Le protocole de Kyoto entre en vigueur

Conclu le 11 décembre 1997 à Kyoto (Japon), le plus contraignant de quelque 250 accords mondiaux sur l’environnement, ratifié par 140 Etats, prend effet ce 16 février 2005. Sauvé par le ralliement de la Russie aux pays signataires, le protocole va faire ses premiers pas en dépit du retrait de l’Australie et des Etats-Unis. Il s’agit donc d’un premier pas balbutiant et modeste, qui ne fixe des objectifs contraignants qu’à 35 pays industrialisés ; mais la date pourrait marquer un tournant dans la prise de responsabilité des Etats face au réchauffement climatique. Les ministres européens, principaux défenseurs du protocole, ont annoncé qu’ils intensifieraient leurs efforts pour tenter de faire changer d’avis Washington et aux Etats-Unis, pays le plus gros pollueur du monde, le débat bat son plein.

La principale cérémonie aura lieu à Kyoto, où fut signé le traité en 1997. « C’est un événement très important pour le Japon », a expliqué Takashi Omura, responsable de la section de l’environnement mondial au ministère de l’Environnement, soulignant que l’archipel entendait jouer un rôle de « leader » dans la préservation de l’environnement. La cérémonie rassemblera plusieurs personnalités de la communauté internationale, parmi lesquelles le prix Nobel de la paix 2004 et secrétaire d’Etat kenyane à l’Environnement, Wangari Maathai, la secrétaire exécutive de la Convention-cadre sur les changements climatiques, la Néerlandaise Joke Waller-Hunter et la ministre japonaise de l’Environnement Yuriko Koike.

Des messages vidéo du secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, et du président de la Commission européenne, José Manuel Durao Barroso, seront également retransmis. Les organisations non gouvernementales écologistes participeront à plusieurs actions dans le monde entier. Ainsi le réseau action climat, qui en regroupe 340, a annoncé plusieurs manifestations pour célébrer l’événement comme, à Lisbonne, une tournée à vélo auprès des différentes ambassades des pays ayant ratifié le traité ; à Berlin, le déploiement d’un ballon gonflable près du Reichstag ; à Paris, un message accroché à la statue de la Liberté, « Kyoto 2005, rejoignez-nous ! », message à l’adresse des pays encore réfractaires, et en premier lieu les Etat-Unis. Des manifestations et des conférences de presse d’ONG se tiendront également à Moscou ou à Tokyo, ou encore devant l’ambassade des Etats-Unis à Rome.

Prise de conscience des enjeux posés par le réchauffement climatique

Les scientifiques s’accordent à dire que les températures pourraient augmenter de 1,4°C à 5,8°C d’ici à 2100, avec des impacts néfastes pour nos écosystèmes, nos économies et l’humanité. Pour la première fois, une limite juridique contraignante marque une étape dans la lutte contre le réchauffement climatique. Le protocole de Kyoto, ratifié par 140 Etats, ne fixe des objectifs contraignants qu’à 35 pays industrialisés pour lesquels il va s’agir de ramener à l’horizon 2008-2012. leurs émissions de gaz à un volume de 5,2% inférieur à son niveau de 1990, car ces gaz, qui s’accumulent dans la basse atmosphère, emmagasinent la chaleur comme les vitres d’une serre. Sont principalement concernés le dioxyde de carbone (ou gaz carbonique, CO2), le méthane, le protoxyde d’azote, et trois gaz fluorés (HFC, PFC, SF6). Si rien n’est fait pour enrayer l’escalade, inondations, sécheresse, ouragans et autres perturbations climatiques seront de plus en plus massifs et difficiles à contrer, et ces désordres auront de graves conséquences sur nos économies et pour l’avenir de l’humanité. Or, les experts scientifiques tirent une sonnette d’alarme : « même si l’on parvient un jour à stabiliser les rejets de CO2, la concentration de ce gaz dans l’atmosphère continuera d’augmenter pendant 100 à 300 ans, et les températures continueront de grimper plus longtemps encore, pendant quelques siècles ».

En 2001, le CO2 représentait aux Etats-Unis 83,6% des émissions de gaz à effet de serre émanant de sources humaines, pas question ce faisant de rompre les négociations avec les Etats-Unis, « jusqu’à ce que les Américains soient prêts à s’asseoir à une table avec les autres pays et les ONG pour chercher des solutions constructives ». Montrée du doigt, l’administration américaine, qui a rejeté la ratification de Kyoto dès le début de son premier mandat en 2001, persiste à contester à la fois la justification du protocole et son coût économique. Or les Etats-Unis, premiers pollueurs planétaires, sont le seul pays industrialisé à ne pas adhérer. Cette attitude de l’administration Bush est de plus en plus critiquée dans le monde par une opinion qui prend de plus en plus conscience des enjeux posés par le réchauffement climatique, mais critiquée aussi jusque dans les rangs de sa majorité républicaine.

« Kyoto n’est qu’un premier pas »

L’impératif est donc vital, et si Washington persiste à faire cavalier seul, l’efficacité du traité sera limitée. Ainsi, le Japon a promis mardi d’intervenir : « Les pays [qui n’ont pas ratifié le traité] disent qu’ils vont prendre leurs propres mesures, mais franchement je me demande si ça peut marcher (...). Nous voulons continuer à les pousser à adhérer au Protocole », a déclaré Nobutaka Machimura. En France, le président Jacques Chirac a appelé mardi les pays développés à s’engager plus avant « en divisant par quatre, d’ici à 2050, les émissions de gaz à effet de serre afin d’enrayer le réchauffement de la planète. Kyoto n’est qu’un premier pas. Nous devrons aller plus loin ». En vingt ans, la « diplomatie climatique » a de toute évidence fait un immense pas en avant, mais ce pas est encore insuffisant

« Aucune initiative de George Bush ne peut sérieusement répondre au problème de l’explosion des émissions polluantes aux Etats-Unis », regrette Alden Meyer, de l’influente organisation Union of Concerned Scientists, jugeant que l’approche de l’environnement reste trop soumise à des considérations de compétitivité économique. Cela étant, de nombreux Etats américains ont déjà pris des initiatives pour réduire ces gaz (dont 21% sont émis par les Etats-Unis). Le Pew center, un centre indépendant de recherche, précise que « dix-huit états exigent que les centrales électriques -dont beaucoup brûlent du charbon- produisent une partie de leur électricité avec des sources d’énergie renouvelable ». Il souligne aussi « le développement d’une nouvelle tendance importante à des actions régionales », comme le projet de création d’un marché d’échanges de droit d’émissions de CO2 par neuf états du nord-est et de la côte atlantique sur le modèle de Kyoto, créant un encouragement financier à réduire les émissions polluantes. La Californie, état le plus peuplé, a décidé par ailleurs de forcer les constructeurs automobiles à vendre des véhicules moins polluants à partir de 2009, ce qui devrait réduire les émissions de CO2 de 30% en 2016. Cette volonté d’action se manifeste aussi de plus en plus largement au Congrès fédéral, où plusieurs sénateurs républicains soutiennent désormais ouvertement le principe de limites fédérales pour les émissions de CO2.

Dominique Raizon pour RFI