Discours de Jacques Nikonoff, président d’Attac-France : "Transparence de l’eau"

Forcalquier (04), le 5 mars 2005 - La journée « Transparence de l’eau » était organisée par Attac 04, le
conseil régional Provence-Alpes-Côte-d’Azur, le conseil général des Alpes de
Haute Provence, la communauté de commune Duyes-Bléone, les communes de
Château-Arnoux/Saint-Auban, Digne-les-Bains, Forcalquier, La Motte du Caire,
Les Mées, Reillanne, Sainte-Tulle, Villeneuve, Voix.
Avec la participation du Contrat mondial de l’eau (ACME), CGT, Centre
national de la fonction publique territoriale (CNFPT), Confédération
paysanne, Coordination nationale des associations de consommateurs d’eau
(CACE), Conseil général du Val de Marne.

Mesdames et Messieurs,

Je crois que nous serons certainement d’accord pour dire que la journée
d’études et de débats qui nous a rassemblé aujourd’hui, était exemplaire.
Exemplaire d’abord par le nombre de participants, un samedi, toute la
journée, alors que dans la région beaucoup d’autres activités possibles.
Près de 300 personnes décident ainsi de se rassembler et de réfléchir
ensemble, une journée entière.
Et puis aussi par la diversité des participants : des élus, des
syndicalistes, des militants associatifs, des citoyens.
Egalement exemplaire, cette journée, par la qualité des débats comme
viennent de le démontrer les rapporteurs, il y a un instant, des quatre
ateliers.
Je voudrais vous faire part des quelques réflexions qui sont menées par
Attac sur la question de l’eau et qui ont déjà été abordées sous différents
aspects.
Je n’apprendrai probablement rien à personne en rappelant que l’eau, cela a
été dit mais je pense il faut également le répéter, est une ressource
naturelle limitée nécessaire à la vie et aux systèmes écologiques et
essentielle au développement économique et social.
Plus encore, l’eau est porteuse d’une énorme charge symbolique et
imaginaire, elle a même quelque chose de sacré car elle est à l’origine de
la vie, elle est l’expression de la vie. L’eau ne peut donc pas, de notre
point de vue, être une simple marchandise. Et c’est en cela que nous sommes
en opposition radicale avec les thèses néolibérales. Elle est une ressource
fragile, rare dans certaines parties du globe, des populations en manquent
ou prévoient d’en manquer.
La revendication principale d’Attac est le droit à l’eau potable de qualité
comme élément décisif du droit à la vie. L’eau, donc, n’est donc pas une
marchandise. Il faut la soustraire définitivement au marché. Pour y parvenir
une politique mondiale de l’eau est nécessaire, déclinée sur les plans
européen, national et local par des services publics.
L’accès à l’eau potable n’est donc toujours pas un droit. A l’échelle
mondiale la situation reste pourtant catastrophique pour des centaines de
millions d’êtres humains. Les chiffres sont effrayants et parlent d’eux
mêmes : 2,4 milliards de personnes vivent sans aucun accès à des services
d’hygiène, l’assainissement notamment ; entre 1,3 et 1,5 milliards vivent
sans accès à une eau potable saine ; 30 000 personnes meurent chaque jour de
maladies dues à l’absence d’eau potable et de services d’hygiène ; un enfant
sur cinq meurt avant l’âge de cinq ans le plus souvent d’une maladie
infectieuse liée à une insuffisance de quantité et de qualité d’eau. D’un
autre côté 600 000 agriculteurs Blancs en Afrique du Sud consomment pour
l’irrigation 60 % des ressources hydriques du pays alors que 15 millions de
citoyens de couleur n’ont pas accès à l’eau potable.
