Les 10 principes d’Attac pour un traité démocratique

vendredi 3 août 2007
par  Attac Paris 12

Les Attac d’Europe considèrent que l’Union européenne, dans sa forme actuelle, représente un obstacle sérieux à l’approfondissement de la démocratie, aux droits fondamentaux, à la justice sociale, à l’égalité entre les hommes et les femmes et à un environnement durable. L’Union européenne manque en effet de démocratie, de légitimité et de transparence. Quant aux traités qui la régissent, ils imposent aux États membres et au monde des politiques néo-libérales.

C’est pourquoi le réseau européen des Attac considère que l’avenir de l’Europe est une question centrale. En 2005, il a initié un processus commun de réflexion sur les questions européennes. La présente déclaration s’inscrit dans cette dynamique.


Le « non » français et le « nee » des Pays-Bas ont clairement révélé que le Traité constitutionnel proposé (TCE, dans la suite du texte) et l’Union européenne actuelle manquent de légitimité populaire et sont jugés antidémocratiques et antisociaux.

Le TCE ne définit pas une constitution au sens strict, mais reprend et prolonge les normes et traités précédents. Néanmoins, sa signification politique est plus grande car, non seulement il modifie le cadre institutionnel et définit des principes, des valeurs et des objectifs, mais il formule aussi des politiques concrètes. Ce qui revient à constitutionnaliser le modèle néo-libéral puisqu’il est quasiment impossible de revenir en arrière. C’est donc inacceptable.

Aujourd’hui, des gouvernements européens tentent de relancer le processus en ignorant le rejet populaire de certains États membres, avec l’intention de parvenir à leurs fins à l’occasion de la présidence française du premier semestre 2008. C’est ainsi qu’en janvier dernier dix-huit gouvernements se sont rencontrés à Madrid pour élaborer un compromis basé sur le Traité qui a été rejeté.

Dans cette situation, il est essentiel pour la démocratie que les mouvements sociaux et politiques proposent des solutions alternatives concrètes et que leurs demandes soient prises en compte. Les Attac d’Europe exigent que tout nouveau traité soit fondé sur les dix principes suivants qui concernent le processus d’élaboration (partie I), le contenu institutionnel (partie II) et les politiques européennes (partie III).

PARTIE I : SUR LE PROCESSUS

1. Lancer un processus démocratique

Tout nouveau traité devra être élaboré et adopté de façon démocratique. Les Attac d’Europe s’opposent résolument à toute tentative visant à ressusciter le TCE et proposent ce qui suit :

- une assemblée nouvelle et démocratique, élue directement par les citoyens de tous les États membres, sera mandatée pour élaborer un nouveau projet de traité, avec la participation effective des Parlements nationaux ;

- dans sa composition, elle devra respecter l’égalité entre les hommes et les femmes (et non pas comporter uniquement 16% de femmes, comme dans la convention qui a élaboré le TCE), représenter tous les secteurs de la société et être intergénérationnelle ;

- tout nouveau traité devra être soumis à référendum dans tous les États membres et les résultats présentés pays par pays ;

- pendant la campagne de ratification, les institutions européennes et les États membres adopteront des règles pour qu’un débat approfondi ait lieu, sur une durée suffisante et indépendamment des intérêts économiques dominants, par exemple dans le secteur des médias.

PARTIE II : SUR LE CONTENU INSTITUTIONNEL

2. Améliorer la démocratie

Tout nouveau traité devra se fonder sur les meilleurs principes démocratiques existants. L’Union européenne actuelle ne sépare pas clairement les pouvoirs et souffre de ce fait d’un profond déficit démocratique. En effet, bien qu’il soit la seule entité démocratiquement élue au niveau européen, le Parlement ne peut ni légiférer, ni voter un budget ni prendre des décisions politiques, alors que la Commission, instance non élue, peut proposer des lois. Dans le même temps, nous sommes témoins d’une dégradation de la vie démocratique dans les États membres.
Les Attac d’Europe exigent donc ce qui suit :

- les fondements de tout nouveau traité devront être la dignité humaine, l’état de droit, la démocratie représentative et participative, la justice économique et sociale, la sécurité sociale et l’inclusion des personnes, la solidarité, l’égalité et la parité entre les hommes et les femmes, le développement soutenable et l’engagement pour la paix ;

- une séparation claire des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Il faut en finir avec le monopole que détient la Commission sur les propositions de lois. Dans ce domaine, toutes les institutions et les citoyens de l’Union doivent pouvoir prendre l’initiative ;

- le droit pour le Parlement européen de proposer et d’adopter conjointement la législation européenne ainsi que celui, exclusif, d’élire et de démettre la Commission européenne et chacun de ses membres individuellement ;

