Conférence d’Henri Pena Ruiz du 19 mars 2008 sur la laïcité

Transcription provisoire non relue par M. Pena Ruiz

1 L’idéal de laïcité.

Je vais expliquer que l’idéal de laïcité est actuellement de très grande actualité dans un monde en pleine dérive. Je me suis intéressé à la laïcité à cause de mon parcours familial et personnel. Ma famille espagnole est venue en France après la Première guerre mondiale pour aider à la reconstruction de la France. Mes grands parents sont venus travailler à Aubervilliers. Une autre partie de ma famille est descendante de réfugiés républicains. Je me suis d’abord intéressé à l’égalité, à la liberté .J’ai respiré l’air de la laïcité jusqu’au moment où elle fut menacée. C’est l’affaire du voile de Creil qui m’a ouvert les yeux. En 2003, un professeur a interdit sa classe à un élève qui portait une kippa, un autre l’a interdite à une jeune fille voilée. J’ai alors été contraint de réfléchir au problème de la laïcité. On a parlé à cette occasion de laïcité ouverte, on ne parle pas de Droits de l’Homme ouverts. L’adjectif montrait que la laïcité ouverte était contre la laïcité. Il y a un grand malentendu. En 1851, le croyant Victor Hugo écrivait contre la loi Falloux qui organisait l’enseignement confessionnel, pourtant il était profondément croyant . Dans son Eloge de la Religion il a écrit : « Je veux l’Etat chez lui, la Religion chez elle. »
Je découvre que la laïcité est méconnue. Elle n’est pas anticléricale, sauf si au nom d’une foi, les clercs veulent faire entrer la religion dans la politique. Personne n’est tenu de dire son option spirituelle. Pour ma part, je m’y refuse et je l’ai expliqué dans ma thèse « Dieu et Mariane ».
Rousseau a écrit en 1754 le Discours sur les Sciences et les Arts. Il parle du paradoxe du progrès décadent. Le progrès matériel ne conduit pas au progrès humain. Aujourd’hui alors qu’il est possible de faire vivre tous les hommes, des hommes vivent sur des bouches de métro. La mondialisation hyperlibérale rétablit le travail des enfants. Le capitalisme a rétabli par la géographie ce qu’il avait perdu par l’histoire. Il remplace par le traitement caritatif, ce que l’état a abandonné, c’est à dire la justice sociale.
Il ne faut pas opposer la laïcité et le combat pour l’égalité. La charité ne peut remplacer l’action de l’état, ce n’est bon ni pour la religion ni pour la politique. Simone Weil disait : « Je ne veux pas d’une religion de compensation. » Et c’est au nom d’une religion authentiquement spirituelle qu’elle demanda la nette séparation de l’Eglise et de l’Etat