Pour la France 85 % des eaux des fleuves de France sont polluées et 50 % des
nappes. La consommation quotidienne moyenne de la population des pays en
développement est d’environ 20 litres par personne et par jour, en Italie
elle est de 213 litres et aux Etats-Unis de 600 litres. Le Brésil représente
par exemple 11 % des ressources en eau douce de la planète mais 45 millions
de brésiliens n’ont pas encore accès à l’eau potable. Les gaspillages d’eau
sont énormes dans le monde entier, 40 % de l’eau employée pour l’irrigation
se perd par évaporation, les pertes en eau dans les aqueducs sont de 30 à 50
%, même dans les pays développés. Dans les pays en développement 90 % des
eaux usées se répandent dans les fleuves et les cours d’eau sans avoir été
traitées. Cette réalité terrifiante - et je pourrais encore continuer assez
longtemps à aligner des chiffres comme cela -, vient des dérives et de la
faillite de la politique actuelle de l’eau. Pourtant le lien est direct
entre pauvreté et non accès à l’eau. Permettre l’accès à l’eau pour tous
aurait déjà un impact assez tout à fait considérable sur la réduction de la
pauvreté.
On parle ainsi désormais de crise de l’eau. La situation actuelle est en
effet alarmante à l’échelle planétaire. Cette crise de l’eau est provoquée
par l’accroissement démographique rapide, l’industrialisation,
l’urbanisation, l’intensification agricole et les modes de vie de plus en
plus consommateurs d’eau. Il est en effet constaté que les difficultés
augmentent pour répondre à la demande croissante en eau, la pollution des
eaux ne cesse de s’accroître partout, l’utilisation de l’eau devient parfois
irrationnelle. Des exemples ont été donnés notamment ce matin à propos de
Phénix en Arizona.
Parallèlement on constate l’affaiblissement des ressources naturelles en
eau, particulièrement par l’abaissement de nombreuses nappes profondes qui
sont surexploitées, le tarissement progressif de rivières et de lacs, la
dégradation accélérée de la qualité des eaux, l’insécurité sanitaire et
l’insécurité alimentaire qui vont de pair. Depuis une dizaine d’années
environ les analyses et les prévisions d’une multitude d’organisations,
l’ONU, la FAO, l’OMS, l’UNESCO, le PNUD, etc., ne font qu’annoncer
l’aggravation de la crise hydrique comme on l’appelle dans le monde, et on
dit même qu’en 2032, ce n’est pas si loin que ça, 60 % de la population
mondiale vivra dans des régions du monde caractérisées par une forte pénurie
d’eau.
Dès maintenant on constate de graves problèmes d’approvisionnement en eau
pour l’agriculture en Inde, en Chine et aux Etats-Unis. On constate
également la multiplication et l’intensification des conflits entre Etats,
dont le motif est l’eau. Nous avons sous les yeux le résultat de la
marchandisation de l’eau qui est destinée à se renforcer si les politiques
actuelles se poursuivent. Les problèmes techniques permettant l’accès à
l’eau potable pour tous ne sont pourtant pas insurmontables, de nombreuses
recherches, pratiques, expérimentations, ont lieu sur les possibilités
d’accès à l’eau et je voudrais signaler entre autres, l’excellent rapport
intitulé « A la recherche de l’or bleu » rédigé par des chercheurs de
l’Université de Montpellier 2. Dans ce travail, qui est particulièrement
documenté, il est montré que des techniques alternatives, adaptées à chaque
situation géographique, sont déjà utilisées pour permettre l’accès à l’eau
pour tous. On peut en effet produire de l’eau à partir de diverses sources
et par différents moyens techniques et quelque que soit la solution
technique adoptée, le but visé est d’obtenir évidemment une eau en quantité
suffisante, propre à la consommation humaine et accessible à tous y compris
et en particulier pour les groupes les plus défavorisés. De nombreuses
solutions existent, adaptées à chaque région en pénurie. Il est possible de
boire l’eau issue de brouillards, de réutiliser les eaux usées, de collecter
les eaux de pluie, et d’ôter le sel de la mer ; l’eau de source peut-être
exploitée et des systèmes de télédétection sont mis en oeuvre pour utiliser
l’eau souterraine et trouver des forages à haut débit. Tout cela à moindre
coût, les techniques sont diverses et en pleine expansion.
Tous ces moyens peuvent être mis en oeuvre pour faciliter
l’approvisionnement en eau potable des populations à l’échelle mondiale.
Elles sont faciles à mettre en oeuvre par leur coût et leurs modalités
d’utilisation. Et d’ailleurs de nombreuses associations agissent en ce
domaine pour améliorer le quotidien de millions de personnes et parmi elles
on peut citer Water Aids, Hydraulique sans Frontières et puis aussi des
institutions comme l’Unicef ou l’Unesco.
