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Un autre regard du Vénézuela : de la "révoution bolivarienne" au FSM de Caracas

De retour de Caracas et de la province du Sucre un adhérent du Val de Marne nous fait part de ses expériences et de ses rencontres.

mardi 7 février 2006

Le monde Monde Diplomatique a organisé un voyage d’une dizaine de jours au Venezuela fin janvier, me permettant d’une part de parcourir rapidement l’une des provinces de l’Est du pays (le Sucre) et d’autre part de participer Forum Social Mondial poly-centré qui a eu lieu à Caracas entre le 26 et le 31 janvier 2006.

Le texte qui suit sera donc organisé en deux parties. La première donnera les éléments les plus saillants que j’ai pu percevoir sur la réalité vénézuélienne, et plus particulièrement sur la réalité de ce qui se nomme là-bas la « révolution bolivarienne ».

La seconde partie rendra compte de mon expérience personnelle du forum et de ses rencontres.

I - Quelques éclairages de la « révolution bolivarienne »

J’ai partagé ce voyage avec une quinzaine de personnes et ce qui sera lu ici est aussi le résultat de discussions ininterrompues avec les membres de ce groupe durant un voyage original et mouvementé.

Notre passage dans la région de Sucre, s’il fut bref, nous a permis de « comprendre avec les yeux ». Nous avons pu visiter rapidement un lotissement construit pour recueillir des victimes d’une grave inondation qui a frappé la zone de Caracas il y a quelques années ; puis un centre de médecine préventive, piloté par des médecins cubains assistés de médecins vénézuéliens, dans une zone très pauvre. Enfin un centre de formation professionnelle, dans lequel des animateurs de futures coopératives reçoivent aussi bien des connaissances techniques nécessaires pour animer de petites structures productives que des éléments de culture et des références conceptuelles et politiques sur le mouvement coopératif.

Les deux dernières structures, appartiennent chacune aux « Missions », terme qui désigne ce que le président Chavez a créé en court-circuitant l’organisation des ministères qui se montraient rétifs aux nouveaux axes de développement qu’il fixait à son pays.

La mission de santé dans les quartiers pauvres se nomme "Barrio Adentro", la mission de formation professionnelle "Vuelven Caras". Deux autres missions très connues là-bas ont été développées, l’une pour faire sortir de l’analphabétisme un très grand nombre de personnes (plus d’1 500 000 jusqu’alors ; (mission Robinson), l’autre pour permettre à des malades vénézuéliens de se rendre à Cuba pour se faire opérer de la cataracte par des médecins cubains (mission Milagro).

La réussite des missions est indéniable ; cependant on ne peut pas nier que des tensions existent entre les structures des missions et les structures des ministères qui se sentent doublées par les premières.

Il est clair qu’il faudrait, après une phase de développement des missions réussir à articuler les deux structures. Problème politique pour l’essentiel.

Trois questions fortes me sont apparues pendant les premiers jours, sur lesquelles nous n’avons pas eu de réponses claires :

1) Comment se transforme aujourd’hui le tissu économique du Venezuela ? Outre la présence extrêmement forte, certainement excessive, de l’industrie du pétrole, - mais nécessaire au financement actuel des Missions et de la coopération interaméricaine, en particulier avec Cuba- Comment le pays est-il en train de se construire un tissu diversifié d’entreprises et de coopératives ?

2) Comment le mouvement de coopératives, puissamment promu et soutenu par le pouvoir, se développe-t-il réellement et prend-il une place significative complémentaire à un tissu d’entreprises privées et publiques ?

3) Comment se structure un appareil de pouvoir politique entre le Président et son peuple. Le président Chavez porte énormément de choses sur ses épaules. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, les anciens partis étaient totalement déconsidérés. Depuis 1998, après l’élaboration de la constitution - et son succès dans les urnes- puis les deux coups d’état de 2002 (l’un militaire, l’autre économique -boycott de la compagnie pétrolière par des cadres), on ne voit pas encore bien si et comment un appareil politique régional et local réussit à animer une vie politique qui reste très tendue entre partisans et adversaires du processus vers le « socialisme du XXI° siècle ».

(Rappelons que la prochaine élection présidentielle aura lieu en décembre de cette année.)

Après avoir reconnu que sa politique de communication était trop faible, le président a créé des instruments qui lui permettent de faire savoir, au sein d’une structure de médias qui lui est en très grande majorité fortement hostile, ses programmes et ses projets. Il existait une ancienne, et un peu vieillotte chaîne de télévision publique (canal 8 -elle diffuse aujourd’hui la très remarquable émission en direct avec le Président, Allo Presidente) ; deux nouvelles chaînes publiques ont été créées : TeleSur, orientée surtout vers l’international — avec un financement majoritaire vénézuélien, mais aussi en provenance d’autres pays — et Vive, une chaîne totalement orientée vers les communautés de base, en leur donnant la parole et en faisant connaître de manière très participative la réalité de terrain des gens modestes, leur manière de vivre en société, de vivre leur culture et leur désir de faire de la politique autrement. Leurs inventions aussi dans le domaine économique solidaire.

La réalité politique du Venezuela reste extrêmement tendue, en particulier dans la capitale, dont la population s’est beaucoup accrue au cours des dernières années, ce qui en fait un lieu assez « électrique », oppressant, malgré la gentillesse très palpable des très nombreuses personnes rencontrées, sympathisantes avec l’idée du Forum..

