Le sort des femmes en Pologne pseudo-démocratique

article publié le 28/09/2006
auteur-e(s) : Czesław JANIK, Maria SZYSZKOWSKA
Maria SZYSZKOWSKA et Czesław JANIK
Traduit du Polonais par Monika Karbowska


Une des conditions d’existence d’une démocratie véritable est la pluralité d’opinions dans la société. L’Après 1989 voit en Pologne la formation d’une société caractérisée par une seule option idéologique, l’option catholique. La situation s’est donc dégradée par rapport aux années 1956 [1]-1989 car la société d’alors était composée de deux courants idéologiques : les marxistes avaient l’appui de l’Etat tandis que les groupes chrétiens légalement existant publiaient des livres et des périodiques diffusant le point de vue chrétien. L’Etat polonais de l’époque avait donné son accord pour l’activité de l’Université privée Catholique de Lublin et en 1954 il ouvrait l’Académie publique de Théologie Catholique à Varsovie. Au sein du mouvement chrétien co-existaient alors de nombreux courants philosophiques : le tomisme, le teilhardisme, le personnalisme et l’existentialisme chrétien tandis que des philosophes comme Teilhard de Chardin, Mounier, Maritain, Marcel influençaient fortement la mentalité polonaise. L’action de ces deux différents courants de pensée sur la conscience de notre société a conduit à des débats politiques et philosophiques passionnés qui se déroulaient également dans la presse quotidienne.

Les années 1956-1989, c’est à dire après la période stalinienne, ont apporté une amélioration significative de la situation des femmes polonaises. Enfin prises au sérieux, les exigences d’émancipation des femmes ont conduit à l’ouverture aux femmes de tous les métiers possibles. La femme-conductrice de tracteur est devenue le symbole de ce passé récent. Le désir de garantir aux femmes la liberté et la possibilité de choisir leur mode de vie a entraîné la construction d’un très grand nombre de crèches et d’écoles maternelles. L’objectif était de permettre aux femmes d’accéder à une activité professionnelle. C’est à ce moment-là que fut instituée la loi autorisant l’avortement pour des raisons sociales.
Les femmes ont obtenu une réelle possibilité d’accéder à l’instruction à l’égalité avec les hommes. Des écoles ont été crées à la campagne. De nombreuses bourses ont été attribuées et des conditions favorables ont été crées afin que chaque femme puisse, si elle le souhaitait, faire des études grâce à un système d’éducation entièrement gratuit. Les femmes sont sorties de l’enfermement domestique et se sont senties égales aux hommes. Les plus courageuses, animées par la passion de l’action sociale, se sont investies dans la vie politique. Bien entendu, les résistances des hommes à l’apparition des femmes dans la sphère publique ont été très vives. Mais petit à petit les femmes ont commencé à accéder à des fonctions plus importantes : contremaître, responsable du personnel, directrice-adjointe, directrice d’école, vice-ministre. Il est important de souligner qu’à cette époque, la vie publique était remplie de débats idéologiques. L’aspiration à des pseudo-valeurs comme la richesse matérielle n’avait pas la même intensité qu’aujourd’hui.

Puis l’année 1989 arriva et avec elle le début de l’introduction de la « démocratie » en Pologne. Selon les promesses de Wałęsa, le socialisme devait être amélioré en Pologne : aucun ouvrier qui faisait grève ne se rendait alors compte que le capitalisme sera finalement introduit et qu’il conduira une majorité de la société à la pauvreté. Après 1989 est apparu un phénomène inconnu en Pologne Populaire : le chômage. En ouvrant les frontières aux transnationales occidentales on a permis la destruction de l’industrie polonaise. Les changements structurels effectués dans la sphère économiques ont eu un impact négatif sur la situation des femmes. Le chômage des femmes est ainsi particulièrement élevé. Aujourd’hui, si quelqu’un embauche une femme, il lui propose un statut et un salaire inférieur à celui des hommes employés sur le même poste. La discrimination des femmes se manifeste entre autres par le fait que seules de très jeunes femmes peuvent trouver facilement un emploi. Elles sont alors embauchées comme employées de banques ou comme secrétaires.

La fermeture des crèches et des écoles maternelles publiques tend à enfermer les femmes dans un seul rôle : celui de maîtresse de maison. On entend fréquemment, en accord avec l’idéologie de l’Eglise catholique, que le rôle de la femme est la maternité et les soins à la famille. Cependant, les salaires peu élevés des hommes ne permettent pas l’entretien d’une famille à un niveau décent. La pénurie d’emploi a comme conséquence l’apparition d’une prostitution illégale appelée en Pologne « les agences de rencontres » ou les « salons de massages ». La pauvreté qui règne actuellement dans la plupart des foyers limite également l’accès des femmes à l’instruction car, contrairement aux temps de la République Populaire de Pologne, cet accès exige maintenant des moyens financiers. L’émigration massive à l’étranger à la recherche d’un travail a déjà commencé. Parmi ceux qui quittent la Pologne les femmes constituent un pourcentage important.

