Les paysans africains s’unissent et rêvent de Bolivie

de Bamako, Christophe Koessleer
Le courrier

Paru le Lundi 23 Janvier 2006

BAMAKO - Le Forum social mondial qui se tient jusqu’à ce soir au Mali
a vu converger de nombreux petits paysans africains. Ils peuvent y
confronter leurs expériences avec des leaders d’Amérique et d’Asie.

Près de 80% des Africains vivent encore aujourd’hui dans les
campagnes. Une réalité qui contribue à l’affluence des ateliers du
Forum social mondial sur les problèmes et les défis du monde agricole.
Environ cinq cent militants de confédérations syndicales ou
d’associations paysannes, des chercheurs, des consultants ou de
simples agriculteurs des cinq continents ont rempli à ras bord jeudi
les salles de la modeste Bibliothèque nationale de Bamako. On pouvait
y observer une écrasante majorité d’organisations africaines,
maliennes principalement. Les Européens, Latino-Américains et
Asiatiques ne comptaient qu’une petite dizaines de délégués dans
chacune des trois salles. Un voisinage hétéroclite de boubous
flambants neufs, d’habits européens usés jusqu’à la corde (ceux des
paysans), de coiffes traditionnelles et de casquettes vertes du
réseau international Via Campesina. Les discussions ont clairement
montré que les paysans du monde entier se retrouvent confrontés, dans
un même mouvement, aux privatisations des compagnies agricoles
d’Etat, à la libéralisation sélective des marchés et à la
confiscation des terres par des sociétés privées ou des agents de
l’Etat.

Revenir au maraîchage

« Les institutions internationales nous ont poussé à développer les
cultures d’exportation comme le coton, ce qui a entraîné une chute
spectaculaire des cours mondiaux », a aussi rappelé un intervenant
guinéen lors du séminaire consacré à la souveraineté alimentaire. Ce
qui a poussé de nombreuses associations paysannes à conseiller à
leurs membres de retourner à des cultures vivrières pour leur propre
consommation, comme le sorgo, le mil et le manioc et l’élevage,
renonçant ainsi au riz thaïlandais et aux poulets chinois. « Si le
gouvernement finançait le développement de l’agriculture de
subsistance, notamment dans le bassin du Tchad, nous pourrions
largement subvenir à nos besoins et même exporter », assure le
secrétaire général du Cadre national de concertation des producteurs
nationaux du Tchad, la principale faîtière de ce pays.
On est loin de cet objectif. La part des budgets des pays africains
consacrée à l’agriculture est passée de 4% en en 1980 à 1% environ
aujourd’hui, a calculé Jacques Berthelot, chercheur à l’Institut
national d’agronomie de Toulouse. « Les pays du Nord ont toujours
subventionné et protégé leurs marché et cela a permis le
développement de l’industrie », affirme-t-il.

La victoire du Mozambique

Mais, avant cela, un problème plus fondamental concerne les petits
exploitants : l’accès à la terre. Les participants à l’atelier sur les
luttes paysannes ont salué à cet égard les petits producteurs du
Mozambique, venus présenter les résultats d’une longue lutte sociale :
l’obtention d’une loi très progressiste en la matière. Elle permet à
un paysan d’obtenir un titre de propriété sur sa terre s’il la
cultive depuis au moins dix ans, et de ne payer aucun impôt s’il ne
réalise pas de profits importants.
Une universitaire chinoise a ensuite rappelé que la révolution de Mao
avait attribué la propriété des terres aux communautés villageoises
qui en avaient usage, et non à l’Etat, connu pour son action
inefficace et prédatrice pour les petits paysans en Afrique de
l’Ouest. Un véritable exemple pour la chercheuse. Et une alternative
à la privatisation actuelle des terres, comme le montre l’exemple
philippin : de nombreuses multinationales ont acheté des terres au
gouvernement et évincé les petits producteurs pour cultiver des
produits d’exportation. Ceux d’entre eux qui sont ensuite engagés
comme ouvriers agricoles sont conviés à acheter du maïs transgénique
étasunien pour leur survie, raconte M. Antonio, basé à Manille.


