La faillite des retraites ? un mensonge d’état, par Jean-Marie Harribey

, par attac92clamart

 

La faillite des retraites ?

un mensonge d’état


Crise démographique, chômage, compétitivité économique, réformisme, tous les prétextes sont bons pour faire croire que le système de retraite par répartition hérité du Conseil National de la Résistance doit être changé. Une antienne libérale que décryptait Jean-Marie Harribey, dans la revue Expression Immigrées Françaises qui est toujours d’actualité...

La faillite des retraites ? un mensonge d’état

Depuis quinze ans, s’organise une gigantesque escroquerie intellectuelle et politique à l’échelle planétaire au sujet des retraites, dont la France donne un exemple saisissant. Au-delà du constat exact que l’espérance de vie augmente sensiblement, que la fécondité s’est ralentie et donc que la population voit sa moyenne d’âge augmenter, le reste est entièrement faux. Les mensonges les plus grossiers sont répandus par tous les patronats du monde, tous les gouvernements et les institutions internationales (FMI, Banque mondiale, OCDE, Union européenne) et entretenus par la plupart des médias.

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Raisonnons sur le cas français.

Il y a aujourd’hui 4 retraités pour 10 travailleurs actifs cotisants. Dans 40 ans, il y en aura 7 pour 10 : l’augmentation sera donc de trois quarts, c’est-à-dire de 75%.

Aussitôt, les sirènes libérales affolent l’opinion : notre système de retraites par répartition n’est plus viable. Le premier mensonge est là : ne pas comparer l’accroissement de la charge pesant sur les actifs avec l’augmentation de leur productivité. Or, si peu que progressera la productivité du travail en 40 ans, cette progression sera supérieure à l’augmentation de la charge inactifs/actifs : ainsi, une progression (pourtant très faible) de la productivité de 1,75% par an donne un doublement (donc +100%) en 40 ans.

Au lieu d’accompagner ces deux évolutions (la démographie et la productivité) par une augmentation très faible mais continue des cotisations sociales, parfaitement possible économiquement, le gouvernement et le patronat français n’entendent jouer que sur deux autres leviers : l’augmentation de la durée de cotisations (de 37,5 ans à 40, puis 41 et 42, voire repousser l’âge de la retraite à 62 ou 65 ans) et la baisse du niveau des pensions.

Les réformes de 1993, 2003 et 2008 dégraderont la situation des retraités parce que peu de salariés pourront réunir 40 ans et plus de cotisations et parce que le niveau des pensions est définitivement déconnecté de l’enrichissement de la collectivité.

Le comble du cynisme est atteint en appelant au travail les « seniors », alors que pas un emploi supplémentaire ne peut jaillir de cette exhortation, sinon au détriment des jeunes.

Pourquoi un tel bourrage de crâne ? La première raison est d’éviter à tout prix une augmentation des cotisations sociales dont la plus grosse partie serait à la charge des entreprises puisque, par ailleurs, les salaires directs sont bloqués. Au nom de la « compétitivité », le « coût du travail » ne doit pas augmenter, sans dire un mot de l’extraordinaire accroissement du coût du capital dont l’exigence de rentabilité atteint des sommets depuis trente ans, au point d’avoir déplacé 8% de la richesse produite de la masse salariale vers les profits. Il s’agit donc de de figer éternellement ce véritable hold-up et les inégalités qui s’en sont suivies.

La deuxième raison est de réduire le périmètre de la protection sociale pour élargir celui des compagnies d’assurances et des fonds de pension privés, et ainsi drainer une épargne supérieure vers des marchés financiers avides de liquidités. Avec deux impostures de plus à la clé car les systèmes de retraites par capitalisation n’engendrent aucune valeur supplémentaire, ils ne font que répartir vers les plus riches celle produite par les actifs ; et car ils soumettent les retraites aux caprices de la Bourse et à la spéculation.

Il n’y a donc de voie équitable qu’en renversant la vapeur : d’abord cesser les exonérations de cotisations patronales (26,8 milliards d’euros en 2007, soit 1,4% du PIB), ensuite consacrer à peine un tiers des gains de productivité à l’augmentation du taux de cotisations pour assurer durablement l’équilibre des retraites.

Jean-Marie Harribey, co-président d’attac, économiste, maître de conférence à l’université Montesquieu - Bordeaux 4, il enseigne notamment l’économie et l’analyse des problèmes sociaux. Ses domaines de recherche sont la critique de l’économie politique, la théorie de la valeur, la socio-économie du travail et de la protection sociale et le développement soutenable.