- le renforcement des parlements nationaux, aux niveaux européen et national : les parlements nationaux doivent avoir un rôle effectif dans le processus législatif européen et national ;

- tout nouveau traité devra donner une description précise des compétences de l’UE ainsi que de leurs limites par rapport à celles des États nationaux et des autorités locales. La Cour européenne de justice ne devra pas pouvoir agir en tant que législateur de facto ;

- la Banque centrale européenne (BCE) doit être soumise à un contrôle démocratique. Les priorités de sa politique monétaire doivent être la justice économique, le plein emploi et la sécurité sociale pour tous les citoyens européens. En outre, l’Eurogroupe doit assumer ses responsabilités prévues dans les traités actuels sur la définition de la politique de change.

3. Installer la transparence

Aujourd’hui, les citoyens sont confrontés à des difficultés dans l’exercice de leur droit à l’information. Bien souvent, les débats du Conseil et du Comité des représentants permanents (CORERER) ne sont pas publics. Le lobbying se répand de plus en plus et mine la démocratie. Nous demandons que :

- lles réunions, comités et groupes de travail soient tous ouverts au public ;

- l’accès à l’information soit garanti à tous les citoyens européens ;

- le Traité fixe des limites précises au lobbying et oblige tous les lobbyistes à divulguer leurs intérêts et leurs sources de financement. Même chose pour les membres du Parlement européen, de la Commission et des comités ;

- tout nouveau traité devra être court, se suffire à lui-même et être compris de tout un chacun ;

- toutes les langues soient être considérées comme égales et les documents de l’UE disponibles dans toutes les langues officielles de l’UE.

4. Développer la participation et la démocratie directe

Tout nouveau traité institutionnel devra inclure le droit fondamental des citoyens à participer directement dans les affaires publiques, en proposant des formes de démocratie directe étendues, compréhensibles et applicables. Il devrait, par exemple, offrir les droits suivants :

- la possibilité pour un nombre donné de citoyens d’un nombre donné d’États membres de proposer une loi à débattre et soumettre au vote du Parlement européen ;

- la possibilité pour un nombre donné de citoyens de demander que le Parlement européen organise un référendum dans tous les États membres, dont le résultat soit contraignant ;

- celle de fixer des limites à l’influence des entreprises sur les institutions de l’UE et sur leurs décisions en les contraignant à la transparence et en restreignant leurs privilèges d’accès ;

- l’institution d’une consultation des mouvements sociaux et des ONG pour toute nouvelle législation européenne, sur la même base que les autres groupes d’intérêts.
Le premier référendum à organiser dans tous les États membres devrait porter sur le nouveau traité.

PARTIE III : SUR LES POLITIQUES EUROPÉENNES

5. Améliorer les droits fondamentaux

Tout nouveau traité devra être élaboré sur la base des droits fondamentaux les plus avancés existant déjà dans les traités internationaux ou visera à les renforcer - Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), Charte sociale européenne de Turin et Code européen de sécurité sociale, notamment.
Garantir les droits fondamentaux dans le traité est une étape nécessaire. Pourtant, la Charte des droits fondamentaux de l’UE inscrite dans le TCE ignore d’importants droits fondamentaux, en édulcore d’autres dans leur formulation, en limite fortement l’application dans les annexes à l’acte final ou empêche qu’ils soient revendiqués devant les tribunaux. C’est pourquoi on ne peut les appeler droits fondamentaux. Les Attac d’Europe exigent donc que :

- les droits fondamentaux énumérés dans la CEDH, la Charte sociale européenne et le Code européen de la sécurité sociale puissent être revendiqués devant les tribunaux nationaux ou européens ;

- l’UE ratifie la CEDH, de manière à ce que ses institutions soient assujetties à la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme ;

- Soit explicitement dit que ces droits fondamentaux et les principes du Traité ont la priorité sur toute autre loi, primaire ou secondaire, de l’Union européenne ;

- les droits fondamentaux ne soient pas limités par une loi nationale ou européenne ou par l’interprétation personnelle de la présidence de la convention ;

- tout nouveau traité européen mette l’accent sur l’égalité d’accès aux droits sociaux et aux droits du travail, indépendamment du pays d’origine ;

- la citoyenneté européenne soit octroyée à tous les résidents en Europe ;

- les droits susmentionnés soient également respectés dans les politiques extérieures de l’UE (par exemple, les politiques de sécurité, migratoire, environnementale, commerciale).

