réécrire à sa façon, et à son seul bénéfice, la loi fondamentale de la
République. Attac s’opposera vigoureusement à cette prétention et demande à toutes les organisations syndicales et associatives d’organiser en commun la riposte qui s’impose.

Le contenu de l’accord

Nous empruntons les paragraphes qui suivent à l’analyse faite par la Fédération Générale des Transports et
de l’Equipement (FGTE-CFDT, membre fondateur d’Attac, minoritaire au sein de la CFDT).

On note tout d’abord la curieuse économie d’un texte qui impose beaucoup de contraintes aux chômeurs, assorties de menaces de sanctions, alors que l’on se contente de vagues
recommandations aux entreprises sans envisager la moindre pénalité à leur égard ; au contraire, elles empochent une
substantielle baisse générale des cotisations augmentée d’une baisse supplémentaire via les mesures concernant les publics en difficultés ! Enfin, le texte prévoit de lourdes obligations pour le service public de l’emploi qui est sous la responsabilité de l’Etat à qui on demande d’agréer l’ensemble sans discuter ! Cette inégalité de droits et de devoirs entre chômeurs et entreprises est profondément choquante. Cette prétention à décider pour le compte de l’Etat sans le consulter laisse songeur.

La priorité n’est pas de baisser les cotisations, notamment patronales. Elle est d’étendre la couverture assurée par
l’Unedic et d’améliorer les conditions d’indemnisation, notamment pour les jeunes et les précaires. (...)

Enfin, l’accord ne modifie pas le système des filières d’indemnisation liées à l’âge et à la durée de cotisation, ne revalorise pas les taux et les durées d’indemnisation, ne révise pas les taux défavorables lors des réinscriptions au chômage et pour les activités réduites, ni les allocations minorées pour les temps partiels...

On est loin de l’ambition qu’auraient permis les excédents attendus de l’amélioration de la situation de l’emploi.
Le prix à payer pour la satisfaction de la revendication patronale de baisse des cotisations est lourd.

Pour nous, le caractère obligatoire du PARE, la référence aux capacités professionnelles, la place attribuée au
service public de l’emploi, le pouvoir de sanction que s’arroge l’Unedic modifient négativement la nature du système.

Il est inacceptable que le droit à l’indemnisation découle de la signature du PARE et plus seulement du fait d’avoir
cotisé assorti de conditions d’activité antérieure minimum. (...)

Faute de précautions suffisantes dans le texte, comment ne pas craindre, dans l’application, les influences de la
philosophie souvent exprimée par le patronat : réutiliser au mieux de ses intérêts les « employables » et renvoyer
à la solidarité nationale les « inemployables ».

Faire obligation aux demandeurs d’emplois, sous peine de sanction, d’accepter à partir du 6ème mois de chômage, « les emplois qui entrent dans le champ de leurs capacité professionnelle » et, à partir du 12ème mois, les emplois « correspondant à leurs aptitudes » est une régression par rapport au Code du Travail (L.311-5) qui se réfère
à des emplois « compatibles avec leur spécialité ou leur formation antérieure ». Dans le 1er cas on est dans un domaine d’appréciation largement subjective donc
ouvert à l’arbitraire possible au gré des pressions patronales. Dans la définition du Code du Travail, nous sommes sur un terrain plus objectif, plus mesurable
et donc permettant une meilleure défense des conditions d’emploi des salariés. La différence est de taille et correspond bien au souci patronal d’imposer ses
conditions dégradées de reprise d’emploi pour contribuer à la baisse du coût du travail qu’il recherche par tous les moyens. Cela l’aidera aussi à s’opposer aux demandes
de revalorisation salariale et de meilleur paiement des qualifications qui ne manqueront pas de s’exprimer dans
les entreprises avec l’amélioration de la croissance et de l’emploi. Comment ne pas s’inquiéter aussi du lien entre ces dispositifs contraignants et la possibilité
ouverte vers la création de nouveaux contrats précaires de 18 mois à 5 ans pour la réalisation d’un projet ou d’une mission, qui sont des objectifs forts affichés dans
les textes d’orientation du Medef ? (...)

La presse a révélé que les agences d’interim étaient candidates pour se positionner sur ce nouveau « marché » de
l’évaluation des chômeurs. Si tel était le cas, nous serions confrontés, de fait, à une privatisation partielle des tâches du service public de l’emploi parfaitement en phase avec les objectifs de privatisation qu’affiche le Medef dans tous les domaines de la protection sociale
(assurance maladie, médecine du travail, fonds de pension,...). (...)

Cette négociation sur l’Unedic était la 1ère pierre de l’entreprise de refondation sociale du Medef, refondation libérale serait d’ailleurs un terme plus approprié.
Les textes du Medef, que l’on peut consulter sur son site web (www.medef.fr) sont clairs sur ses objectifs : redéfinir l’ordre public social, renverser la hiérarchie
des normes entre la loi et le contrat, faire de l’entreprise la base du système. Le rêve du Medef : le contrat de travail individuel conclu de gré à gré. On sait que le rapport salarié-patron n’est pas un rapport
égalitaire mais un rapport de subordination. (...)

Le projet patronal a une cohérence qui mêle libéralisme et corporatisme : libéralisme quand il s’agit de déréglementer le social, de faire reculer l’ordre public social et l’intervention de l’Etat dans l’économie ; corporatisme
quand il s’agit de donner la prééminence aux accords d’entreprise. Vers où cela nous conduit-il ? Va-t-on aller vers un modèle social fondé sur les « professions organisées » via le contractuel décentralisé prévalant sur la loi d’un Etat réduit à ses fonctions régaliennes ? Veut-on ressusciter une version moderne de la république Saint-Simonienne : celle d’un patronat prétendument éclairé et d’un syndicalisme qui ne le serait pas moins
s’arrogeant la mise en œuvre de l’intérêt général pour le bien de citoyens tenus en lisière des décisions qui pourtant les engagent ? Nous croyons nécessaire de
reprendre l’analyse que nous faisons du patronat, de son projet, de sa stratégie... et de clarifier le projet social de la CFDT.

Et maintenant ?

La logique libérale du Medef pourra-t-elle être contrée par un front social qui a besoin d’être plus que jamais uni ?

La réouverture de négociations s’impose : elles devront impliquer le gouvernement et entendre les organisations de chômeurs ainsi que les organisations syndicales qui ne sont pas encore considérées comme représentatives au niveau national.

Une reprise des discussions se profile, avec des objectifs de progrès social clairement affichés :

  • augmentation substantielle du nombre de chômeurs indemnisés ;
  • amélioration du système des filières d’indemnisation liées à l’âge et à la durée de cotisation, revalorisation des taux et des durées d’indemnisation, y compris lors de réinscription au chômage, d’activités réduites : aucune indemnité ne devrait être inférieure au seuil de
    pauvreté ;
  • mise en place d’un système dynamique - et non pas coercitif - de retour à l’emploi qui fasse porter prioritairement l’effort sur les publics les plus en
    difficultés ;
  • garantie de conditions de reprise d’emploi qui contrent la stratégie patronale de précarisation de l’emploi et
    de baisse du coût du travail ;

Dans la prochaine version du texte, les chômeurs seront-ils encore soupçonnés d’être responsables de leur situation (de nombreux articles du texte de fin juin limitaient la portée de l’accord aux « salariés involontairement privés
d’emploi »...) ? A suivre de près ...

Jean-Pierre Masson, Attac 45