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Bolkestein : un débat à l’assemblée nationale

jeudi 30 mars 2006, par Daniel Hofnung

Jean-Claude Lefort, député d’Ivry-Kremlin Bicêtre, membre du groupe ATTAC à l’assemblée nationale, a fait cette présentation qui décortique le texte voté et montre les limites des compromis obtenus sur le texte d’orgine : la directive reste dangereuse, le combat doit continuer. Le débat a duré une matinée, et les différents groupes se sont prononcés sans surprise comme leurs homologues européens.

Jean-Claude Lefort

Bolkenstein 2

Mardi 14 mars 2006

Monsieur le Président, Madame la Ministre, Mes chers collègues,

En déposant cette résolution relative au texte sur les services adopté par le parlement européen en février dernier, le groupe communiste et républicain fait œuvre utile et salutaire.

Il fait œuvre utile car il permet qu’une question européenne, majeure au demeurant, vienne en discussion en séance plénière. La chose est assez inédite pour être saluée. Les questions européennes doivent assurément impliquer d’avantage les parlements nationaux. C’est ce que nous permettons aujourd’hui.

Notre groupe fait aussi œuvre utile car le texte qui vous est soumis porte sur la nouvelle directive services qui résulte de la contestation, exprimée sur tous les bancs, de la fameuse directive dite Bolkenstein. Il est donc non seulement normal mais majeur que nous donnions notre opinion sur cette nouvelle mouture. Elle doit être examinée au Conseil européen de cette fin de mois et elle n’a pas encore fini son chemin.

Certes au Parlement européen seuls l’ensemble des députés de notre groupe et les députés socialistes et Verts élus en France ont rejeté ce nouveau texte, les députés UMP et UDF votant pour. Mais ici, à l’Assemblée nationale, nous allons voir, maintenant, si les uns et les autres resteront fidèles ou non à leur prises de position d’avant référendum.

Car ce texte nouveau ne constitue pas, comme il a été promis, un texte « remis à plat » mais un texte beaucoup mais simplement remanié. C’est un texte qui tient compte du mouvement d’opposition qu’il a suscité mais il aboutit à un véritable tour de passe-passe. Il fait revenir de manière implicite, et donc de portée pratique, un principe que nous avions tous rejeté de manière formelle malgré notre positionnement différent sur le référendum : le principe du pays d’origine, le PPO.

Naturellement « affirmer n’est pas démontrer ». Je vais m’efforcer de faire le plus clairement possible. Je dis « m’efforcer » car ce texte fourmille de contradictions, d’ambiguïtés et d’obscurités voulues, résultats des compromis passés entre le PPE et le PSE.

Je poserai aussi des conditions claires sur lesquels le gouvernement devra s’engager pour son positionnement face à un texte qui a été revu mais pas corrigé au fond. Un nouveau texte qui reste absolument fidèle à l’esprit du précédent qui avait été voté, il est vrai, par tous les Etats membres, la France comprise.

Un premier problème majeur concerne le principe du pays d’origine. Certes ces trois mots ont été supprimés quasiment du texte. Je dis « quasiment » car il a échappé aux auteurs, certainement dans la précipitation de leurs négociations, que dans le texte le PPO reste explicitement présent. En effet, dans le nouveau considérant 40 bis on peut lire, je cite entièrement que « Les règles du pays d’origine ne s’appliquent pas aux dispositions des Etats membres( où le service est fourni) qui réservent une activité à une profession particulière, par exemple l’exigence qui réserve le conseil juridique aux seuls avocats ». Cela veut bien dire qu’il s’applique partout ailleurs, sauf quelques exceptions sur lesquelles je reviendrai.

Le Parlement a non pas supprimé mais remplacé - c’est plus qu’une nuance -, le PPO par un article du traité tout aussi net. C’est ainsi qu’à sa place est retenu le principe suivant, je cite : « les Etats membres respectent le droit des prestataires de services de fournir un service dans un Etat membre autre que celui dans lequel ils son établis. L’Etat membre dans lequel le service est fourni garantit le libre accès à l’activité des services ainsi que son libre exercice sur son territoire ». C’est la reprise de l’article 50 du traité.

Donc, on en revient à une disposition du traité qui n’entre pas en conflit avec le PPO, principe sur lequel était assis le précédent texte dit Bolkenstein. Pour que le remplacement des mots « principe du pays d’origine » entraîne une conséquence réelle et de fond il aurait fallu adopter à la place un tout autre principe : celui du pays de destination. Un amendement a d’ailleurs été déposé en ce sens au Parlement européen. Il a été rejeté par la coalition PPE-PSE. Ce principe n’existe donc pas dans la nouvelle mouture. Pourquoi donc la France ne l’exigerait pas ? Ce serait clair.

Commentant un mémoire en défense déposé par la France soutenant la Suède opposée à la Lettonie devant la Cour de justice européenne dans une affaire de même nature, Madame la ministre déléguée aux affaires européennes a déclaré que ce mémoire français était, je cite, « un signal clair contre toute tentative de dumping social ». Elle a ajouté, je cite : « la France défend la primauté du droit social du pays de destination, et non celui du pays d’origine. ’est le droit social suédois qui doit s’appliquer en Suède, comme c’est le droit social français qui doit s’appliquer en France. Nous continuerons aussi à défendre ce principe simple et protecteur des droits des travailleurs dans le cadre de la négociation sur la proposition de directive services ».

Vous avez bien entendu, mes chers collègues, « la France défend le principe du pays de destination », « un principe simple et protecteur ». Ce principe n’est pas dans ce texte, tout au contraire. Voilà un premier motif de soutenir notre proposition et un premier engagement que le gouvernement doit prendre devant la représentation nationale.

