La grand’messe cathodique de Jacques Chirac laisse sceptique

Fri April 15, 2005 1:55 PM - PARIS (Reuters) - Destinée à contrer l’ascension du "non", l’entrée de Jacques Chirac dans la campagne référendaire semble ne pas avoir atteint l’effet escompté tant le scepticisme domine dans la presse et la classe politique.

"Occasion manquée", "Péril jeune", "Chirac rame", "Poker électoral" : les quotidiens critiquent sans détour la prestation télévisée du chef de l’Etat, qui avait choisi d’inaugurer une formule inédite, un débat en direct avec 83 jeunes en "prime-time" sur TF1.

L’émission, qui a duré plus de deux heures, a été regardée par quelque 7,3 millions de téléspectateurs, ce qui la place en tête des audiences, a indiqué vendredi la chaîne privée.

La mise en scène, vantée par avance comme un "exercice moderne" de démocratie par l’entourage présidentiel, s’est avérée souvent confuse et peu en phase avec la volonté affichée du chef de l’Etat d’"expliquer" la Constitution européenne.

L’échange a tenu parfois du dialogue de sourds, entre des jeunes préoccupés par la situation économique et sociale intérieure et un président désireux d’exalter la construction européenne.

"Même si le chef de l’Etat a réussi, tel un diesel, à prendre au fil des minutes un peu de vitesse, le téléspectateur aura eu droit à un show confus, par moments populiste et, au total, c’est bien triste, plutôt contre-productif", juge Henri Vernet dans Le Parisien.

Pour Anne Fulda, du Figaro, "le chef de l’Etat a participé à une émission singulière, qui ressemblait plutôt aux ’Guignols de l’Europe’".

L’Humanité ironise pour sa part sur le "pensionnat de l’Elysée" et le "oui man show" du chef de l’Etat". Pour Pascal Aubert (La Tribune), "toute attente d’un ’effet tsunami’ à la suite du ’show élyséen est illusoire".

Il faudra attendre les prochains sondages pour juger des effets de l’intervention de Jacques Chirac sur les intentions de vote au référendum, mais la tiédeur des commentaires du camp du "oui" n’augurait pas vendredi d’un renversement de tendance significatif.

"ABRACADABRANTESQUE"

Le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, estime dans une interview au Dauphiné libéré que Jacques Chirac a donné "à la fois du souffle et du coeur au ’oui’", soulignant que les sondages "ne sont pas des pronostics". Quatorze enquêtes d’opinion donnent pour l’heure le "non" gagnant le 29 mai.

L’UMP a salué le "langage de vérité" de Jacques Chirac et le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, a estimé que le président de la République avait donné "un nouvel élan à la campagne du ’oui’".

Au sein du gouvernement, Philippe Douste-Blazy, ministre de la Santé, a estimé que Jacques Chirac avait défendu "un oui de conviction", non "un oui d’arrogance". François Fillon, ministre de l’Education, a trouvé le président "convaincant", mais il a reconnu que "sans doute d’autres émissions" seraient nécessaires pour favoriser "un exposé plus pédagogique". Renaud Dutreil (Fonction publique) a vu jeudi soir le "oui du coeur" se joindre au "oui de la raison".

Ancien conseiller ès-sondages auprès de Jacques Chirac, le secrétaire d’Etat à l’Aménagement du territoire, Frédéric de Saint-Sernin, déclare pour sa part que le président "a mis les Français face à leur responsabilité de citoyens".

A gauche, les défenseurs du "oui" ne sont pas légion à commenter l’intervention de Jacques Chirac. L’ancien ministre socialiste Daniel Vaillant considère que le chef de l’Etat "a fait son travail" et qu’"on verra dans l’avenir s’il a été convaincant". Pierre Moscovici concède qu’"il reste beaucoup de travail à faire". Le Parti radical juge que "l’objectif est atteint" et que ce débat cathodique "marque la reconquête du ’oui’".

Les zélateurs du "non" ont en revanche trouvé dans l’émission de jeudi soir matière à relancer leur campagne.

Laurent Fabius a trouvé Jacques Chirac "peu convaincant" et le député PS des Landes Henri Emmanuelli l’a accusé de "ne reculer devant aucun mensonge". Pour le Parti communiste, "il a insulté les millions de Françaises et de Français qui, arguments à l’esprit, s’apprêtent à voter non".

A droite, les souverainistes Philippe de Villiers et Charles Pasqua ont la dent dure pour le chef de l’Etat. Le président du Mouvement la France (MPF) a fustigé "un verbiage convenu" pétri "d’injonctions et de mensonges". Le président du Rassemblement pour la France (RPF) affirme de son côté que Jacques Chirac a "rapetissé" son pays.

Nicolas Dupont-Aignan, chef de file des souverainistes de l’UMP, a raillé "la lecture abracadabrantesque" de la Constitution européenne faite par Jacques Chirac.