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Conte en boucle

ou comment la libéralisation détruit les services publics

mercredi 28 décembre 2005

Le 15 juin 1906, les députés français pressentant, que le vingtième siècle verrait se répandre l’usage de l’électricité dans les villes et villages de notre pays, décident de reconnaître aux communes le pouvoir concédant en matière de distribution électrique. Cette sage décision a rendu les collectivités locales propriétaires d’un réseau de distribution qui représente actuellement (en 2005) quelques 1 200 000 km de lignes électriques des réseaux basse et moyenne tension.

Effectivement l’entre deux guerres a été marqué par l’apparition de la fée électricité dans nombre de foyers français. Les communes n’ayant pas pour vocation de planter des poteaux ni de construire des postes de transformation, nombre d’entre elles passent des marchés avec des entreprises émergentes dans ce secteur des nouvelles technologies ; l’une de ces entreprises, la Société Lyonnaise des Eaux et de l’Éclairage (SLEE), sera d’ailleurs promise à un grand avenir : le groupe Suez (http://www.suez.fr/groupe/french/hi...).

Les entreprises privées, ont tendance à privilégier les zones urbaines (plus rentables) que les zones rurales : elles équipèrent donc en priorité les grandes villes. En 1923, les communes rurales d’un de nos départements français décident de mettre en commun leurs moyens pour accélérer l’équipement électrique de ces zones rurales : elles créent le Syndicat Intercommunal d’Electricité (aujourd’hui : d’Energie) de ce département. Ce syndicat regroupe aujourd’hui 306 communes représentées chacune par un délégué. En 1927 le syndicat intercommunal crée une régie d’électricité qui assure l’entretien et le développement du réseau, la gestion des usagers et possède quelques petites centrales locales de production. Conformément au programme du Conseil National de la Résistance, la loi du 8 avril 1946 nationalise les entreprises privées de production, de transport et de distribution de l’électricité, c’est la création d’EDF. Les services publics locaux, qui respectent les principes des services publics, conservent à juste titre leur autonomie : ils ne sont pas concernés par la nationalisation du secteur de l’électricité. Les personnels employés par les régies bénéficient des conventions salariales du secteur, au même titre que les employés d’EDF.

Les 330 salariés de la régie intercommunale dont nous contons l’histoire garantissent à 130 000 habitants de ce département la continuité du service, à la satisfaction de tous.

Une telle situation de monopole territorial est évidemment insupportable aux yeux des commissaires bruxellois, chargés par nos gouvernants d’assurer la fluidité d’un marché riche de gains potentiels pour des actionnaires. En 1996 est publiée par la Commission la directive européenne 96/92/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité. La loi du 10 février 2000 transpose en droit français, avec quelque retard, il est vrai, cette directive. Pour garantir une fixation des prix conforme aux règles d’une “ concurrence libre et non faussée ”, un marché de l’électricité est créé en 2001, Powernext, marché de gros où les kilowattheures se vendent et s’achètent aux enchères (www.powernext.com).

Le 16 mars 2002 le conseil européen de Barcelone décide d’accélérer le processus de libéralisation du marché de l’électricité. En 2004 tous les professionnels doivent pouvoir choisir leurs fournisseurs. Les conclusions de Barcelone sont traduites par une seconde directive, publiée en 2003 par la commission, qui confirme l’échéance précédente et prévoit la libéralisation complète du marché de l’électricité pour 2007.

La libéralisation du marché exige la séparation des différentes tâches accomplies jusqu’ici par les établissements publics : production, transport, distribution et commercialisation. Notre régie intercommunale doit donc être divisée en trois entités indépendantes : la régie, qui est provisoirement maintenue, pour gérer le réseau de distribution et deux sociétés d’économie mixte, l’une chargée de la fourniture commerciale, l’autre de la production locale. Citons une brochure du syndicat intercommunal : « L’ouverture des marchés bouleverse aujourd’hui les principes de fonctionnement qui ont toujours prévalu au niveau du syndicat et de sa régie. [...] »

Si le syndicat ne réagit pas en adoptant une stratégie de développement commercial, on peut raisonnablement s’atendre à perdre des parts de marché de manière significative. La chute de chiffre d’affaires et de rentabilité qui s’en suivra aura inéluctablement des conséquences dramatiques en termes d’emploi. ” Pour doter la société d’économie mixte de fourniture d’un “ outil opérationnel ” adapté à la nouvelle situation de concurrence, pour permettre à cette nouvelle société de s’implanter sur le territoire du département voisin (qui avait lui aussi créé un syndicat intercommunal et une régie !), quelle meilleure solution que de développer un partenariat avec un opérateur privé compétent ?

Ce partenaire existe, il est prêt à rentrer dans le capital de la nouvelle société, il appartient au groupe Suez : Electrabel. La boucle est bouclée, la patiente construction de 1926 a vécu, les territoires entrent en concurrence entre eux. Si le traité constitutionnel est adopté cette destruction minutieuse d’un service public local sera gravé dans le marbre institutionnel.

Ce n’est pas un conte, cela se passe aujourd’hui, c’est l’histoire résumée du syndicat intercommunal d’énergie des Deux-Sèvres (www.sieds.fr).

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