Les problèmes de l’accès à l’eau potable ne sont donc pas simplement de
caractère financier ou technique, sans nier d’ailleurs les complications
techniques réelles, mais essentiellement politiques. Ce qui manque c’est la
volonté politique. Et ce sont bien les conceptions politiques
internationales actuelles qui constituent l’obstacle.
La politique de l’eau poursuivie par les élites mondialisées reposent sur
trois principes fondateurs.
Premièrement, l’eau doit être considérée comme un bien économique. Cela a
été dit tout à l’heure mais je pense qu’il faut y insister. Comme toute
autre marchandise, l’eau, pour eux, peut être vendue, achetée, échangée.
Deuxièmement, l’accès à l’eau est certes considéré comme un besoin vital par
eux-mêmes, ce qui par parenthèses revient à enfoncer une porte ouverte, mais
pas comme un droit humain. Selon cette conception, les êtres humains ne sont
que des clients d’un service qui doit être rendu accessible par les
mécanismes du marché.
Troisièmement, l’eau doit être traitée comme une ressource précieuse, on
parle de l’or bleu désormais. Elle est ainsi destinée à devenir toujours
plus rare et donc toujours plus chère, stratégiquement importante, la
sécurité hydrique nationale de chaque pays devenant un problème politique et
militaire central. Les conflits entre pays devraient s’intensifier et se
généraliser.
Pour atteindre de tels objectifs la politique dominante de l’eau impose la
libéralisation, la déréglementation et la privatisation des services d’eau
selon le principe de la conditionnalité imposé par la Banque Mondiale et le
Fonds Monétaire International. Un pays peut certes obtenir des prêts - un
pays en voie de développement -, mais à condition qu’il libéralise,
déréglemente et privatise le secteur pour lequel il a sollicité le crédit.
La priorité est donnée à l’investissement privé, celle-ci a été d’ailleurs
une fois encore été consacrée par le rapport Camdessus, à Kyoto notamment.
D’après ce rapport seul le secteur privé serait en mesure d’assurer de
manière efficace le financement des 100 milliards de dollars annuels
supplémentaires qui, selon la Banque Mondiale, seraient nécessaires pendant
dix ans pour réduire simplement de moitié d’ici 2015, le nombre de personnes
n’ayant pas accès à l’eau potable ni aux services d’hygiène. Et puis enfin
la privatisation de l’ensemble des services d’eau selon le modèle PPP,
Partenariat Public Privé.
La conception, la politique poursuivie jusqu’à présent n’a été en réalité
bénéfique qu’aux grandes entreprises privées et à leurs propriétaires. Elle
est d’ailleurs faite pour cela. Au début des années 80 les deux principales
compagnies d’eau privées opérant au niveau international, la Générale des
Eaux qui est aujourd’hui devenue Véolia, et la Lyonnaise des Eaux, devenue
Ondeo filiale de Suez, n’assuraient la distribution d’eau qu’à 300 000
personnes en dehors de la France. En 2000, les personnes servies par des
entreprises privées dans le monde sont 400 millions. Il est prévu que le
secteur privé servira à peu près 1,7 milliards de personnes en 2015,
évidemment si la tendance à la privatisation continue. Si elle s’arrête on
en restera à la situation d’aujourd’hui.
Et pourtant la privatisation des services d’eau ne s’est pas traduite
nécessairement ni partout par une amélioration du service ou par une
diminution des prix. Elle s’est encore moins traduite par une diminution de
la corruption ou une augmentation des investissements. Dans la majorité des
cas, surtout dans les pays du Sud, les prix sont montés en flèche, la
corruption a caractérisé l’assignation des concessions au privé.
L’endettement des pays pauvres a augmenté. L’amélioration des services dans
ces pays a plutôt avantagé les groupes sociaux les plus riches des pays
pauvres.
L’actuelle politique de l’eau a parfaitement bien démontré qu’elle était
incapable de permettre à tous d’avoir accès à l’eau potable en quantité et
qualité essentielles à la vie, et de promouvoir une utilisation, une
valorisation soutenables des ressources en eau de la planète et d’empêcher
la multiplication et l’aggravation des guerres de l’eau.