6. Protéger et améliorer les conquêtes démocratiques

Actuellement, les conquêtes démocratiques et sociales, les droits du travail, les règles environnementales et de santé publique, sont subordonnés aux dispositions des traités antérieurs, particulièrement des principes de la concurrence et de la libéralisation. Nul nouveau traité ne devra compromettre ces acquis, mais plutôt offrir aux peuples d’Europe, aux parlements et aux gouvernements les moyens de les développer par la coopération. Les Attac d’Europe exigent ce qui suit :

- le droit à la négociation collective, le droit de grève ; les principaux standards de l’organisation internationale du travail (OIT) devront être élevés au rang de droits fondamentaux ;

- chaque État membre devra pouvoir adopter et soutenir des règles plus ambitieuses dans les domaines de la protection sociale, du travail, de l’environnement et de la protection de groupes spécifiques.

- l’Union européenne doit se considérer comme une union coopérative (non concurrentielle) dont la finalité est d’améliorer en permanence les normes environnementales et sociales. Cela, afin de satisfaire aux principes constitutionnels de sécurité sociale et de durabilité. Des règles devront être adoptées pour résister au dumping fiscal et social ;

- il doit être établi que les droits de propriété comportent des obligations et qu’y recourir doit toujours être en même temps dans l’intérêt du bien-être général ;

- la démocratie économique et la participation doivent être améliorées à tous les niveaux.

7. Ouvrir le champ à un ordre économique alternatif

Tout nouveau traité devra respecter les valeurs fondamentales et les principes démocratiques mentionnés ci-dessus. Il devra rendre possible la mise en œuvre de politiques alternatives au lieu d’imposer un modèle économique particulier, ce que faisaient le TCE et les traités antérieurs en prescrivant sans arrêt « une économie de marché ouverte où la concurrence est libre et non faussée [1] ». Ce qui n’a pas lieu d’être, ni dans un traité constitutionnel, ni dans un traité institutionnel. Quel que soit le modèle économique choisi, il doit relever d’un processus politique démocratique.
Les Attac européens exigent que :

- les traités n’imposent aucun modèle économique particulier, mais autorisent des choix alternatifs à tous les niveaux ;

- la « libre » concurrence ne soit pas un principe universel dans l’UE. La définition des domaines où la « libre » concurrence est autorisée et de ceux où elle ne l’est pas (par exemple, la fourniture d’eau potable, l’éducation, la santé, l’agriculture) doit être prise via des processus démocratiques, aux niveaux national et européen. En aucun cas de telles définitions ne seront constitutionnalisées ;

- la loi européenne, par exemple la loi sur la concurrence, ne doit pas saper le droit des États membres à définir, organiser et financer des biens publics, comme la fourniture d’eau potable, la santé, l’éducation ou les transports publics. Procurer et améliorer des biens publics à tous les niveaux doit, au contraire, être un objectif essentiel de la construction européenne.

8. Définir les fins et non les moyens

Une démocratie réelle, vivante, détermine les moyens par lesquels atteindre les objectifs de sa constitution. Mais prescrire des politiques précises dans la constitution elle-même n’est pas adéquat. Par exemple :

- les objectifs d’une politique des transports devraient être la « mobilité soutenable » et « l’égal accès de tous à la mobilité » ; et non pas la construction de réseaux trans-européens [2] de routes, d’autoroutes et de chemins de fer à grande vitesse ;

- les objectifs d’une politique agricole devraient être « l’agriculture soutenable », le maintien des petites exploitations et la « production d’une nourriture saine et suffisante » ; et non pas « l’augmentation de la productivité », « la rationalisation » ou « l’utilisation maximale des facteurs de production, notamment du travail [3] » ;

- le « but prioritaire » de la Banque centrale européenne (BCE) ne devrait pas être « la stabilité des prix [4] », mais la justice économique, le plein emploi et le bien-être pour tous ;

- le principe de la durabilité écologique doit être prioritaire par rapport aux libertés du marché et à la logique de profit. Il doit guider les politiques énergétiques, des transports et de l’agriculture.

9. Viser haut en matière sociale et fiscale

Dans une région comme l’UE dont les économies sont fortement intégrées par des décennies de libéralisation (du commerce, de la finance et des investissements), les États membres sont engagés dans une course vers le bas dans les domaines essentiels que sont les politiques sociales et fiscales. Pour s’y opposer, il est important que des contre-mesures soient prises au niveau européen et qu’une course vers le haut soit encouragée par des dispositions spécifiques, dans le cadre d’un nouveau traité.

