Travailler plus pour mourir plus vite

Par Jean-Marie Harribey
vendredi 3 août 2007
par  Jean-Marie Harribey

Entrée en matière pour un espace d’écriture que m’offre le journal Sud-Ouest. Une page que je place sous le signe d’une maxime ayant servi de fil conducteur à une chronique inaugurée ailleurs (Le Passant Ordinaire) il y a quelques années : la bourse ou la vie. Telle est l’alternative devant laquelle nous place le capitalisme mondial.

Entendez-vous dans les campagnes tambouriner ces bons soldats de l’économie, ils viennent vous trouver jusque dans les bras de Morphée : « Levez-vous plus tôt, il faut travailler plus. » Ils vous secouent, encore endormis : « La France est en déclin, elle n’est plus qu’à la sixième ou septième place de l’économie mondiale ». « Six ou sept ? » dites-vous. « Si ce n’est sept aujourd’hui, ce le sera demain, car les Japonais, les Chinois et même les Américains travaillent plus que nous. »

Et voici ce que je lis (Le Monde, 20 et 21 mai 2007) : « Les Japonais invités à moins travailler pour vivre mieux ». C’est une recommandation du gouvernement du Japon pour inciter les salariés à faire moins d’heures supplémentaires, car les suicides, les infarctus et les maladies graves se multiplient à cause du surmenage. « Le nombre de décès liés à un excès de travail a augmenté de 7,6% en 2006 […] Pour prévenir ce qu’elles considèrent comme un fléau social, les autorités japonaises encouragent les employés à prendre des congés pour se consacrer à leur famille […] Le phénomène de mort par épuisement est reconnu depuis 1987 par le ministère nippon de la santé. »

Comment peut-on accorder un quelconque crédit à tous ceux qui affirment péremptoirement, réclament véhémentement et imposent menaçants : « travaillez plus pour gagner plus » ? Si travailler trop est devenu un fléau que le Japon vient de reconnaître, comment résister au bourrage de crâne infligé par les idéologues libéraux, à longueur de journée, d’éditorial et de plateau de télévision ? Comment clouer le bec à des imprécateurs qui sont à la science ce que la Star Academy est à la culture ?

Star Ac’ de l’économie n° 1 : Il faut travailler plus car c’est le travail qui seul peut créer de la richesse. C’est juste mais c’est exactement ce qu’ont toujours nié les libéraux dans tous leurs livres d’économie bien-pensants. Pour eux, le capital crée aussi de la valeur. Pourquoi alors leurs propriétaires se contentent-ils pas de celle qu’il crée et pressurent-ils davantage le travail ? Sans doute ont-ils compris en leur for intérieur que le capital était stérile.

Star Ac’ de l’économie n° 2 : « Il faut tourner le dos au mythe du partage du travail » (Laurence Parisot tous les matins, Nicolas Sarkozy tous les soirs, et les « croyants » en la religion libérale Olivier Blanchard, Pierre Cahuc et André Zylberberg, Le Monde, 5 juin 2007). Or, depuis deux siècles, le temps de travail a été divisé par deux, sinon il y aurait eu beaucoup plus de chômeurs et le « fléau de l’excès de travail » aurait décimé les malheureux contraints au travail forcé. Et que disent l’OCDE et Eurostat ? Que la durée effective du travail en France est de 38 heures par semaine, au-dessus de la moyenne européenne de 37,9.

Star Ac’ de l’économie n° 3 : Il faut valoriser le travail mais il coûte trop cher car le salaire minimum est trop élevé (Cercle des économistes, Politique économique de droite, Politique économique de gauche, Paris, Perrin, 2006, p. 24 et 50). Qui dit que le salaire minimum est trop élevé ? Ceux qui perçoivent les revenus les plus élevés. Avec les applaudissements de leurs commanditaires, les dirigeants des grandes sociétés qui perçoivent jusqu’à 400 ou 500 fois le SMIC, sans compter les stocks options, ce qui met le total à 2000 fois le SMIC.

Star Ac’ de l’économie n° 4 : Il faut réduire les cotisations sociales qui sont des « charges ». Et le coût du capital (intérêts, dividendes) n’est-il pas inclus dans les prix des marchandises, n’est-il pas une charge pénalisant la compétitivité ? Chut ! Vous enfreignez la consigne de silence. Et puis, tous les détenteurs de capitaux exigent, de par le monde, sensiblement la même rémunération, ce qui n’est pas le cas des salariés en position de faiblesse.

Star Ac’ de l’économie n° 5 : « Il faut financer le système de protection sociale par la création de richesses. Côté retraites, il nous faut des fonds de pension. » (Nicolas Baverez, Le Monde, 29 et 30 avril 2007). Baverez, qui est en France le déclinologue en chef, inspirateur de Nicolas Sarkozy, profère là une énormité qui atteste du niveau auquel se situent les économistes qui ont pignon sur rue : un fonds de pension ne crée aucune richesse (cf. la Star Ac’ n° 1 ci-dessus), il attribue à ceux qui possèdent des actions le fruit du travail de ceux qui, en général, n’en ont pas.

Star Ac’ de l’économie n° 6 : « La détaxe des heures supplémentaires est une idée intelligente. » (Edmund Phelps, Le Monde, 13 et 14 mai 2007). Phelps, qui a reçu en 2006 une belle somme de la part de la Banque royale de Suède en récompense d’un nombre d’heures de travail colossal pour dire des sottises sur l’économie, doit savoir de quoi il parle, mais ses collègues éminents du Conseil d’analyse économique, qui sont pour la plupart plus libéraux les uns que les autres, ont tout de même alerté l’opinion le 29 mai 2007 sur le fait que l’exonération n’améliorerait pas l’emploi et assècherait les finances publiques. Comment en serait-il autrement puisque exiger des heures supplémentaires, dorénavant moins chères que les heures normales, permettra aux employeurs de ne pas embaucher ?

Star Ac’ de l’économie n° 7 : « On ne luttera pas contre le réchauffement climatique, les atteintes à la biodiversité ou à l’équilibre des territoires si, d’abord, on ne relance pas la machine économique et si on ne rompt pas avec la religion de la pause et de la réduction du temps de travail (RTT) » (Henri Bourguinat, Le Monde, 29 mai 2007). Voilà donc l’apothéose, le bouquet final de la Star Ac’ de l’économie. Si l’on suit cette exhortation, qu’arrivera-t-il ? Puisque le temps de travail ne sera plus réduit, tous les gains de productivité du travail iront grossir la production, vouée à croître à l’infini. Et nous mourrons tous. Mais pas tous en même temps, d’abord les pauvres, ça rassurera les riches.

8 juin 2007