L’Accord Général sur le Commerce des services, l’AGCS, dont nous avons parlé
ce matin, ne vise qu’à accélérer cette politique. Je ne vais pas m’y
étendre, mais simplement rappeler que l’Union européenne demande la
libéralisation du secteur de l’eau dans 72 autres pays membres de l’OMC,
indistinctement pays pauvres, pays développés, parce que les compagnies
françaises et européennes sont les plus puissantes. Je n’en dis pas plus.
Finalement la politique mondiale de l’eau c’est l’hypocrisie internationale
érigée en système. Ce qu’on appelle la communauté internationale continue de
refuser la reconnaissance de l’accès à l’eau comme un droit humain,
c’est-à-dire universel, indivisible et imprescriptible. Aucune action
d’envergure n’est envisagée, seuls les mots et les promesses servent à
masquer les objectifs véritables de la politique mondiale de l’eau. Je ne
vais pas vous infliger tout ce que j’avais écrit sur mes notes, mais je vais
commencer par la première conférence des Nations Unies sur l’eau à Mar del
Plata en 1977 en Argentine, où il y avait des déclarations enflammées sur
l’eau, si je puis dire. Je vais continuer à identifier quasiment année après
année les sommets internationaux, par exemple la Décennie de l’eau et de
l’assainissement qui a été décrétée en 1980. Chacun peut mesurer les
résultats aujourd’hui. Conférence internationale de l’eau à Dublin en 1992 ;
Conférence de Rio en 1992 ; Partenariat Mondial pour l’Eau en 1996 ;
Conférence de Johannesburg en 2002 ; 2003 année déclarée par les Nations
Unies « L’Année internationale de l’eau » ; la Journée mondiale de l’eau qui
a d’ailleurs lieu le 22 mars de cette année ; le G8 à Evian qui devait
discuter sérieusement des questions de l’eau. Résultat de tout cela : c’est
un flot de paroles sans qu’il y ait derrière la moindre avancée sérieuse. En
réalité la politique mondiale de l’eau n’est qu’un racket international
organisé par un petit nombre de firmes multinationales. Et bonne nouvelle,
face à elles, le référendum organisé le 31 octobre 2004 en Uruguay est une
sorte de coup de tonnerre. Les Uruguayens en effet, avec une majorité proche
de deux tiers des voix, ont décidé d’inscrire dans la Constitution que l’eau
appartenait au domaine public et qu’elle ne pouvait donc pas être
privatisée. Quelle différence avec la Constitution européenne ! De plus, ce
référendum en Uruguay introduit désormais comme principes fondamentaux que
les services d’eau potable et d’assainissement sont une prestation exclusive
et directe de l’Etat et qu’il est nécessaire de promouvoir une politique de
l’eau solidaire, de participation des citoyens et décentralisée.
Les Uruguayens, d’ailleurs, n’en étaient pas à leur coup d’essai puisque en
2002 déjà, par référendum, ils avaient rejeté la privatisation partielle de
la compagnie de téléphone, et en 2003, toujours par référendum, ils avaient
refusé l’association de la compagnie de raffinage et de distribution de
carburant avec des capitaux étrangers. Dommage que l’Uruguay ne soit pas
dans l’Union européenne et n’organise pas de référendum sur le traité
constitutionnel !
Prenons maintenant la situation de la France. D’abord commençons par les
prix. On en parlé il y a un instant : les prix flambent. Selon le rapport de
la Cour des Comptes en 1997, plus 50 % d’augmentation entre 1990 et 1994.
Selon le rapport de la Cour des Comptes 2003 : augmentation des prix de 16 %
entre 1995 et 2003. Le poste taxes et redevances de la facture a quant à lui
augmenté de 24 %.
Un avis du Conseil de la Concurrence, le 31 mai 2000, nous dit qu’entre 1992
et 1998 le prix de la distribution de l’eau a augmenté de 24 %, alors que
l’indice général des prix n’augmentait que de 9,6 %. Ce Conseil de la
Concurrence note que les entreprises gestionnaires de réseau ont enregistré
parallèlement une hausse importante de leur marge. De leur côté, le prix de
la collecte et le traitement des eaux usées a augmenté de 49 %.
