Le Sommet des Amériques

MAR DEL PLATA (AFP) - Argentine : fin du Sommet des Amériques sur une note de discorde

Trente quatre dirigeants du continent américain se sont séparés samedi à Mar del Plata (Argentine), sans parvenir à réduire leurs différences sur un projet de zone de libre échange défendu par Washington.

Malgré des heures de discussions acharnées, les participants à ce IVème Sommet des Amériques ont renoncé à trancher leur différend sur le projet d’un vaste marché commun s’étendant de l’Alaska à la Terre de Feu, proposé en 1994 par les Etats-Unis.

La déclaration finale, adoptée plusieurs heures après la fin programmée du Sommet, reconnaît que 29 pays sont favorables à cette Zone de libre échange des Amériques (ZLEA). Mais elle indique ensuite que cinq pays dont les deux plus importants d’Amérique Latine —le Brésil et l’Argentine— et le Venezuela, ont refusé de discuter du projet avant des négociations attendues en décembre à Hong Kong dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), où ils espèrent des contreparties, notamment agricoles, de la part des Etats-Unis et de l’Europe. "Ce n’est pas un échec de la ZLEA", a affirmé le ministre des Affaires étrangères, Rafael Bielsa.

[George W. Bush le 5 novembre à son départ de Mar del Plata - © 2005 AFP - Jim Watson]

Il a souligné qu’il y avait eu accord sur la nécessité d’une intégration économique continental et sur une proposition colombienne d’une réunion sur ce thème après les négociations de Hong Kong. Le Sommet a permis "un réel progrès" sur le commerce, a affirmé un haut responsable américain à bord de l’avion emmenant George W. Bush vers le Brésil. "Nous sommes passés d’un sommet qui était supposé enterrer la ZLEA à un sommet où 34 pays discutent réellement en termes de renforcement du commerce", a déclaré Stephen Hadley, conseiller américain à la sécurité nationale.

Le compromis arraché in extremis et après le départ de la plupart des présidents, y compris celui de M. Bush, entérine les divisions profondes qui ont éclaté au grand jour à l’occasion de ce sommet, rassemblant aux deux extrêmes Georges W. Bush et son ennemi juré, le président vénézuélien Hugo Chavez. Ce dernier s’est dit "satisfait" de l’issue de ce sommet où le duel attendu avec George W. Bush n’a finalement pas eu lieu. Les deux hommes se sont superbement ignorés, le Vénézuélien préférant réserver ses diatribes à l’encontre du président américain aux 40.000 personnes rassemblées vendredi dans un stade de Mar del Plata pour dire "non à Bush".

[Hugo Chavez le 5 novembre à Mar del Plata - © 2005 AFP - Juan Mabromata]

Plus de 10.000 d’entre eux avaient auparavant défilé dans les rues de cette station balnéaire aux cris de "Bush fasciste, c’est toi le terroriste". Des éléments plus radicaux se sont ensuite affrontés aux forces de l’ordre, incendiant une succursale bancaire et une quinzaine de commerces avoisinants. Ces incidents n’ont guère troublé le président américain, parti samedi pour le Brésil, deuxième étape de sa tournée en Amérique latine, même si M. Bush a reconnu devant la presse qu’il n’était guère facile de le recevoir.

Les divisions du continent sur le libre échange ont totalement occulté ce qui devait être le thème essentiel de ce IVème Sommet, la lutte contre la pauvreté et le chômage. Les participants ont pourtant décidé de lancer un plan d’action en faveur de l’emploi dans une région qui compte 222 millions de pauvres sur 512 millions d’habitants. "Quand on m’a invité à cette réunion, il y avait trois thèmes à discuter pendant ces 24 heures : l’emploi, l’emploi et l’emploi. Nulle part il n’était fait mention de la ZLEA", s’est impatienté samedi à ce sujet le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva.

Le président argentin Nestor Kirchner, hôte de ce sommet marqué par les divisions, s’est réjoui samedi du "dur" et "digne" combat mené par le Mercosur qui prouve ainsi sa "force". La veille, il n’avait guère trouvé de raisons de se réjouir après son entretien avec son homologue américain. Réclamant l’aide de Washington dans les négociations que l’Argentine veut entamer avec le Fonds monétaire international (FMI), il s’était vu opposer une fin de non recevoir. Bush a souligné que l’Argentine était désormais assez "forte" pour négocier toute seule.


Adolfo Perez Esquivel, Prix Nobel de la paix
"Bush est un danger pour le monde entier"
LE MONDE | 04.11.05 | 13h30

Pourquoi vous opposez-vous à la venue du président Bush dans votre pays, l’Argentine ?

Bush est un danger pour le monde entier. Il ne respecte ni la Déclaration des droits de l’homme, ni les pactes internationaux, ni le Conseil de sécurité des Nations unies. Il envahit des pays, il ment au monde et à son propre peuple. Bush est responsable de crimes de lèse-humanité, de massacres en Irak, en Afghanistan et dans la prison de Guantanamo. Il parle de terrorisme, mais refuse qu’on dénonce le terrorisme d’Etat des Etats-Unis. En Amérique latine, Bush est une menace car les Américains installent des bases militaires sur tout le continent, au Panama, en Colombie, en Equateur et dans le Pacifique.