Si tel n’était pas le cas, alors le texte laisserait libre cours à la Cour de justice pour dire le droit. C’est d’ailleurs ce qu’on fait les eurodéputés. Ils se sont défaussés sur la Cour certains qu’elle tranchera en faveur du PPO. C’est ce qu’on peut appeler « le triomphe du politique par la mort du politique » ! Car la Cour a déjà statué en ce sens en se basant sur le traité. Je pourrai citer de nombreux jugements. Je ne retiendrai que l’esprit qui lui est constant. Ainsi, pour la Cour invoquer une législation nationale rend, je cite la Cour : « illusoire la libre prestation de services ». C’est logique si la liberté de prestation n’est pas soumise au principe du pays de destination. Ainsi on a le PPO sans pour autant l’écrire ! Franchement, qui peut être dupe de cela et accepter ?

Second point : la directive sur le détachement des travailleurs qui peut, selon le texte revu de la directive services, être invoquée par un Etat membre.

Trois choses doivent être dites à ce propos.

Tout d’abord, cette directive détachement (96/71) ne concerne que les travailleurs détachés. Elle n’impose donc pas du tout un ensemble des conditions à remplir par un simple prestataire de services. En second lieu, cette directive détachement est largement à minima au point qu’elle est actuellement en discussion au Parlement européen et ceci, donc, après l’adoption de la directive services ! Préciser, par exemple, que le salaire minimum du pays d’accueil doit être respecté peut clairement aboutir, par exemple, à ce qu’un ingénieur étranger détaché en France soit payé au SMIC ! Et cela ne serait pas du dumping social ? Enfin, troisièmement, qui peut croire qu’un Etat, tout seul, invoquera cette directive détachement si les autres ne la respectent pas ? Cela introduirait un tel différentiel que personne ne se risquera à se placer défavorablement dans une distorsion de concurrence.

Même chose d’ailleurs pour la possibilité écrite dans la directive qu’un Etat puisse invoquer son droit pénal ! Cela ne tient pas. C’est une possibilité théorique mais sans portée concrète. On le voit aujourd’hui même avec l’affaire des chauffeurs venus d’ailleurs payés 6 fois moins que leur collègues français ce qui aboutit à faire baisser de 25% les charges des entreprises de transport routier. C’est légal, dit-on ! En effet si on prend en compte que la directive détachement s’applique uniquement pour une prestation supérieure à 8 jours. Et rien ne changera avec cette directive.

C’est pourquoi, et c’est une seconde condition que nous posons, il faut que cette directive détachement soit revue. Il faut qu’elle permette une harmonisation sociale par le haut conformément à l’esprit du traité fondateur de l’Union. Or nous n’en sommes pas là, bien au contraire, mais la directive services est prête ! Si nous laissions faire c’est encore le marché qui dicterait sa loi contre l’humain. Il faut une harmonisation par le haut préalablement à cette directive. La délégation pour l’Union européenne examinant le projet de directive Bolkenstein indiquait que celle-ci rompait avec la conception européenne de cohésion et de convergence. Rien n’a changé non plus de ce point de vue. Nous devrions donc tous nous opposer à cette nouvelle rédaction et obtenir des engagements du gouvernement sur ce point.

Troisième et dernier point : les exemptions concernant, ce que nous appelons en France - mais pas seulement qu’en France : dans plusieurs pays européens - les services publics. Une conception que ne recouvre pas, comme le dit expressément la Commission, ni la notion de SIG (service d’intérêt général) ni celle de SIEG (service d’intérêt économique général).

La directive énonce une série d’exceptions à sa mise en œuvre. Il s’agit principalement des services rendus dans le cadre des missions régaliennes de l’Etat et elle ajoute aussi des secteurs déjà couverts par une directive particulière.

Certes les SIG sont exemptés. Mais cela n’a tout simplement aucun sens puis que depuis belle lurette, depuis le Conseil de Laken exactement, les SIG n’existent plus en droit européen. Exempter un objet sans existence juridique procède de l’artifice pur et simple, on l’admettra.

Quant aux SIEG la présentation de la directive peut surprendre mais ne doit pas nous conduire à nous méprendre. Elle précise en effet, dans son considérant 8 bis, que, je cite « la présente directive ne devrait pas s’appliquer aux SIEG ». Puis, toujours selon le même considérant, le « devrait » prend tout son sens. Il est en effet précisé 4 lignes dessous que, je cite « les dispositions de la présente directive ne s’appliquent que dans la mesure où les activités (des SIEG) sont ouvertes à la concurrence » ! Or les SIEG sont précisément tous ouverts à la concurrence !

De sorte que, hormis les exceptions déjà soulignées, les services publics qui existent en Europe sont couverts par cette directive. Et nous devrions accepter cela ? Le gouvernement, qui a juré ses grands dieux qu’il ne saurait en être question, ne peut l’accepter sauf à se déjuger.

Voilà trois raisons majeures, mes chers collègues, qui nous font refuser cette nouvelle directive et qui devraient amener logiquement notre assemblée, si chacun reste fidèle à ses propos et à ses engagements d’hier, à la refuser avec nous.

Tous ceux qui ont refusé la directive « Bolkenstein 1 » ne peuvent que refuser cette nouvelle directive que l’on peut sans excès baptiser de directive « Bolkenstein 2 ». C’est en tout cas ce que nous ferons. La logique et la fidélité sont avec nous. A vous de dire maintenant si la même logique et la même fidélité vous animent. A vous de dire « oui » ou « non » au dumping social, de dire aussi « oui » ou « non » aux délocalisations » !

Pour nous c’est claire et net : c’est toujours « non » !

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