Alors, dans le domaine de l’eau et du prix de l’eau, contrairement à
certains services public nationaux comme par exemple l’acheminement du
courrier, dont la tarification s’applique sur l’ensemble du territoire
national, le secteur de l’eau qui est caractérisé par une gestion locale, ne
connaît pas de péréquation tarifaire nationale. D’ailleurs il semble que ce
soit difficile du fait du caractère local de la gestion de l’eau, mais c’est
en même temps un problème que cette absence de péréquation tarifaire
nationale.
Cela a été dit, la politique de l’eau repose sur les bassins, mais il y a
inégalité de 18 % des prix entre les bassins. C’est une nouvelle inégalité.
Selon la différence de gestion, déléguée ou publique, 13 % de différence de
prix. C’est le privé qui coûte le plus cher. Une étude de l’OCDE montre par
exemple que le mètre cube d’eau en France, c’est-à-dire distribution de
l’eau et assainissement, se situe au troisième rang mondial, après le
Danemark et les Pays Bas. C’est dire qu’en France le prix de l’eau est
particulièrement élevé. Et ce Conseil de la Concurrence note le caractère « 
peu concurrentiel » du marché qui a été relevé tout à l’heure par un des
rapporteurs des ateliers.
Le marché en effet est contrôlé. Il n’y a pas de véritable concurrence. Il
est partagé entre Véolia (56 % des parts de marché), Suez (29 %), la Saur
(13 %). Une dizaine d’entreprises représentant globalement une part de 2 %
sont également présentes sur le marché, mais seules Véolia et Suez en
réalité sont capables de répondre aux appels d’offre des grandes villes, les
petites entreprises ne peuvent pas.
Un mot sur la situation dans les communes rurales, parce que leur situation
est particulièrement précaire. En 1995 le taux de desserte en eau potable de
la population rurale française était très bon, 98,32 %, c’est-à-dire la
quasi totalité de la population. En 1995 toujours, 94 % des captages
alimentant les communes rurales étaient souterrains, c’est-à-dire 76 % des
volumes distribués. En théorie cette ressource est de meilleure qualité car
elle est mieux protégée, évidemment, que les eaux superficielles. Mais
seulement 10 % des captages possédaient un périmètre de protection. Et avec
l’évolution des pratiques agricoles, l’usage intensif des nitrates, des
produits phytosanitaires, et l’épuration insuffisante des eaux usées, la
qualité des eaux souterraines est de plus en plus remise en cause.
En milieu rural, au niveau de la ressource, on commence à rencontrer les
problèmes suivants : pollution des eaux souterraines par les pesticides,
pollutions des eaux brutes par les nitrates, pollution bactériologique, 20 %
des points d’eau présentent des dépassements permanents ou répétés des
normes bactériologiques de potabilité dans les communes rurales,
défaillances liées à l’ouvrage de captage, soit par méconnaissance des
conditions de fonctionnement ou par manque d’entretien. Ces problèmes sont
d’autant plus importants en milieu rural du fait des moyens financiers et
techniques limités et du nombre élevé de points de prélèvement, rendant la
protection de ces captages plus difficile et plus lourde financièrement. On
dénombrait par exemple en 1995, 10 529 stations dont 35 % présentaient une
insuffisance d’équipements. Dans la majorité des cas les collectivités se
satisfont d’une simple désinfection.
Le milieu rural est caractérisé par les longueurs importantes de tuyaux,
conséquence de la faible densité des habitations. Le rendement d’un réseau
en milieu rural est inférieur à 60 %, il est de 95 % en milieu urbain. Je
dis cela parce que vous avez déjà débattu de la régie directe, et que le
débat va se poursuivre. Il faut, pour aborder cette question, avoir
l’ensemble des éléments pour prendre la décision.
Je vais terminer maintenant autour des propositions d’Attac.
Les propositions d’Attac c’est d’abord un principe et des pistes de
réflexion.
Le principe est le suivant : l’accès à l’eau doit être un droit universel,
indivisible et imprescriptible.
