Porto Alegre : l’eau marchande fait bouillir les alters

Témoignages et idées fusent afin que l’accès à cette ressource devienne un droit pour tous.

Par Judith RUEFF - (Liberation - 06:00)

Il y a l’eau comme un droit. Et il y a l’eau comme une marchandise, vendue par les grands groupes qui en fixent le prix. A Porto Alegre, il y a ceux qui veulent que le droit l’emporte sur le marché et qui, de séminaires en ateliers, se demandent comment y parvenir. Pour les alters, l’eau est un bien de l’humanité, forcément public. Et les grandes multinationales, notamment les françaises Lyonnaise des eaux et Veolia (Vivendi), qui dominent le commerce hydrique, sont priées d’aller faire leur beurre ailleurs. « On nous dit "l’eau est un droit" mais sa livraison a des coûts et il faut payer la facture. Alors, si c’est un droit, c’est par l’impôt, collectivement, qu’il faut payer ! », s’insurge Ricardo Petrella, du Comité international pour le contrat mondial de l’eau. A service public, financement public, « comme pour l’armée », réclame-t-il. « Pour l’eau, il faut tout simplement refuser de parler de client et revenir au mot usager, qui existe dans la loi française, renchérit son camarade Alberto Velasco, coordinateur du futur forum alternatif sur l’eau (1), qui se tiendra en mars à Genève. Ce que nous voulons, c’est un Trésor public mondial pour gérer cette ressource naturelle, à la manière d’un grand service public. »

Financement. Impôt international, taxe d’un centime sur les bouteilles d’eau minérale, financement par les pays du Sud en contrepartie de l’annulation de leur dette, etc., les idées plus ou moins utopiques ne manquent pas pour trouver l’argent qui financera l’eau pour tous. « Pas quatre douches par jour, précise Petrella, simplement le minimum défini par l’Organisation mondiale de la santé : trente-cinq litres par personne et par jour. » En attendant, les exigences sont chiffrées : de 40 à 100 milliards de dollars par an pendant dix ans pour permettre à un milliard et demi d’habitants de la planète, qui se trouvent à plus de trois kilomètres d’une pompe ou d’une fontaine, d’avoir accès à l’eau. C’est beaucoup moins que ce que l’Europe dépense chaque année pour soutenir ses agriculteurs, rappellent perfidement les militants alters.

Et puis il y a les combats de terrain, quotidiens, que l’on vient raconter au Forum, grand marché de l’expérience locale. Les bagarres gagnées. La Toscane va nationaliser son eau en 2008. En Uruguay, aux Pays-Bas, la privatisation de l’eau est désormais interdite par la loi. A La Paz, en Bolivie, une compagnie française s’est retirée. « Les firmes ont compris que les risques politiques étaient trop grands, nuance un expert, et préfèrent laisser la gestion aux gouvernements, tout en leur vendant du soutien technique. » En France, on se bouge pour convaincre les maires de reprendre l’eau en gestion directe. Danielle Mitterrand explique que des municipalités « qui avaient imprudemment confié la gestion de leur eau au privé » dénoncent les contrats ou ne les renouvellent pas. « On leur a appris à lire les factures, pour qu’elles comprennent à quel point elles étaient volées. »

Vivendi au Niger. Certains sont venus à Porto Alegre demander de l’aide. Chiliens et Argentins veulent lutter contre la privatisation de leur réseau. Le Pérou a des problèmes de contamination des nappes phréatiques par les rejets de mines. Moussa Tchangari a fait le voyage du Niger « parce que l’eau, pour nous, c’est la sécurité alimentaire ». Dans ce pays du Sahel, le plus pauvre du monde, le manque d’eau pour les bêtes et l’irrigation entraîne des famines régulières. Dans les villes, la société d’exploitation des eaux a été cédée à Vivendi après un appel d’offres international qui l’opposait à son principal concurrent, la Lyonnaise. « La Banque mondiale nous prête de l’argent mais, en échange, elle impose la hausse des prix et sa vision : il faut privatiser pour bien gérer », accuse le responsable associatif. Pour assainir les finances, les tarifs de l’eau ont augmenté de 15 % en cinq ans. Le gouvernement nigérien vient de voter une TVA de 19 % sur l’eau. Un produit de luxe.