Les écoles anglaises s’émancipent

LE MONDE | 16.03.06 | LONDRES CORRESPONDANT

Tony Blair voulait cette victoire plus que toute autre. Le premier ministre britannique l’a arrachée, mais au prix fort, car il la doit au soutien des conservateurs - principal parti d’opposition -, après de nombreuses défections dans son propre parti : sa réforme de l’éducation a passé son épreuve parlementaire décisive, mercredi 15 mars aux Communes, où elle a été votée par 458 voix contre 115 (dont 52 votes de rebelles travaillistes). Aucun élu conservateur n’a voté contre.

Le projet doit maintenant être étudié en commission, avant d’être soumis à son approbation finale. Le premier ministre a remporté, contre l’opposition cette fois, un vote pour accélérer la procédure.

Tony Blair est désormais sûr de laisser en héritage une loi qui lui tient très à coeur, pour laquelle il a négocié pendant quatre mois avec sa majorité travailliste, conforme à son slogan proclamé dès 1997 : "J’ai trois priorités : éducation, éducation, éducation." L’objectif affiché de la réforme est clair : améliorer la qualité de l’enseignement en Angleterre (l’Ecosse et le pays de Galles ont leur propre système).

Selon Ruth Kelly, ministre de l’éducation, 40 % des élèves ont un niveau scolaire insuffisant. D’après les statistiques officielles, un enfant sur cinq ne maîtrise pas l’anglais à la fin du primaire, et un sur quatre n’est pas à la hauteur en mathématiques. Le gouvernement veut résoudre ce problème en instaurant une plus grande concurrence entre des écoles publiques. D’où le coeur du projet : les écoles qui le souhaitent pourront prendre leur autonomie vis-à-vis des autorités locales qui les gèrent actuellement. Elles seront administrées par un "trust", une fondation, sous la direction d’un sponsor privé, qui pourra être une association, une université, un club sportif, une entreprise ou un groupe de parents d’élèves. Ces derniers joueront un rôle accru.

Ces "écoles fondations" seront propriétaires de leurs terrains et bâtiments, pourtant payés à 100 % par l’Etat. Elles ne pourront faire aucun profit ni imposer de droit d’inscription. Elles ne pourront pas sélectionner leurs élèves en fonction de leurs aptitudes scolaires et devront obéir à un code de conduite. Des entreprises comme Toshiba, Honda ou Vodafone, des banques comme UBS, les Eglises anglicane et catholique, un milliardaire musulman et nombre d’associations ont déjà dit vouloir parrainer ces écoles.

La nouvelle loi viendra diversifier un paysage scolaire anglais très disparate. 94 % des élèves fréquentent les 21 000 écoles publiques primaires et secondaires, les autres étudiant dans 2 000 établissements privés. Parmi les écoles publiques, 7 000 sont confessionnelles. Dans le secondaire, les écoles publiques classiques sont en voie de disparition, car 75 % des 3 300 collèges et lycées sont "spécialisés" dans un domaine - gestion, langues, art, mathématiques ou mécanique - et peuvent sélectionner 10 % des élèves sur leurs aptitudes. Sans oublier les 164 "Grammar Schools", vestiges d’un enseignement hautement sélectif.

Ce désir d’impliquer des partenaires extérieurs privés dans la gestion de l’enseignement s’est traduit en 2002 par le lancement des "City Academies", aujourd’hui au nombre de 27, concédées à des sponsors moyennant une mise de fonds équivalant à 3 millions d’euros. Les adversaires du projet craignent une privatisation rampante de l’éducation, et une sélection déguisée. Ils contestent qu’une compétition accrue produira nécessairement une hausse du niveau scolaire. Pour eux, la réforme de Tony Blair n’est qu’un pari hasardeux.
Jean-Pierre Langellier
Article paru dans l’édition du 17.03.06