Je passe de la théorie à la pratique. L’eau ne peut pas être une simple
marchandise, elle est un bien commun. La propriété, la gestion, le contrôle
de l’eau doivent être par conséquent publics. Ce droit doit se traduire par
la fourniture, pourrait se traduire par la fourniture gratuite de 40 litres
d’eau potable de qualité par personne et par jour, ce qui correspond au
minimum vital selon l’Organisation mondiale de la santé.
Première piste, constitutionnaliser l’accès à l’eau. Cela signifie faire
entrer cette idée de l’accès à l’eau dans le droit, d’abord dans la
Déclaration universelle des droits de l’homme, dans une convention
internationale sur l’eau dans le cadre de l’ONU, dans la Constitution de
chaque pays, dans des chartes des services de l’eau, qui pourraient se
développer dans les collectivités locales et dans les bassins. Nous
regrettons d’ailleurs que la Constitution européenne, dans sa partie portant
sur les droits fondamentaux, ne mentionne pas l’accès à l’eau comme un
droit.
Deuxième piste : une gestion publique mondialisée de l’eau. Si l’eau est
considérée comme un bien commun de l’humanité, elle doit faire l’objet d’une
gestion publique. Celle-ci est seule capable d’assurer l’égalité d’accès à
l’eau entre tous. Une gestion publique mondialisée de l’eau signifie la
construction d’un service publique mondial de l’eau.
Troisième piste, empêcher les privatisations, je ne développe pas.
Quatrième piste, abandonner les conditionnalités, ce que j’expliquais tout à
l’heure, organisées par la Banque Mondiale.
Cinquièmement : bloquer les négociations de l’AGCS.
Sixièmement : mettre en place une fiscalité internationale pour le
financement de l’eau. Par exemple dans les pays développés, on parle
désormais - et je ne mets ici que cet exemple, de mettre en place un centime
d’euro par mètre cube pour financer la solidarité internationale.
Septièmement : changer l’agriculture, sortir progressivement des logiques
productivistes.
Huitièmement, passer du PPP au PPP. PPP c’est le Partenariat Public Privé,
qui a démontré qu’il était un instrument très efficace de prise de contrôle
politique et économique des ressources hydrauliques de la planète par les
grandes entreprises multinationales. Il faut passer de ce PPP-là -
Partenariat Public Privé -, à un autre PPP qui serait cette fois-ci le
Partenariat Public Public.
Neuvièmement : agir particulièrement en Méditerranée. Nous sommes ici en
région méditerranéenne. Vous le savez, tous les pays riverains du bassin de
la Méditerranée sont confrontés à de graves problèmes de disponibilités
d’eau et de conflits. Et face à cela il n’existe pas de véritable politique
commune à l’échelle du bassin. Aucune vision ni stratégie commune
n’existent, d’où l’intérêt de participer, pour les élus, les syndicalistes,
les militants associatifs et les citoyens, au prochain Forum social
méditerranéen qui va se tenir en juin à Barcelone. Et dans le cadre de ce
Forum, au Forum des autorités locales méditerranéennes, que nous essayons de
créer. Il n’existe pas encore, mais nous pensons qu’il y a là une source de
coopération tout à fait intéressante entre les collectivités publiques du
nord de la Méditerranée et du sud de la Méditerranée.
Après ces propositions de caractère général, je termine sur quelques
propositions pour la France.
Premièrement, créer un service public national et décentralisé de l’eau qui
coordonnerait l’action publique à tous les niveaux, qui permettrait de mieux
définir les responsabilités de chaque échelon territorial, qui contribuerait
à améliorer le fonctionnement des agences de bassin, qui animerait l’action
publique pour faire restituer aux multinationales les milliards indûment
prélevés sur le dos des usagers et des collectivités, qui impulserait les
recherches sur l’eau en partenariat avec les grands centres de recherche,
qui apporterait un soutien logistique aux collectivités territoriales pour
gérer l’eau et l’assainissement, la maintenance, la modernisation et le
développement des installations, les analyses, etc, et qui coordonneraient
les coopérations internationales et l’aide au développement.