Ces difficultés économiques, qui dégradent la situation des femmes, sont accompagnées par la propagation de l’idéologie catholique. Le règne d’une seule option idéologique ainsi que la menace d’une « punition divine » mènent à une profonde aliénation. Les femmes deviennent également passives sous l’influence de magazines féminins et d’émissions médiatiques qui leur imposent la conviction trompeuse que l’unique place de la femme est l’Eglise, la cuisine et les enfants. La Mère-Polonaise doit être un idéal à atteindre. Cela renforce le sentiment d’infériorité des femmes célibataires et sans enfants désignées par la propagande massive de l’Eglise catholique comme l’anti-modèle par excellence. Les lesbiennes sont dans une situation encore plus dramatique parce que l’Eglise inculque à la société que l’homosexualité est une maladie, une forme de déviation.

Il n’y a aucune possibilité d’aménager des espaces d’émancipation pour sortir de cette aliénation parce que les manuels scolaires sont au diapason de la doctrine de l’Eglise catholique et que la télévision publique s’interdit toute autre interprétation que catholique. De plus, les télévisions privées existant en Pologne sont toutes ouvertement catholiques. La Radio Maryja et la télévision « Trwam » [2] propagent non seulement l’intolérance sur le mode catholique mais également l’antisémitisme et la sympathie pour les mouvements néo-fascistes polonais. La gauche, même lorsqu’elle était au pouvoir, ne s’en est pas soucié et n’a pas voulu imposer aux médias publics le respect de la diversité d’opinions, ce que les auteurs de cet article ont en vain demandé aux responsables de l’Union de la Gauche Démocratique [3].

Le recul des processus d’émancipation est également lié à l’absence de courage, un courage nécessaire pour s’opposer publiquement à l’avancée de la cléricalisation. Il est notamment difficile d’aller à l’encontre de l’instinct de préservation et du conformisme quand on craint de perdre son emploi. [4]
La dégradation de la situation des femmes est également le résultat direct de l’interdiction de l’IVG par le nouveau pouvoir en Pologne. Même lorsque la gauche a gagné les élections parlementaires, le SLD n’a pas voulu voter de loi autorisant l’interruption de grossesse pour motifs sociaux et personnels car il s’efforçait d’obtenir l’approbation de l’Eglise. Un échange tacite a eu lieu : le gouvernement de gauche a conclut un accord maintenu secret devant la société afin de gagner le référendum sur l’entrée de la Pologne dans l’Union Européenne. Selon cet accord l’Eglise s’engageait à convaincre la société de voter pour l’entrée dans l’Union à condition qu’aucune loi contraire à la doctrine catholique ne soit promulguée. De fait l’Eglise, ennemie de l’émancipation des femmes depuis toujours, est devenue une puissance économique ainsi que la seule force politique avec laquelle les autres forces doivent composer. Le gouvernement actuel n’a gagné les élections de l’année dernière que grâce au soutien de l’Eglise et des médias.

L’Eglise a également refusé l’introduction de cours d’éducation sexuelle dans les écoles alors que le manque de connaissances en la matière joint à un accès limité à la contraception et à l’interdiction de l’avortement mènent à l’extension de l’avortement clandestin et pour les femmes les plus pauvres, à l’infanticide. Le soutien public au modèle patriarcal de la famille joint au stress que provoque chez les hommes le chômage entraînent l’augmentation des violences contres les femmes et les enfants. Les cas de viol et d’inceste ne sont pas rares.

La conscience des femmes polonaises est actuellement imprégnée des valeurs propagées par l’Eglise catholique et des superstitions qui leurs sont liées. La publicité pour les produits de luxe, vêtements, voitures et cosmétiques, façonne également les mentalités et suscite un désir malsain de s’enrichir à tout prix. Il est inquiétant de constater que le sens des valeurs sociales n’existe plus chez ceux qui ont pour mission d’éduquer les jeunes générations. L’ambiance que nous venons de décrire accroît la passivité des femmes. De nombreuses femmes sont fatiguées par la lutte pour la survie. Un pourcentage infime s’engage dans la politique. Très peu de femmes participent aux élections parlementaires et c’est pourquoi le parlement est massivement dominé par les hommes. Même la gauche parlementaire discrimine les femmes issues de ses rangs : elles sont placées moins bien que les hommes sur les listes électorales et n’ont pas accès aux plus hautes fonctions dans les partis tandis que le gouvernement actuel ne compte qu’une seule femme ministre.