II - Le FSM de Caracas

Venons-en maintenant au forum social lui-même. Comme tous les forums, ce fut un moment d’une certaine allégresse et de beaucoup de fatigue. Éclatement en de multiples lieux, très grand nombre de séminaires et ateliers.

J’ai eu le plaisir d’animer avec d’autres collègues d’une association française active dans le domaine de la solidarité numérique un atelier suivi par une trentaine d’étudiants vénézuéliens et quelques participants au forum.

J’ai suivi à titre individuel quelques ateliers et tables rondes ; en particulier deux ateliers animés par l’équipe du Monde Diplomatique. Je retiens ici quelques points, sans chercher à être exhaustif. Je peux dire que quelques thèmes me sont apparus, personnellement, nouveaux par rapport à la réflexion antérieure d’un membre de base du mouvement ATTAC.

— je peux dire que j’ai été surpris de découvrir, alors que nous sommes, au sein du mouvement ATTAC, très mobilisés sur les questions importantes de l’OMC et de l’AGCS/Bolkenstein, qu’un mécanisme particulièrement pervers permet à des très grandes entreprises multinationales de poursuivre « tranquillement » le pillage du Sud. (par tranquillement, je veux dire que les mouvements altermondialistes sont, me semble-t-il, peu mobilisés là-dessus). C’est le mécanisme du TPPI. Un Traité Pour la Protection de l’Investissement, conclu entre une entreprise un État, comprend des clauses fort proches de celles que contenait le dispositif AMI contre lequel nous nous sommes battus, apparemment avec succès, il y a une petite dizaine d’années. Or un très grand nombre de procès sont actuellement générés par ces traités, portés devant une juridiction unique, le CIRDI de la Banque Mondiale...et très souvent perdus par l’Etat. À titre d’exemple une entreprise américaine s’est installée au Mexique, pour traiter des déchets très toxiques ; les autorités mexicaines locales ayant pris un décret de protection de l’environnement interdisant le dépôt des déchets toxiques de ladite entreprise (à 2 km d’un centre-ville, à l’air libre), l’entreprise a considéré qu’il y avait atteinte à la rentabilité de son investissement et a porté le différend devant le CIRDI. Deux chiffres seulement : sachons qu’actuellement 600 traités de ce type existent à travers le monde ; l’État argentin supporte actuellement 54 procès !!!! Il me paraît bien nécessaire que notre mouvement fasse connaître cette réalité et tente, avec ses moyens, de s’y opposer.

— la réalité perçue depuis un pays riche en matières premières et en hommes (le Venezuela) fait comprendre la violence de l’exploitation des richesses, en Amérique latine, par le monde du Nord. États-Unis en premier lieu, mais pas seulement — Espagne, France, autres pays d’Europe.

Il y a tout lieu de penser que nous sommes anesthésiés vis à vis de ce mécanisme d’exploitation du Sud, puisque nous vivons dans un pays qui en tire bénéfice. De plus il paraît certain que des mécanismes d’exploitation du même type s’exercent ou se préparent sur les classes dominées du Nord. C’est tout l’intérêt, immense, de l’analyse actuelle de la situation en Amérique latine — et bien sûr des fortes résistances qui apparaissent de la part des peuples dans les temps actuels —.

Il faut nous donner les moyens pour mieux connaître cette situation. Ce décentrement du regard me paraît extrêmement indispensable.

— j’ai pris conscience aussi d’un thème plus perceptible en Amérique latine que de France :. L’importance de la militarisation du monde dans la perpétuation de la situation néolibérale. 600 bases américaines US s’étendent à travers le monde.

— sur deux points très importants, j’ai été frappé par la dimension véritablement mondiale du forum social des Amériques. Nous avons eu deux exposés extrêmement militants et radicaux de personnes venant d’Asie et nous racontant ce qui vient de se passer en décembre dernier à la rencontre de l’OMC de Hong-Kong. Pour eux, l’année 2006 est une année décisive, si on veut entraver la poursuite de l’Organisation Mondiale du Commerce, que veut parachever le néolibéralisme (« Down, down, WTO »).

Ils nous ont alerté sur le rôle ambigu du Brésil et de l’Inde, qui se sont mis du côté des pays du Nord pour que soit signée la résolution finale qui, quoique fragile, permet à de l’institution de continuer sa route antidémocratique.

En outre s’exprimait deux fortes mobilisations, sur les problèmes de l’eau (nombreuse ateliers sur ce thème), et sur l’agriculture :Via Campesina a rappelé fortement que "l’extension de la misère du monde provient aujourd’hui de la mise en concurrence de tous les agriculteurs du monde"

Je termine cette courte évocation en rappelant que le travail parallèle qui a eu lieu en Afrique, au cours de quelques jours précédents, a produit un très remarquable « Appel de Bamako » qu’on peut trouver sur le site. Le lien entre les deux éléments a pu être fait par quelques personnalités du mouvement altermondialiste. François Houtard nous a exhorté à tout faire pour que s’accroisse rapidement le nombre d’acteurs effectifs de notre mouvement et, en se mettant en réseau, deviennent un nouveau « sujet historique » du devenir du monde.

Claude HENRY ATTAC Kremlin-Bicêtre, février 2006.

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