En Bolivie, paysans au pouvoir

Le cas bolivien a aussi suscité l’intérêt de l’assistance : « Comment
se peut-il qu’un mouvement paysan marginalisé se retrouve à la tête
de l’Etat ? » s’est interrogé Isabel Rauber, du centre de recherche
argentin Pasado y Presente 21. « Il a fallu briser la logique
sectorielle », assure-t-elle. Le mouvement des cultivateurs de coca a
su s’allier avec les associations de quartier des villes, les
syndicats et les étudiants sur des revendications communes. En
Bolivie, ce fut principalement l’accès à l’eau et la redistribution
des richesses nationales, le pétrole et le gaz. Au Mali, on pense
immédiatement au coton et à l’or, l’un en voie de privatisation,
l’autre aux mains de capitaux internationaux.
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L’exemple suisse essaime à Bamako

Grand sujet de préoccupation pour les paysans du Sud, la question des
OGM est largement débattue à Bamako. Mohamed Haïdara, coordinateur de
l’ONG Afrique Verte Mali, estime que l’introduction des semences
brevetées en Afrique se fait contre le gré des producteurs et sous la
pression des puissances industrielles. « Ca commence chez nous avec le
coton. Le jour que ce sera le tour des céréales, ça va tuer les
producteurs, ils seront obligés d’aller acheter leurs semences à une
firme américaine », craint M. Haïdara. Réclamant une protection de la
biodiversité, plusieurs participants au Forum ont proposé qu’un
moratoire international sur la culture des OGM figure parmi les
revendications du mouvement altermondialiste. Avec un copyright
suisse ? BPZ/ATS
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La dette, thème clé du FSM

« La dette tue, tuons la », « La dette est un fardeau pour les pays
pauvres », « Annulation totale et inconditionnelle de la dette des pays
du Sud », les banderoles déployées par les participants du Forum de
Bamako mettent en exergue la problématique de la dette comme un des
thèmes majeurs de cette rencontre. Au cours des ateliers qui se
déroulent depuis vendredi à travers la capitale malienne, la dette
des pays du Sud a été qualifiée de « partenaire stratégique de la
mondialisation » et d’« ennemi intime de la lutte contre la pauvreté ».
Ressortissant du Congo-RDC, Jean Nompelé, membre d’un Comité pour
l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM), relève que « sur la
planète, il faut 80 milliards de dollars pour que les pauvres
puissent avoir accès à l’eau, à l’éducation, aux services de santé.
Or, explique-t-il, les pays pauvres sont obligés, bon an mal an, de
rembourser 300 à 400 milliards de dollars par an pour le service de
la dette. »
Barry Aminata Touré, présidente de la Coalition des alternatives
dette et développement (CAD-Mali), qui regroupe une soixantaine
d’associations, explique que « les privatisations imposées par les
grands argentiers du monde alourdissent la dette des pays du tiers-
monde. Le mécanisme est simple : on nous dit : privatisez vos sociétés
et on vous donnera de l’argent pour renflouer vos caisses ». Le cercle
vicieux est relancé. Et l’effet des privatisations aggrave encore la
situation. Ainsi la Compagnie malienne pour le développement textile,
en cours de privatisation, où « un demi-millier de personnes ont été
licencié » et qui s’est « désengagée des activités de développement ».
Comme les autres participants au FSM de Bamako, elle réclame
« l’annulation pure et simple de la dette des pays du tiers-monde pour
les mettre sur les rails du développement ».
La Guinéenne Mariam Diallo va plus loin. Elle propose « un impôt sur
les grandes fortunes du monde pour financer le développement du tiers-
monde ». AFP
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Les sans-papiers privés de « leur » manif

