Mulcair rouvre la porte aux exportations d’eau

Le ministre québécois de l’Environnement, Thomas Mulcair, a remis en question hier un des piliers de la Politique nationale de l’eau en rouvrant la porte aux exportations d’eau en vrac pour créer des emplois en régions, une porte fermée par Québec par une loi après un débat public de cinq ans et une commission d’enquête.

Invité hier matin comme conférencier par le Centre international Unisféra de Montréal, le ministre s’est dit prêt à rouvrir le débat sur cette question malgré l’engagement électoral de sa formation politique de respecter intégralement la Politique nationale de l’eau. Le ministre québécois de l’Environnement était invité à dresser son bilan de la gestion des politiques environnementales sous le régime de l’ALENA.

« Pour l’eau, a déclaré Thomas Mulcair, il y a un important débat qui doit avoir lieu là-dessus. » Il affirme ne pas partager les craintes de ceux et celles, comme Maud Barlow, du Conseil des Canadiens, qui estiment que les gouvernements vont perdre compétence sur la gestion de leurs ressources hydriques le jour où ils auront créé un précédent en en faisant des marchandises commerciales, conférant alors aux règles du libre-échange préséance sur leurs pouvoirs législatif et réglementaire.

Pour le ministre, l’utilisation des ressources hydriques des régions aux fins de développement économique est essentielle « si on veut occuper notre territoire autrement que par la recherche de ressources primaires, puis [de laisser filer les bénéfices de] leur transformation ailleurs ». Cette question, suggère-t-il, pourra être de nouveau débattue dans les forums qu’organise le gouvernement dans les régions. Pour lui, la « gestion de l’eau sur une base régionale » fait partie des débats à faire.

Récemment, Thomas Mulcair déclenchait un tollé en laissant entendre qu’il serait prêt à relancer la filière des petites centrales si les gens des régions acceptaient de céder leurs chutes à des promoteurs car, ajoutait le ministre, il n’appartient pas aux gens du plateau Mont-Royal d’en décider à leur place. Les adversaires de cette logique ont fait valoir qu’il s’agissait de ressources nationales et que toute la collectivité, et non la région fiduciaire, devait statuer sur leur sort.

Mais Thomas Mulcair persiste dans sa logique : « Est-ce que, régionalement, les gens ne pourraient pas, en s’appuyant sur un règlement, aller chercher quelque chose en exploitant la ressource eau d’une manière sécuritaire, d’une manière correcte, d’une manière susceptible d’assurer la qualité et la pérennité de la ressource ? Ou est-ce que ce débat est tabou ? Moi, je ne fais pas beaucoup dans les tabous ! »
Le ministre a ensuite abordé de façon plus explicite la question des exportations d’eau en vrac, dont il a ridiculisé les règles actuelles. Il s’est ainsi demandé si c’était « rationnel » de limiter par règlement l’exportation d’eaux embouteillées dans des formats de 20 litres maximum. Quelle logique y a-t-il à autoriser par règlement 500 camions chargés de contenants d’eau de 20 litres et à interdire un seul camion citerne rempli d’eau, sous prétexte qu’il s’agit d’eau en vrac, demande le ministre ? Québec a institué par loi en 1999 un moratoire sur l’exportation d’eau en vrac pour deux raisons. Le gouvernement ne voulait pas que les eaux en vrac deviennent des « marchandises » au sens de l’ALENA pour fermer la porte aux exportations massives d’eau potable par camion, par trains et navires et peut-être même par pipeline. Une fois les eaux en vrac devenues une marchandise, Québec ne pourrait plus faire machine arrière et serait, selon plusieurs juristes, et cela même en période de pénurie, obligé de partager ses ressources hydriques avec les intérêts étrangers. Enfin, Québec a voulu limiter les exportations à des formats commerciaux afin que les exploitants ne puissent siphonner la ressource et la transformer en produit commercial ailleurs.

Pour Thomas Mulcair, le débat sur l’exportation d’eau en vrac doit néanmoins être teinté de prudence. Après avoir répondu à un des participants que l’ALENA ne menaçait pas, à son avis, la compétence des gouvernements sur leurs ressources hydriques, le ministre de l’Environnement reconnaît néanmoins l’existence de certains risques à créer le précédent d’exporter en vrac.

« Si une analyse rigoureuse, dit-il, indique qu’on risquerait de se mettre dans une position où en créant le précédent avec toutes les autres règles qui s’ensuivent sur le traitement national, etc., si là, on se rendait compte que ça affecte notre capacité de gérer notre propre ressource, ça ferait partie de notre propre analyse. Jamais on ne se mettrait dans une position où on ne pourrait protéger la ressource. »

Pour le ministre Mulcair, l’ALENA a eu beaucoup d’effets bénéfiques en jetant par terre des barrières qui empêchaient, par exemple, les professionnels d’exercer leur métier partout en Amérique. Les craintes généralement entretenues à l’égard du traité de libre-échange et de ses dispositions environnementales lui apparaissent en général non fondées et il en conclut même qu’il y a eu une « amélioration générale de la situation ». Le Québec, dit-il, continuera de profiter de ce forum continental et le fera encore pour se plaindre notamment des émissions polluantes que ses voisins lui envoient par la voie des airs.

Louis-Gilles Francoeur