Un moratoire de 5 ans sur les OGM voté en Suisse

LE MONDE | 28.11.05 | 14h24
GENÈVE CORRESPONDANCE

Les agriculteurs suisses ont désormais l’interdiction, jusqu’en 2010, de cultiver des plantes génétiquement modifiées ou d’élever des animaux transgéniques. Ce moratoire de 5 ans, approuvé dimanche 27 novembre par 55,7 % des votants et par tous les cantons est le résultat d’une initiative populaire, lancée en février 2003, intitulée "pour des aliments produits sans manipulations génétiques". Vote unique en Europe, puisque la Suisse, non membre de l’Union européenne, est le seul pays à décider par les urnes d’une interdiction temporaire sur l’utilisation des OGM en agriculture.

C’est au nom du principe de précaution maximale que les Helvètes - qui dans les sondages disent à plus de 80 % ne pas vouloir d’aliments transgéniques dans leurs assiettes - ont refusé de suivre les consignes de leurs dirigeants. Le conseil fédéral (gouvernement), soutenu par la droite libérale, les milieux industriels et une partie de la communauté scientifique, avait fait valoir qu’un moratoire était "inutile", au regard de la récente loi sur le génie génétique, l’une des plus sévères au monde.

Adopté en janvier 2004, ce texte interdit déjà l’utilisation d’animaux génétiquement modifiés en agriculture. De plus, il impose des essais de plusieurs années en laboratoire et sur le terrain avant qu’une demande de culture de plante transgénique ne soit accordée - aucune démarche en ce sens n’ayant du reste été faite. Les adversaires du moratoire estimaient aussi qu’un "mauvais signal" risquait d’être envoyé aux milieux scientifiques - une centaine de projets en matière de biotechnologie des végétaux étant actuellement en cours en Suisse - quand bien même l’initiative ne concerne pas la recherche.

Mais ces arguments n’ont pas fait le poids face à une alliance inédite réunissant toutes les organisations agricoles nationales, les associations de consommateurs et les mouvements écologistes. Ce sont ces derniers - alliés aux socialistes - qui ont fait progresser l’idée d’un moratoire de 5 ans, comme filet de sécurité supplémentaire à la loi sur le génie génétique.

Début 2003, un comité présidé par Fernand Cuche, figure de proue de l’écologie paysanne suisse, recueillait en un temps record 120 000 signatures, obligeant le gouvernement à organiser une votation populaire.

PAS DE COEXISTENCE POSSIBLE

Depuis, les rangs des anti-OGM n’ont cessé de gonfler, attirant toujours plus d’agriculteurs, y compris parmi ceux qui votent traditionnellement à droite. "Dès le milieu des années 1990, en réaction à la politique agricole commune (PAC) de l’UE, nos paysans ont commencé à miser sur une agriculture multifonctionnelle, respectueuse de l’environnement. Il existe maintenant une niche suisse pour des produits de qualité, certifiés bio, ou relevant d’une AOC, sans OGM", explique Sylvain Fattebert, secrétaire de stopOGM, comité de travail sur le génie génétique. "Si le moratoire avait été refusé, cela aurait pu conduire à un changement de paradigme", ajoute-t-il.

Car étant donné la petite taille des exploitations agricoles suisses, les spécialistes de l’environnement ne croient pas une coexistence possible des cultures, sans que les champs OGM finissent par disséminer leurs pollens dans des zones voisines.

Pour l’écologiste Fernand Cuche, si la Suisse a clairement refusé de cautionner les OGM de la première génération, sorte de "bricolage malheureux", sa recherche, loin d’être menacée, a désormais tout loisir de concentrer sur l’impact à long terme, et de se profiler ainsi en qualité de leader sur les questions de biosécurité.
Agathe Duparc