2. Qu’est-ce que la laïcité ?

Le mot laïcité vient du grec laos, unité d’une population, où tous les hommes ont les mêmes droits. Le laos est opposé au cleros, ceux qui s’occupaient de l’administration officielle du sacré. Prenons un exemple : Nous qui sommes réunis dans cette assemblée, nous sommes le laos. Supposons que nous voulions rédiger une Constitution. Nous avons chacun des idées qui sont différentes de celles de notre voisin. Certains sont croyants, d’autres sont humanistes athées, les autres sont agnostiques c-à-d suspendent leur jugement sur l’au-delà. En effet j’imagine qu’il y a parmi nous, comme c’est le cas dans le reste de la population française, trois grands types de positions spirituelles. Certains parmi nous croient en Dieu, certains ne croient pas en Dieu mais ne sont pas pour autant dépourvus de valeurs et d’autres sont agnostiques et disent :je ne sais pas, je ne connais pas. Pourtant quand je vous regarde, je ne vois pas des athées, des croyants, des agnostiques, je vois des êtres vivants qui ont un regard, une intelligence avec qui je partage un langage. Ce qui m’apparaît d’abord, c’est que nous sommes tous les mêmes, nous nous ressemblons. L’universalité de la condition humaine existe avant même notre différenciation. Nous sommes d’abord ressemblants avant d’être différents. C’est quelque chose qu’il ne faudrait pas oublier quand on va se poser la question de savoir quel statut donner aux différences dans la Constitution des Droits de l’Homme.
Puisque nous sommes dans une Assemblée constituante, délibérons !
- Première question : Serait-il légitime que ceux qui croient en Dieu imposent leur credo aux athées et aux agnostiques ?
Si je me réfère à la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, la réponse est contenue dans le premier article : Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. La liberté et l’égalité sont natives chez l’homme, elles tiennent à l’essence de l’humanité. Il n’appartient à aucun pouvoir de donner la liberté, de la reprendre, de tolérer de ne plus tolérer. Mirabeau a dit : « Je ne demande pas la tolérance » car qui dit tolérance suppose une autorité qui tolère et l’autorité qui aujourd’hui tolère peut demain ne plus tolérer. La tolérance est une vertu éthique, elle ne peut être un principe politique. Si on dit que le Roi catholique tolère des protestants cela veut dire que les protestants tirent leur liberté du bon vouloir du prince. Ce que les protestants demandent ce n’est pas seulement la liberté de pratiquer leur culte c’est l’égalité de traitement. La Déclaration des Droits de l’Homme va réaliser cette révolution décisive : Si nous sommes libres et égaux ce n’est pas en raison du bon vouloir du prince mais en raison de notre dignité d’homme. Ainsi la liberté et l’égalité échappent à la fluctuation des pouvoirs politiques. Donc le credo des uns ne peut être imposé aux autres, il est chose particulière propre à certains, il ne peut viser à l’universel, propre à tous. Donc premier principe, liberté de conscience, de croire ou de ne pas croire.
- Seconde question : Serait-il légitime que les croyants jouissent de plus de droits dans la sphère publique que les athées ?
En vertu du même principe des Droits de l’Homme : réponse négative. L’égalité des droits interdit qu’on donne plus aux croyants qu’aux athées mais interdit aussi qu’on donne plus aux athées qu’aux croyants. La conséquence est très claire : la Pologne catholique qui impose la prière publique dans toutes les écoles bafoue l’égalité des droits mais l’Union soviétique stalinienne qui persécutait les religions et fermait les églises à une certaine époque bafouait également la laïcité. Cela veut dire que la croyance religieuse ou l’humanisme athée étant des convictions particulières ne peuvent pas dicter la loi commune. Second principe : égalité de traitement de toutes les convictions spirituelles.
Troisième et dernière question : quelle est la finalité de la puissance publique ? Est-ce de financer les lieux de culte ? Non car l’argent de la puissance publique vient des impôts payés par tous, croyants, athées, agnostiques. Les athées paient-ils des impôts pour financer la diffusion de la religion ? Non. Les croyants paient-ils des impôts pour qu’on construise des maisons de la libre pensée ? Non plus, donc si l’argent public a une origine universelle, l’argent public doit avoir une finalité universelle, c’est à dire qu’il doit être exclusivement consacré à ce qui est d’intérêt commun à tous. Pour être très concret, il est scandaleux que le Président de la République vienne de créer les franchises médicales qui alourdissent les frais des soins et que le même envisage de réintroduire un financement public des cultes. L’Etat serait trop pauvre pour la Santé qui est commune à tous et assez riche pour la religion qui n’est commune qu’à certains. Donc l’idée que la finalité de l’action publique doit être l’intérêt commun à tous est essentielle dans la laïcité.

3 Définition raisonnée de la laïcité.

J’entends par laïcité le principe d’union de tout le peuple « laos » sur la base de trois exigences indissociables : la liberté de conscience, l’égalité de traitement des convictions spirituelles, et l’universalité de l’action publique. Lorsqu’un croyant est blessé et qu’il va à l’hôpital, il faut qu’il soit soigné le mieux possible, et de manière non proportionnelle à sa carte de crédit. Donc la santé est à l’évidence un bien commun.
Je voudrais faire une remarque : un des prétextes de M Sarkozy, prétexte parfaitement hypocrite, pour réintroduire le financement public des cultes, c’est l’idée que cela permettrait de compenser le déficit des citoyens de confession musulmane en matière de lieux de culte. Sait-on que d’après une enquête récente de l’IFOP les citoyens de confession musulmane sont pour l’essentiel partie prenante d’une population émigrée issue de Turquie ou du Maghreb. Or cette immigration n’est pas entièrement musulmane. Parmi les personnes issues de cette immigration, certains ne croient pas en Dieu ; parmi ceux qui se disent musulmans certains le sont par solidarité culturelle sans nécessairement croire en Dieu. Parmi les citoyens de confession musulmane qui se disent croyants dans l’Islam, la majorité dit appliquer l’Islam dans sa vie quotidienne en respectant les piliers de l’Islam mais ne le pratique pas. Seuls 18% des croyants de cette population vont à la mosquée. Je pose la question : qu’est-ce qui est le plus important ? Est-ce de construire des lieux de culte ou de faire en sorte que dans les quartiers où vivent les populations issues de l’immigration il y ait de grands services publics, des hôpitaux en bon état avec une bonne qualité de soins, des écoles où l’on permette par des études surveillées et une aide aux devoirs le déficit culturel de certains, des bureaux de poste, des bibliothèques de quartier et des logements sociaux ? Voilà ce que demande cette population. Ainsi si la République assume ses responsabilités dans le domaine de ce qui est d’intérêt universel, elle permet à l’évidence aux personnes issues de l’immigration de faire en quelque sorte des économies pour ses budgets d’intérêt général . Dès lors ceux qui le veulent et uniquement ceux qui le veulent pourront affecter une partie de ces économies pour se cotiser et financer la construction d’un lieu de culte.