Récemment, des troupes américaines se sont installées au Paraguay, où le gouvernement leur a accordé une immunité sur tout le territoire et notamment à la frontière avec la Bolivie. Les Américains sont intéressés par le Paraguay, car ce pays possède des grandes réserves d’eau. Bush veut imposer un Accord de libre commerce des Amériques (ALCA), mais le libre-échange n’est qu’un leurre, parce que ce sont les pays riches qui contrôlent les prix et le développement économique des plus pauvres. La marche de Mar del Plata contre Bush dénonce le pillage de l’Amérique latine.

Face au projet de l’ALCA, quel modèle envisagez-vous pour l’Amérique latine, celui du président brésilien Lula ou celui de son homologue vénézuélien Hugo Chavez ?

Il n’y a pas un modèle. Les seuls modèles sont l’autodétermination des peuples et l’intégration régionale, culturelle, sociale et politique. Cela ne signifie pas que nous ne devons pas faire du commerce avec l’Europe, mais à condition de respecter la souveraineté des peuples. Il faut profiter des bonnes choses de Chavez. Il travaille depuis longtemps sur le thème de l’intégration régionale. Au Venezuela, il a lutté avec succès contre l’analphabétisme et a accordé un budget important pour la santé et la lutte contre la pauvreté. Mais on l’accuse de populisme parce qu’il s’occupe des dépossédés !

Quelle signification attribuez-vous à la présence annoncée du président Hugo Chavez au Sommet des peuples, le contre-sommet anti-Bush ?

C’est un signal fort. Je me demande pourquoi il est le seul chef d’Etat à avoir fait cette demande. Pourquoi les autres mettent-ils tant de barrières pour se protéger du peuple ? C’est une dirigeante indigène d’Equateur qui lira, vendredi, la déclaration finale du sommet des peuples face à Chavez. Il l’écoutera et prononcera ensuite son discours.


Le Sommet des Amériques risque de se terminer sur un échec
LEMONDE.FR | 05.11.05 | 19h41 • Mis à jour le 05.11.05 | 19h47

A quelques heures de la fin du IVème Sommet des Amériques, les trente-quatre dirigeants du continent américain réunis à Mar del Plata (Argentine) cherchaient samedi à éviter l’échec en trouvant un terrain d’entente sur le projet de zone de libre échange défendu par Washington.

Le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, visiblement agacé, a eu beau marteler devant la presse que la Zone de libre échange des Amériques (ZLEA) n’était pas à l’ordre du jour, ce projet de marché commun continental, proposé en 1994 par les Etats-Unis, bloquait toujours samedi l’adoption d’une déclaration finale. "Quand on m’a invité à cette réunion, il y avait trois thèmes à discuter pendant ces 24 heures : l’emploi, l’emploi et l’emploi. Nulle part il n’était fait mention de la ZLEA", a affirmé le président Lula.

BUSH REFUSE D’AIDER L’ARGENTINE

Le Mexique n’est pas de cet avis et continuait samedi à réclamer, au nom d’une trentaine de pays, que la ZLEA soit mentionnée dans la déclaration finale du Sommet. Il a vivement critiqué les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay), opposés à cette initiative, en les invitant à se montrer plus "créatifs" et à revenir à la table de discussions.

Devant ces blocages qui menacent "son" sommet, le président argentin Nestor Kirchner n’a pas non plus trouvé matière à se réjouir après son entretien avec son homologue américain George W. Bush. Réclamant l’aide de Washington dans les négociations que l’Argentine veut entamer avec le Fonds monétaire international (FMI), il s’est vu opposé une fin de non recevoir, M. Bush estimant que Buenos Aires est désormais assez "forte" pour négocier toute seule. Les deux hommes ont d’ailleurs reconnu lors d’un point de presse avoir discuté avec une grande franchise de leurs divergences, à commencer par la ZLEA.

LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ OCCULTÉE

Plus tard, le président argentin, dans un discours prononcé lors de la cérémonie d’ouverture, n’a pas hésité à dénoncer la responsabilité "inexcusable" des Etats-Unis dans la défense de politiques qui ont provoqué, selon lui, "misère et pauvreté", dénonçant au passage le rôle du FMI dans ces politiques. "Au nom de la démocratie, nous avons moins de démocratie", a-t-il notamment lancé, sous les vivas de son homologue vénézuélien Hugo Chavez, ennemi déclaré de Washington.

Ces divisions continentales ont totalement occulté ce qui devait pourtant être le thème essentiel de ce IVème Sommet, à savoir la lutte contre la pauvreté et le chômage. Et ce malgré les manifestations, à Mar del Plataet dans tout le pays, de milliers de personnes réclamant notamment de meilleures conditions de vie, avec en point culminant un grand rassemblement anti-Bush dans le stade de la ville.

Vendredi après-midi, des incidents violents ont opposé les forces de l’ordre à environ 300 militants radicaux,et plus de 80 personnes ont été arrêtées. Aucun nouvel incident n’a été signalé samedi.