Deuxièmement, voter une vraie loi sur l’eau. Vous savez qu’il y a un projet
de loi sur l’eau qui est en cours, mais ce n’est pas la loi que nous
attendons. Il faut un vrai débat démocratique en amont. La consultation qui
a eu lieu ne peut pas être caractérisée de cette manière, cette loi doit
intégrer le principe de la gestion publique de l’eau, elle doit organiser le
soutien logistique à la gestion directe par les collectivités locales, elle
doit prévoir la présence des citoyens et d’élus dans tous les rouages liés à
l’eau, et elle devrait, finalement, avoir quatre objectifs : assurer une
bonne qualité de l’eau dans tous les départements français ; maintenir un
prix de l’eau accessible pour l’ensemble des citoyens ; permettre aux
communes d’assurer le renouvellement de leurs installations et
l’interconnexion de leurs réseaux ; redéfinir les compétences des
collectivités locales et des établissements publics.
Troisièmement, organiser le financement public. Les collectivités publiques
doivent assurer le financement des investissements nécessaires. Je parlais
tout à l’heure du rendement du réseau dans les communes rurales, 60 % en
moyenne en France. Il est de 70 % ce rendement, entre le moment où l’eau est
captée et le moment où elle arrive au robinet de l’usager, il y a donc 30 %
de l’eau qui a disparu. Il faut donc de nouveaux investissements. Mais, là
aussi, il y a un obstacle, il n’y a pas d’inventaire sérieux du patrimoine
du réseau et de son état. C’est une bizarrerie, et de nombreuses communes ne
disposent même pas de plans de leur infrastructure. Les 830 000 km de
canalisations d’eau représentent une valeur de 85 milliards d’euros. Sur ces
km de réseaux, 3 % ont été posés avant 1940, 7 % avant 1950 et 19 % avant
1960. Il faut en réalité aujourd’hui remplacer 60 % du réseau. Cela fait
beaucoup de tuyaux, et ça représente 51 milliards d’euros. Il y a là une
facture à payer, il faut envisager peut-être le développement de fonds
départementaux pour l’eau, les Conseils généraux ayant une responsabilité
croissante en matière d’eau. Hormis le renouvellement des équipements, il y
a nécessité de mettre en conformité les réseaux pour respecter les normes
sanitaires. On estime la dépense à 20 milliards d’euros, d’ici 2015. Vous
voyez donc que les sommes à trouver dans les dix ans qui viennent sont
significatives.
Quatrièmement aspect : mobiliser les citoyens. L’intervention citoyenne sera
évidemment décisive, il faut profiter du renouvellement des contrats, cela a
été dit et redit, je le redis à mon tour, les citoyens et les élus peuvent
agir sur les factures, sur le financement, sur la participation aux
décisions, sur le contrôle, sur la qualité. L’éducation citoyenne doit se
développer à l’école pour sensibiliser les enfants et les jeunes. Il faut
également favoriser la responsabilité de chacun en matière de comportements
sociaux et individuels en matière d’eau. Et puis, la démocratie, dans les
grands bassins hydrologiques, même à l’échelle mondiale. A l’échelle
mondiale il y a 262 bassins dont 260 sont transnationaux. On peut avancer
vers une sorte de démocratie, de démocratie de bassins, de rivières, de
lacs, des assemblées de citoyens autour d’une rivière, d’un lac, d’un
bassin. Il peut même y avoir des sortes de parlements de bassins, de
fleuves, de rivières, de lacs... On a parlé tout à l’heure également de
Commissions consultatives des services publics locaux, légalement
obligatoires dans les villes de plus de 10 000 habitants, mais qui se
pourraient se développer plus rapidement.