Les Attac d’Europe proposent que :

- des mesures visant à combattre l’évasion et la concurrence fiscales soient prises. Des normes minimales ambitieuses soient adoptées au niveau européen, notamment sur la taxation des revenus des entreprises et du capital ;

- la politique sociale insuffisante de l’UE soit remplacée par un ensemble transparent et applicable de droits et de minima sociaux ambitieux.
Ces réglementations doivent tenir compte des capacités économiques différentes, grâce à des « passages », c’est-à-dire en imposant des normes plus élevées pour les pays riches et moins élevées pour les pays pauvres. Ces règles devront être appliquées de manière à ne pas empêcher un pays d’adopter des normes plus élevées.
Si plusieurs États membres souhaitent, par exemple, mettre en œuvre une politique sociale plus large ou adopter des normes de travail plus exigeantes que celles pouvant l’être dans la totalité de l’UE, ils peuvent décider de signer un accord de coopération sur les questions concernées.

10. Instaurer l’obligation de la paix et de la solidarité

Concernant la question de la sécurité, le but devra être la « paix » (au sens le plus large) et non pas l’accumulation des armes au niveau international. Le projet de TCE stipule que « les États membres s’engageront à améliorer progressivement leurs capacités militaires [5] ». La création d’une « agence européenne de défense » aurait, entre autres, la charge de « développer les armements ». Tout nouveau traité devrait proposer une ambition politique forte pour l’Europe : l’UE doit être un acteur clé dans la définition d’un nouvel ordre international et multilatéral, voué à construire la paix et à dénoncer la guerre et la militarisation comme moyens de résolution des conflits internationaux. Nous dénonçons en particulier le concept néo-conservateur de « missions militaires préventives ». Les Attac d’Europe exigent :

- le respect absolu du droit international, en particulier de la Déclaration universelle de droits de l’homme et du Traité de non-prolifération (dont l’obligation de désarmement). L’UE doit cependant promouvoir une réforme démocratique de l’ONU ;

- la promotion du désarmement à l’échelle de la planète, en commençant sur son propre territoire ;

- la revendication par l’UE de revendiquer son indépendance à l’égard de l’OTAN ;

- des investissements importants pour créer dans tous les États membres et au niveau européen des institutions chargées de travailler sur la résolution pacifique des conflits ;

- l’imposition du principe de l’égalité entre les genres dans l’élaboration des politiques et la participation aux activités de politique étrangère de l’UE.


Ces principes ont été élaborés par une quinzaine d’associations Attac d’Europe. Beaucoup de différences ont été surmontées, d’autres traitées de manière à ne pas bloquer l’avancement des travaux. Même si ces principes peuvent s’améliorer et d’autres encore s’ajouter [6], nous pensons qu’ils constituent un bon point de départ pour opposer une réponse progressiste et populaire aux tentatives de certains gouvernements européens de ressusciter l’ancien TCE ou de remettre l’UE sur les mêmes rails qu’avant. Nous pensons que les opinions majoritaires en France et aux Pays-Bas excluent d’office ces deux options.

Outre le fait qu’elle constitue une plate-forme commune et un outil commun d’action pour les organisations signataires, notre déclaration entend ouvrir la discussion avec d’autres forces progressistes en Europe. En effet, seule une convergence des forces la plus large pourra imposer un autre agenda pour l’Europe que celui qui était imaginé dans le TCE.

Attac agit en faveur de la démocratie participative, pour des institutions démocratiques et la coopération en Europe et dans le monde. C’est dans ce cadre que nos propositions de justice économique et sociale et pour un environnement durable pourront progresser en Europe et au niveau global.

Signataires

- Attac Allemagne
- Attac Autriche
- Attac Danemark
- Attac Espagne
- Attac Finlande
- Attac Flandres
- Attac France
- Attac Grèce
- Attac Hongrie
- Attac Italie
- Attac Jersey
- Attac Luxembourg
- Attac Norvège
- Attac Pays-Bas
- Attac Pologne
- Attac Suède
- Attac Suisse

Fait à Amsterdam, Athènes, Berlin, Berne, Helsinki, Jersey, Copenhague, Luxembourg-Ville, Madrid, Oslo, Paris, Rome, Stockholm, Varsovie, Vienne, le 11 mars 2007


[1Art. III-177 (= Art. 4 du TCE), III-178 (= Art. 98 du TCE) et III-185 (= Art. 105 du TCE)

[2Art. III-246 (= Art. 154 du TCE)

[3Art. III-227 (= Art. 33 du TCE)

[4Art. III-177 (= Art. 4 du TCE) et III-185 (= Art. 105 du TCE)

[5Art. I-41

[6Nous en appelons également à des politiques alternatives pour s’opposer à l’Europe forteresse, à la criminalisation des migrants, aux règles commerciales injustes, à la dette et à la pauvreté, et nous demandons que la coopération sur une base égalitaire avec les pays pauvres s’intensifie.