Par conséquent, quand la République en 1905 a décidé qu’elle supprimait le budget des cultes, (Article 2 de la loi de 1905) elle n’a fait qu’organiser des vases communicants. L’argent que désormais que l’Etat ne consacrera pas pour financer des lieux de culte sera attribué à ce qui est d’intérêt commun à tous. Donc la laïcité ce n’est pas l’antireligion, comme l’a dit de façon scandaleuse le discours de Nicolas Sarkozy au palais du Latran. Il y a évoqué les violences de la laïcité. Mais de quelles violences parle-t-il ? Il n’y en a eu aucune. Le seul point où il y a eu un peu de tension c’est la question des inventaires.
De quoi s’agit-il ? L’Etat était propriétaire de 34000 églises et cathédrales depuis le 2 décembre 1789. Le 9 décembre 1905, les législateurs ont à résoudre deux problèmes : définir la première règle comme quoi désormais l’Etat ne subventionnera plus aucun lieu de culte puisque la religion n’engage que les croyants. Mais il y avait une seconde difficulté : dans un pays de droit aucune loi n’est rétroactive, donc les législateurs ne pouvaient statuer de la même façon sur la destination des 34000 églises et cathédrales possédées par l’Etat parce qu’elles avaient été nationalisées par la Révolution et sur celle des églises construites après 1906. Les églises construites après le premier janvier 1906 seront construites avec l’argent des fidèles et appartiendront aux autorités religieuses. Quant aux églises léguées par l’histoire elles resteront propriété de l’Etat, seront visitables gratuitement et à tout moment à condition que soit respecté le silence pendant les offices et elles seront mises gracieusement à disposition des associations cultuelles. Où y a-t-il une violence ? Comme il fallait faire l’inventaire des objets de culte qui appartenaient à l’Etat on a envoyé la maréchaussée avec des huissiers c’est alors que certains intégristes ont hurlé à la violation du tabernacle ! Ils ont organisé des manifestations et dans certaines régions, en Bretagne, en Vendée, il y a eu quelques petits troubles. Portant il est tout à fait normal que la République consigne dans des cahiers descriptifs les biens qui lui appartiennent tout en les laissant gracieusement à disposition des autorités religieuses. Encore une fois où y a-t-il violence ? L’argent qui a une provenance universelle doit avoir une destination universelle. C’est pourquoi le financement d’écoles privées religieuses par des fonds publics est un scandale. Financerait-on sur fonds publics des écoles privées qui auraient des cours d’humanisme athée. Cela n’existe pas.
Je me résume : j’appelle laïcité l’union de tout le peuple sur la base de la liberté de conscience, de l’égalité de traitement des convictions spirituelles et de l’orientation universelle de l’action publique.
Peut-on sans sourire alors parler de neutralité bienveillante ? Non car on est obligatoirement bienveillant à l’égard d’une partie et alors on n’est plus neutre.
Peut-on comme M. Sarkozy parler de laïcité positive ? Positive à l’égard de qui ? Des religions, notre président a eu la franchise de le dire clairement.
Peut-on, comme le fait encore le Président affirmer que la République a besoin des croyants ? Cela signifie-t-il qu’elle n’a pas besoin de ceux qui ne croient pas ? Il est bien sûr scandaleux de hiérarchiser les convictions spirituelles mais il est déjà indécent de dire quelque chose en public sur les options spirituelles. Seul le silence de la puissance publique est la condition de l’égal respect des croyants, des non croyants, des agnostiques.

Conclusion

Je terminerai par ce que j’appelle les 5 fautes du Président de la République en matière de laïcité.
- D’abord une faute morale : dire qu’il vaut mieux croire que de ne pas croire c’est ne pas respecter une partie de la population.
- En second, c’est une faute juridique : un président d’une République universaliste n’a pas à ériger sa conviction privée en norme commune à tous.
- La troisième faute c’est une faute historique : dire que la laïcité a été violente à l’égard de la religion est faux et ne mentionner les religions que par le côté positif qui aurait été le leur c’est sélectif, partiel et partial.
- Puis c’est une faute culturelle que de donner un fondement religieux à l’identité européenne. Cela voudrait dire que les Turcs n’ont pas leur place en Europe car ils ne sont pas catholiques.
- Enfin on a une faute de nature politique car lorsque le Président évoque les idéaux, il le fait de façon discriminatoire. Il évoque la religion en bonne part mais les Lumières et le communisme en mauvaise part. Or si Jésus-Christ n’est pas responsable de Torquemada le grand inquisiteur, pourquoi Marx serait-il responsable du stalinisme ? Faute politique également quand le Président assimile le stalinisme au nazisme car si il n’y a pas une ligne de l’œuvre de Marx pour justifier le goulag stalinien, en revanche il y a une cohérence entre les écrits de Hitler et la Shoah.

Pour conclure, beaucoup affirment que la laïcité est franco française, une sorte de spécialité. On pourrait dire aussi que la pénicilline ne soigne que les Ecossais car elle a été inventée par un docteur écossais. Ce qui fonde la vertu curative de la pénicilline c’est sa composition chimique particulièrement efficace dans le traitement des infections. Ce qui fonde la vertu politique de la laïcité, c’est qu’elle propose aux peuples de vivre sur la base conjointe de la liberté de conscience, de l’égalité de traitement des convictions spirituelles et de l’universalité de l’action publique. La laïcité vaut pour tous les hommes, elle a un contenu universel. J’ai la conviction qu’elle fera le tour du monde.