Isabelle Autissier : Pollution de l’eau : l’Etat doit mettre au pas l’agriculture industrielle

, par attac92clamart

Pollution de l’eau : l’Etat doit mettre au pas l’agriculture industrielle

Isabelle Autissier, présidente du WWF France

Dans son rapport annuel 2010, la Cour des comptes vient une nouvelle fois d’épingler "l’insuffisante volonté de l’Etat de remettre en cause des pratiques agricoles marquées par l’encouragement au productivisme et le choix d’une agriculture intensive". Cela a valu à l’Etat plusieurs condamnations, aux niveaux national et européen, la dernière concernant l’affaire des algues vertes. Et avant la fin de l’année, la France risque d’être une nouvelle fois condamnée pour son non-respect de la directive nitrates. La situation est telle que le Conseil d’Etat est allé jusqu’à reconnaître, dans un rapport publié début juin (L’eau et son droit), que "la sanction communautaire est le seul levier efficace pour surmonter le poids conjugué des intérêts économiques ou catégoriels et de l’inertie des collectivités publiques face à eux, Etat et collectivités territoriales".

Le documentaire Du poison dans l’eau du robinet diffusé le 17 mai sur France 3 a jeté un trouble sur l’information relative à la qualité de l’eau potable distribuée en France. Il soulève surtout la question des pollutions en amont : comment croire que l’on va pouvoir traiter indéfiniment, à un coût acceptable pour la société, les eaux brutes qui sont le réceptacle de toutes nos pollutions ?

 

Qu’en 2008, 75 % des restrictions de consommation d’eau, sur le seul critère des pesticides, aient été concentrées dans la Seine-et-Marne et l’Eure-et-Loir n’est pas une surprise : ces deux départements arrivent en tête au niveau national pour la production intensive de grandes cultures céréalières. En raison de coûts de production particulièrement élevés dus à l’achat important d’intrants (nitrates, pesticides…), ce mode de production ne serait pas tenable s’il n’était largement subventionné par la politique agricole commune (PAC). C’est donc à l’aide de l’argent du contribuable que l’eau de ces départements est contaminée.

IL EST TEMPS DE SORTIR DE LA "COGESTION" ENTRE LE MINISTÈRE DE L’AGRICULTURE ET LA FNSEA

Hélas ! Il n’y a rien ici de nouveau : la première interdiction de distribution d’eau potable à cause des nitrates remonte à… 1976. C’était il y a trente-quatre ans… Qu’a-t-on fait depuis ? En 1980, le rapport Hénin désignait l’agriculture intensive comme responsable d’une "pollution diffuse" en participant largement à la dégradation de la ressource en eau. Depuis, les rapports se sont accumulés, toujours plus accablants. En 2001, soit vingt et un ans plus tard, le rapport Villey-Desmeserets concluait que "la contamination des cours d’eaux surveillés est générale". Pourtant les gouvernements successifs n’ont pas remis en cause le modèle agro-industriel.

Plus précisément, les pouvoirs publics n’ont fait que tenter d’atténuer à la marge les "dommages collatéraux" de l’agriculture industrielle. Ils ont surtout misé sur des traitements curatifs de plus en plus coûteux pour parvenir à transformer une eau de plus en plus polluée en eau potable.

Un exemple : 200 millions d’euros au minimum pour régler le problème de l’eau potable dans le seul département de l’Eure-et-Loir. Pour préserver l’eau face aux pollutions agricoles, ce sont 310 millions d’euros qui ont été alloués, sans résultats probants, pour la seule Bretagne entre 1993 et 2000 et, au niveau national, 493 millions d’euros sont prévus au titre de la lutte contre les pollutions agricoles par les agences de l’eau entre 2007 et 2012… Il faut savoir que ces coûts sont supportés par les ménages, en contradiction avec le principe du pollueur-payeur, ce que la Cour des comptes a dénoncé à plusieurs reprises. Le Conseil d’Etat vient de lui emboîter le pas, de manière très sévère, appelant à une étude sur le coût de la pollution ainsi qu’à une application nettement plus rigoureuse du principe pollueur-payeur à l’agriculture avec notamment l’instauration d’une taxe sur les nitrates.

Ainsi, le contribuable, après avoir subventionné des pratiques polluantes, paie pour la dépollution puis les condamnations ! On marche sur la tête ! Les récents propos de M. Le Métayer affirmant que "la pause environnementale ne coûtera pas d’argent" sont aussi faux qu’irresponsables. Ils auraient en outre pour résultat de maintenir les agriculteurs dans un système dont ils sont autant victimes qu’acteurs, comme maillon d’une chaîne de production qui les dépasse et qui les a conduits dans une impasse économique, sociale et écologique. Ces propos sont d’autant plus irresponsables que les études scientifiques pointant les dangers des produits phytosanitaires pour la santé des agriculteurs s’accumulent.

ÉLABORER UN NOUVEAU CONTRAT SOCIAL AVEC LES AGRICULTEURS

Pourtant l’Etat continue de subventionner majoritairement les pratiques agricoles intensives. Les premières réorientations du Grenelle et du plan Barnier sont à encourager mais restent insuffisantes. Alors que l’alerte est donnée depuis maintenant trente ans, il y a, comme pour l’amiante, une volonté de nier la gravité du problème et de ne pas s’attaquer à sa cause première : l’agriculture industrielle. Pourtant d’autres modèles agricoles existent et ont déjà fait leurs preuves. Ils sont bénéfiques pour l’environnement, l’emploi et le revenu des agriculteurs et sont pratiqués par des dizaines de milliers d’agriculteurs en France.

La responsabilité des gouvernements successifs est lourde. Devant tant d’incohérences, le WWF demande une commission d’enquête parlementaire sur la gestion du service public de l’eau au regard des pollutions agricoles diffuses, un rapport de la Cour des comptes sur la responsabilité des pouvoirs publics et le coût supporté par les Français depuis 1980 du fait de leur carence, un rapport exhaustif sur les aides publiques dommageables à l’environnement ainsi qu’un Grenelle de l’Eau, l’eau ayant été la grande oubliée du Grenelle de l’environnement.

Il est grand temps de dire la vérité aux Français et aux agriculteurs, de sortir de la "cogestion" entre le ministère de l’agriculture et la FNSEA, de cesser de gaspiller les deniers publics et d’élaborer un nouveau contrat social avec les agriculteurs, basé sur la reconnaissance ainsi que la rémunération des services environnementaux qu’ils rendent à la société toute entière.

Le ministre de l’agriculture qui saura initier la remise en cause du modèle agricole industriel s’inscrira comme un grand ministre de l’agriculture, sinon il viendra s’ajouter à une liste déjà longue de responsables d’une situation alarmante. La position de la France pour la prochaine réforme de la PAC, et la place qui sera donnée à la protection et la gestion des ressources naturelles, témoignera de la volonté du gouvernement de mettre fin – ou non – à l’incohérence entre politique de l’eau et politique agricole et à ce qui constitue depuis trente ans un scandale d’Etat.

Isabelle Autissier, présidente du WWF France


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