En Argentine, des milliers de manifestants ont conspué le président George Bush
LE MONDE | 05.11.05 | 13h51 • Mis à jour le 05.11.05 | 13h51
MAR DEL PLATA de notre envoyée spéciale

"Bush go home" , "Bush, fasciste, c’est toi le terroriste" : aucun président des Etats-Unis n’a été accueilli avec autant d’hostilité en Argentine que George Bush, qui a été conspué, vendredi 4 novembre, par 40 000 personnes à Mar del Plata (à 400 km au sud de Buenos Aires), où s’est ouvert le 4e Sommet des Amériques qui réunit, jusqu’à samedi, les chefs d’Etat et de gouvernement de 34 pays.

Une soixantaine de personnes ont été arrêtées à la suite d’incidents qui ont éclaté, dans l’après-midi, entre les forces de l’ordre et quelques dizaines de manifestants qui ont incendié une banque et détruit plusieurs commerces. Des manifestations et des grèves contre la présence du chef de la Maison Blanche ont eu lieu dans tout le pays. Des violences se sont aussi produites à Buenos Aires.

C’est, en revanche, dans un climat de fête, vendredi matin, qu’une foule bigarrée, portant des drapeaux multicolores, a marché, malgré la pluie, au rythme de salsa et de reggae, vers le stade de la station balnéaire pour un meeting anti-Bush. Les principales vedettes en ont été le président vénézuélien Hugo Chavez et Diego Maradona, l’idole du football argentin, totalement métamorphosé depuis qu’il a arrêté de se droguer et perdu 40 kg. Le duo insolite a été longuement ovationné sur un podium au-dessus duquel flottait un immense portrait d’Ernesto Che Guevara. Ils étaient accompagnés, entre autres, d’Evo Morales, donné favori pour l’élection présidentielle du 18 décembre en Bolivie, d’Hebe Bonafini, la présidente des Mères de la place de Mai, de la pacifiste américaine Cindy Sheenan et de l’Argentin Adolfo Perez Esquivel, Prix Nobel de la paix.

Pendant deux heures et demie, le président vénézuélien a prononcé, avec fougue, un discours très applaudi au cours duquel il a accusé les Etats-Unis de vouloir envahir son pays. Affirmant que le projet de M. Bush de négocier un Accord de libre commerce des Amériques (ALCA) avait été "enterré" à Mar del Plata, M. Chavez a proposé en échange une intégration des peuples latino-américains, baptisée "Alternative bolivarienne pour les Amériques" (ALBA).

Cuba n’a pas été invité au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, faute d’avoir des institutions démocratiques, mais l’ombre de Fidel Castro a survolé le contre-sommet anti-Bush. M. Chavez a mentionné à plusieurs reprises le dirigeant cubain, qui avait dépêché une délégation de 300 athlètes et artistes, parmi lesquels le chanteur Sergio Rodriguez.

Quelques jours avant le sommet, Maradona avait diffusé à la télévision un entretien avec son ami Castro, faite à La Havane, au cours de laquelle l’ex-capitaine de la sélection argentine avait fait "la promesse" au leader cubain de venir à Mar del Plata. Selon un récent sondage, 57,5 % des Argentins étaient opposés à la venue de M. Bush, tandis que 75 % approuvaient celle de M. Chavez.

En marge du sommet, M. Bush a eu, vendredi matin, un entretien avec le président argentin, Nestor Kirchner (péroniste). "Il n’est pas facile de me recevoir" , a reconnu en riant le président américain au cours d’un point de presse. Le chef de la Maison Blanche a réclamé au président argentin davantage de sécurité juridique pour les investisseurs étrangers. Fin septembre, le groupe français Suez, concessionnaire de la distribution d’eau dans le grand Buenos Aires, avait annoncé son retrait d’Argentine.

Selon M. Bush, le président Kirchner s’est dit "d’accord sur ce point" et a affirmé que "les Etats-Unis pourraient avoir une participation constructive dans la région" . M. Kirchner s’est félicité d’avoir eu un entretien "franc et sincère" avec le président américain.

A l’ouverture du sommet, le président argentin a durement critiqué le Fonds monétaire international (FMI), avec lequel Buenos Aires doit reprendre des négociations, qui furent par le passé houleuses. Le FMI, a lancé M. Kirchner, doit reconnaître sa part de responsabilité dans "l’échec des politiques néfastes" qui ont conduit, selon lui, à l’endettement dramatique de plusieurs pays d’Amérique latine, dont l’Argentine.

L’ALCA est la principale pierre d’achoppement de la déclaration finale du Sommet des Amériques, qui devait être prête samedi. Les Etats-Unis, mais aussi le Mexique, le Canada, le Chili, les pays d’Amérique centrale et des Caraïbes, sont favorables à une reprise des négociations sur l’ALCA dès 2006. En revanche, l’Argentine et le Brésil, mais aussi l’Uruguay et le Paraguay, pays fondateurs du Mercosur, rechignent à s’associer à l’ALCA, estimant insuffisantes les propositions des Etats-Unis concernant l’ouverture de ses marchés agricoles.