Cinquièmement, envisager la gestion directe. Parler de la gestion directe
est déjà une menace pour les entreprises privées. Même si au bout du compte
il n’y a pas de gestion directe, le fait de s’interroger, de prendre pour
hypothèse que la commune pourrait repasser en gestion directe est déjà une
arme de dissuasion assez puissante auprès des entreprises privées qui peut
déjà permettre d’obtenir des résultats sur les prix, sur les
investissements, sur la qualité de l’eau. Mais en même temps, pour la
gestion directe, il existe un certain nombre de conditions à réunir. D’abord
évidemment éviter la division entre élus et habitants d’un côté, et salariés
et syndicats des entreprises des eaux d’un autre côté. Favoriser également
la mutualisation entre collectivités. Qui dit mutualisation va dire
péréquation du tarif. En même temps il ne s’agit pas de reconstruire un
système d’émiettement quasi féodal mais de s’inscrire dans la perspective
d’un service public national, européen et mondial. Egalement, en raison des
objectifs de qualité exigés auprès des communes par la législation, les
sociétés privées ont acquis une excellence dans ce domaine, nominale dans
certains cas, mais réelle dans ces entreprises, qui ont été renforcées par
des technologies sophistiquées mises en place pour répondre aux normes
sanitaires de plus en plus strictes. C’est une des raisons pour laquelle
beaucoup de communes sont passées de la gestion directe pour toute une
période à la gestion privée. Le retour à la gestion directe nécessite donc
de prendre en compte cet ensemble de paramètres.
Un mot de conclusion sur la question européenne. Vous le savez, Attac
appelle à voter « non » lors du referendum et notre analyse de la
construction européenne n’est pas indépendante de la question de l’eau. Nous
ne dirons pas que c’est à cause de la mauvaise manière qu’a l’Europe de
gérer l’eau que nous appelons à voter « non ». Evidemment ce n’est pas pour
cela, mais c’est un élément supplémentaire, parce que nous formulons deux
critiques à la construction européenne. D’une part, la façon dont elle s’est
construite vis-à-vis de l’eau et vis-à-vis des services publics en général,
et deuxième critique sur la Constitution européenne elle même. Sur la
Constitution européenne nous considérons qu’elle est défavorable au droit
d’accès à l’eau. La préférence affichée par l’Union européenne, affichée et
je dirais même militante, a toujours été pour la gestion privée de l’eau. Le
droit communautaire prend de plus en plus d’influence et réduit ce qui
faisait la spécificité de la gestion publique à la française. L’Union
européenne s’est impliquée fortement dans l’AGCS pour faire passer l’eau
parmi les services qui font actuellement l’objet de négociations. C’est
l’Union européenne qui a fait cela. La directive européenne du 24 octobre
2000, la directive sur l’eau, a des aspects positifs que nous reconnaissons
volontiers, puisqu’elle vise essentiellement à protéger l’environnement à
l’occasion des activités de captage, qu’elle organise et propose des normes
à atteindre dans les années qui viennent. Mais en même temps elle remet en
cause le principe de la péréquation tarifaire qui n’est pas déjà si terrible
que ça, en matière d’eau, mais qui existe néanmoins à l’échelle des bassins.
Elle oblige et elle obligera plus encore demain les communes à recourir à la
délégation compte tenu du coût des investissements nécessaires pour
respecter les normes sanitaires. D’un côté cette directive propose des
normes sanitaires nouvelles positives que nous approuvons, mais d’un autre
côté rien n’est fait pour aider les collectivités à atteindre ces objectifs
en termes de normes sanitaires. Et cela les pousse naturellement et
volontairement vers le privé qui a les moyens technologiques de répondre à
ces questions.
D’ici 2015 par exemple il faut veiller à ce que la politique de tarification
incite les usagers à utiliser les ressources de façon efficace. C’est ce
qui est dit dans la circulaire, je cite, c’est le « principe de récupération
des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau ». C’est du charabia
bruxellois, de la Commission et non pas de nos amis belges, mais quand on
essaye de décrypter, de traduire en français de tous les jours, ça veut dire
que non seulement les mécanismes de péréquation tarifaire seront entravés de
plus en plus, mais qu’en outre il faudra que l’eau sorte un rendement et que
le prix de l’eau devra incorporer la marge de l’entreprise.
La Constitution française prévoit, les élus le savent par coeur, que les
collectivités locales s’administrent librement, et c’est cela qui permet par
les collectivités locales le choix du mode de gestion par le service public
ou la gestion directe. Cet article de la Constitution française, désormais,
risque d’être obsolète parce que les règles de la libre concurrence qui
dominent la Constitution européenne vont provoquer une difficulté. Et puis
il y a l’absence du droit à l’eau dans la constitution.
Pour terminer je pense que si l’on veut dire oui à l’eau, il faut dire non
au referendum !

Je vous remercie.