Le réseau français, No-Vox (les sans voix) a appelé, hier, à une
manifestation contre les expulsions des sans-papiers et pour dénoncer
« la gestion inhumaine de l’immigration par les pays européens ». À
l’heure prévue, environ 350 personnes, principalement des Maliens,
mais accompagnés d’Européens, étaient présentes au Palais des Congrès
et prêtes à se diriger vers l’ambassade de France à Bamako afin
d’exiger qu’une délégation des différents collectifs y soit reçue.
Cependant, au moment du départ, la rumeur s’est répandue parmi les
manifestants que la manifestation pouvait être annulée. En effet,
Aminata Traoré, présidente du Forum pour un autre Mali, la star des
altermondialistes maliens, idole des médias, aurait incité les
organisateurs de la manifestation à l’annuler en estimant qu’une
telle démarche était contraire à l’esprit de collaboration dans
lequel elle avait travaillé avec la ville de Bamako pour organiser le
FSM, selon Jean-Baptiste Eyraud, membre de No-Vox. Cependant, les
organisateurs ont décidé de soumettre la décision de l’annulation de
la marche à l’assemblée des manifestants, qui a décidé de la
poursuivre malgré tout. Aminata Traoré est venue, en personne, y
faire valoir son point de vue. Elle qui a récemment créé une
association de sans-papiers maliens, peu après la médiatisation de
Ceuta et Melilla. La foule n’a cependant pas tenu compte de l’avis de
Mme Traoré, qui est repartie sous les invectives de certains de ses
compatriotes, plus particulièrement de sans-papiers maliens, qui lui
ont reproché son inaction. Après ce départ difficile, les
manifestants se sont alors mis en marche, scandant des slogans contre
« des expulsions illégales et inhumaines », « les lois répressives de la
France ». Ils ont également stigmatisé la complicité des Etats
africains qui ne défendent pas les intérêts de leurs ressortissants à
l’étranger et leur duplicité sur les questions migratoires, alors que
les travailleurs émigrés constituent une source importante de devises
pour ces pays. Après une marche d’un km, la manifestation a été
bloquée par un cordon policier, rapidement renforcé par des effectifs
militaires. Environ 60 représentants des forces de l’ordre ont barré
la route au cortège. Après environ une heure de négociations
infructueuses avec la police, les organisateurs ont été contraints de
demander aux manifestants de rebrousser chemin en leur promettant
qu’une délégation des leurs serait reçue aujourd’hui à l’ambassade
française. STÉPHANE NICOLAS


LA RADIO RELAIE LE FORUM

SOULEYMANE NIANG/PANOS-INFO/BPZ

Le Forum social mondial de Bamako ne sera sans doute pas celui qui
aura attiré le plus grand nombre de journalistes, si on en juge par
l’affluence à la salle de presse ou le peu d’échos dans la presse
locale ou internationale. Le FSM a toutefois trouvé un allié
précieux : la radio.
Ainsi le réseau associatif Kayira, qui possède six stations au Mali,
dont une à Bamako. Radio Kayira se définit comme « la voix des sans
voix » et n’aurait pour rien manqué ce Forum social mondial. Selon
Coulibaly Doh, l’un des journalistes de cette station affectés à la
couverture de l’événement, « Kayira veut aider la population à
s’approprier l’événement ». C’est ainsi qu’en dehors de la publicité
et de l’actualité, tout le programme a été mis au rythme du FSM avec
des informations et des débats. Un exercice aisé, parce que la ligne
éditoriale de la radio recoupe la ligne politique du Forum, selon les
responsables de la station. C’est pourquoi, en plus de délocaliser
les studios sur le site du Palais des congrès de Bamako, Kayira a
également invité et pris en charge des organisations paysannes et
ouvrières du Mali, dans le cadre d’un collectif formé avec l’ONG de
santé communautaire Medes/Sapcom et la Ligue pour la justice et les
droits de l’homme. Il s’agit notamment d’assurer la participation des
ouvriers des mines, des travailleurs du rail et du secteur agricole,
afin que leurs voix soient entendues par leurs camarades des autres
pays et par les autorités nationales et internationales.
Pour sa part, Radio Klédu consacre un journal au FSM, tous les soirs
à 20 h. Un magazine est aussi programmé pour la fin du forum. Faisant
partie des radios privées commerciales les plus importantes et les
plus prospères du Mali, Klédu n’en a pas moins de sympathie pour le
mouvement altermondialiste. En atteste, selon le coordonnateur de
l’opération, Boubacar Togola, le regard « sans complaisance » porté par
l’équipe rédactionnelle sur la mondialisation. Mais c’est à la faveur
d’un partenariat financé par la Fondation Fredrich Ebert que la radio
a pu sortir les grands moyens pour informer ses auditeurs sur le
déroulement et les débats du Forum. Un comité de quatre journalistes
a été mis en place, ainsi qu’une équipe mobile de reporters chargés
de couvrir le plus grand nombre de sites et d’événements. Un studio a
également été installé sur le site du Centre international de
conférence, pour être le point nodal de cette opération. Toutefois,
prévient Boubacar Togola, « nous sommes aussi critiques des politiques
néolibérales que du mouvement altermondialiste si cela nous semble
justifié ».
Sur Internet, les jeunes du mouvement contre le néolibéralisme se
proposent aussi de « tout dire » à travers Radio Béfô, la station
installée au camps de la jeunesse Thomas Sankara, accessible sur
www.fsmmali.org/jeunes/radio.