Etant donné cette situation, la candidature de la co-auteure de cet article à la fonction de Présidente de la République fut un événement nouveau. Les médias l’ont traité avec mépris parce que la candidate n’appartenait pas au « bon » genre et parce qu’elle ne cachait pas ses opinions de gauche. Par ailleurs Maria Szyszkowska a enfreint la coutume consistant à désigner le candidat suite à des tractations entre partis. Elle a été candidate du mouvement social et n’a été désignée par aucun parti, pas même par la gauche non-parlementaire. La campagne a été difficile parce qu’il s’agissait d’investir un espace jusque là réservé aux hommes. Cet exemple illustre les difficultés des femmes d’accéder à l’espace politique en Pologne et démontre qu’il s’agit d’un idéal actuellement inaccessible. Même la loi portant sur l’égalité des femmes et des hommes n’a pas pu être votée par le parlement polonais malgré les directives ERCI. [5]

Maria Szyszkowska a organisé trois conférences de presse afin de rendre publiques ses propositions de réformes de la politique de l’Etat et de son système juridique mais les médias l’ont ignorée. En outre, elle fut l’unique candidate à la Présidence de la République à lancer un appel à la discussion avec tous les autres candidats afin de débattre dans les médias du modèle de l’Etat et de l’ordre légal ainsi que des moyens de résoudre les problèmes économiques et sociaux incluant les problèmes des personnes sans domicile fixe, les chômeurs, les misérables retraites et pensions d’invalidité, la situation des personnes handicapées, des personnes enfermées dans les hôpitaux psychiatriques et dans les prisons. Les médias n’ont pas relayé l’information et les comités électoraux des autres candidats n’ont pas réagi à cette initiative.

Il est important de souligner que les médias ont sciemment manipulé l’information et ont empêché la candidate issue du mouvement social et ne faisant pas partie de l’élite au pouvoir de présenter son programme et de participer au débat public. Maria Szyszkowska a été proposée comme candidate au Prix Nobel de la Paix 2005 pour son attitude ferme et libre de tout opportunisme dans sa lutte pour la protection des droits humains et la paix dans le monde. Sa nomination a été soutenue par plusieurs organisations internationales et par des personnalités du monde entier mais les médias l’ont ignoré également.

Changer la situation des femmes en Pologne exige de changer les mentalités des femmes et des hommes. La difficulté commence là puisque l’enseignement public et les médias sont sous l’influence de l’Eglise catholique. Sans soutien, dont un soutien financier, il ne sera pas possible de créer des médias alternatifs à la droite et aucun changement social ne sera possible. Quelques partis de gauche existent bien en Pologne à l’extérieur du parlement, comme le parti « Racja » [6], mais ils sont privés de moyens financiers et n’ont pas accès aux médias. De ce fait ils n’ont pas d’influence réelle sur la vie publique et leur programme comme leurs actions et leurs réalisations ne sont connus que d’un petit groupe de citoyens.

De fait la Pologne n’est pas un pays démocratique car elle discrimine tous les groupes, partis, et associations non-gouvernementales luttant pour l’égalité des femmes et d’autres minorités. [7]

Maria Szyszkowska [8]
Czesław Janik

[1] L’année de la chute du stalinisme

[2] littéralement « Je persévère ».(note de la traductrice)

[3] SLD. Coalition de partis et mouvements groupés autour de la Social-démocratie Polonaise SDRP, fondée en 1990 par d’ex-communistes du POUP dont Alexander Kwaśniewski, Président de la République de 1995 à 2005. SDL a formé et dirigé des gouvernements de 1993 à 1997 et de 2001 à 2005. (note de la traductrice).

[4] Par exemple, le Bureau du Chargé du Gouvernement pour les Femmes et le Planning Familial, qui selon les directives de la Commission Européenne contre le Racisme et l’Intolérance (ERCI) devait être complètement indépendant du gouvernement non seulement n’a jamais pu obtenir cette indépendance, mais en plus, il a été supprimé et Madgalena Środa, sa Responsable, limogée de son poste. (Voir « Troisième Rapport ERCI sur la Pologne »)

[5] Voir « Troisième rapport ERCI sur la Pologne » du 17 décembre 2004 publié à Strasbourg le 14 janvier 2005.

[6] « La Raison ».

[7] La gauche parlementaire polonaise propage le libéralisme économique et sollicite le soutien de l’Eglise.

[8] Au sujet de Maria Szyszkowska, voir « 1000 Peace Women- Across the Globe, a Kontrast Book », publié par l’Association 1000 Women for the Nobel Peace Prize, 2005, p.988-999. Les ouvrages en Français de Maria Szyszkowska : “La conception du droit canonique d’après Maria Szyszkowska », Université Catholique de Louvain, Faculté de Théologie et de Droit Canonique, 1995. Les critiques en Français des ouvrages de Maria Szyszkowska : « Le néokantisme. La philosophie sociale et la philosophie du droit à contenu variable », « Investigations sur le droit naturel ou des besoins de l’homme », « Aux sources de la philosophie contemporaine du droit et de la philosophie de l’homme » - dans « Archives de Philosophie du Droit », tome 19, « Le Langage du Droit », Sirey, Paris 1974.