Exposé sur le traité modificatif, 7 novembre 2007

Exposé sur le traité modificatif, 7 novembre 2007

Le Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE) a été refusé par les électeurs français le 29 mai et hollandais le 1er juin 2005, respectivement par 54,7 et 61,5% des voix. Pendant deux ans, les élites européennes, sonnées par l’échec n’ont rien proposé. Au printemps de cette année, Merkel et Sarkozy décidaient d’un nouveau traité.

Le Conseil européen de juin nommait une conférence intergouvernementale (CIG) qui devait élaborer un mini-traité. Soi-disant il ne devait reprendre que les modifications institutionnelles du défunt TCE, car d’après eux, l’Europe était bloquée. Le « traité modificatif » modifie les deux traités existants, le traité sur l’Union européenne (TUE) et le traité instituant la communauté européenne qui prend le nom de « Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » (TFUE). Au total, les nouveaux traités comportent 297 articles nouveaux ou modifiés, 12 protocoles et plus de 50 déclarations ayant valeur juridique, qui viennent se greffer sur les deux traités régissant actuellement l’Union européenne. S’y ajoute la déclaration des droits. Ce n’est pas vraiment mini.

La CIG a présenté la conclusion de ses travaux les 18 et 19 octobre 2007 au sommet des chefs de gouvernements, mais le résultat n’a pas apporté de surprises, tant son travail avait été balisé par le Conseil européen jusque dans les détails. Le traité sera signé le 13 décembre et Sarkozy voudrait faire ratifier avant la fin de l’année. Il ne nous reste que peu de temps pour agir.

Le nouveau traité

Le mandat donné à la CIG 2007 était de reprendre les conclusions de la CIG 2004 (la convention Giscard) avec certaines modifications, mineures, on va le voir. On ne parle plus de constitution car les hiérarques de l’Europe se sont aperçus que le terme faisait peur aux peuples. Selon l’encyclopédie Wikipedia, il ne peut y avoir de constitution que pour les états souverains ce qui n’est pas le cas de l’Union européenne, il n’y a que des traités signés entre états membres. Cependant selon la jurisprudence de la Cour européenne de justice, un règlement adopté par la Commission a prééminence sur la Constitution et les lois des États membres. Cette primauté était clairement inscrite dans le défunt TCE ; si la mention en a disparu du nouveau, elle est reprise à l’identique dans la déclaration 29. L’union est reconnue comme "personnalité juridique", ce qui lui permet de conclure, en tant que telle, des accords et des traités au nom de tous les Etats membres. Par conséquent, le nouveau traité a toutes les apparences d’une constitution.

Toujours pour éviter la provocation vis-à-vis des nations, on ne parle plus de lois européennes mais de directives, règlements, décisions. De même les références au drapeau, à l’hymne et à la devise ont été abandonnées. La concurrence libre et non faussée n’est plus un objectif de l’Union. Mais Angela Merkel a clairement indiqué que cela ne changerait rien. D’ailleurs, il est indiqué dans le protocole 6 : "le marché intérieur tel qu’il est défini à l’article 3 du traité sur l’Union européenne comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée" et l’article 105 maintenu dans le TFUE affirme « le principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». Plus de ministre des Affaires étrangères mais un Haut-commissaire aux Affaires étrangères qui a les mêmes fonctions.

Sur le plan institutionnel, la plupart des innovations du TCE demeurent : président de l’Union élu par le Conseil Européen à la majorité qualifiée de 72 % pour deux ans et demi et renouvelable une fois, extension des domaines où les décisions sont prises à la majorité qualifiée, votes à la double majorité mais pas avant 2014 avec des dispositions transitoires jusque 2017 pour satisfaire la Pologne qui renâcle à perdre les avantages que lui octroie le traité de Nice. En 2014, le nombre de commissaires de la Commission sera réduit à 18 (2 pour 3 pays). En plus du Conseil européen qui décide au consensus et donne les grandes orientations, un Conseil est créé. Celui-ci est composé de représentants des gouvernements, il a une fonction législative et budgétaire et statue à la majorité qualifiée.

Le caractère antidémocratique est évident. Pas de réversibilité des lois : elles ne peuvent être modifiées qu’à l’unanimité des pays membres, ce qui est pratiquement impossible : toute directive est gravée dans le marbre. D’autre part, il n’y a pas de séparation des pouvoirs : la Commission européenne mêle des pouvoirs législatifs (initiative des lois), exécutifs, et judiciaires (surveillance de l’application des lois). La Commission européenne peut donc être considérée comme le gouvernement européen, même si ses membres ne sont pas choisis sur une base strictement politique et sont peu responsables devant le Parlement européen (la Commission dans son ensemble peut être démise par 2/3 des voix).

La charte des droits fondamentaux est bien timide puisqu’elle accorde le droit de travailler mais non le droit au travail et à l’emploi, elle autorise les employeurs à pratiquer le lock-out. Mais elle est encore trop contraignante pour la Grande Bretagne (qui fait travailler les enfants) et la Pologne (qui entend légiférer à sa guise sur la famille et la moralité publique). Pourtant la Cour de justice de l’Union européenne ne pourra garantir le respect des droits fondamentaux

La préférence communautaire utilisée pendant les trente glorieuses n’est plus de mise puisque l’Union doit contribuer à « la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux ». Donc aucune protection contre les délocalisations. Sarkozy avait fait de grandes déclarations préélectorales sur la protection mais il a accepté le document avec enthousiasme.

Par rapport au TCE, aucun changement sur le statut de la BCE, malgré les rodomontades de Sarkozy.

Pas d’évolution non plus sur la politique de défense qui doit être compatible avec celle de l’OTAN. Par avance l’Union s’alignera sur la politique américaine quelle qu’elle soit. Mais les États membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires, sous la houlette de l’Agence européenne de défense, qui identifiera « les besoins opérationnels ». Rappelons que l’alignement sur l’OTAN était une innovation du TCE.

Pas de changement sur les services publics, le droit des femmes, la laïcité, etc.

Les évolutions depuis le TCE

Le Parlement européen reste écarté des décisions sur les recettes de l’Union, c’est-à-dire ne vote pas la partie recettes du budget de l’Union (ne vote pas l’impôt). Pourtant son rôle est légèrement accru par une augmentation des domaines relevant de la codécision avec le Conseil. Mais cette mesure ne s’accompagne pas d’une extension simultanée des pouvoirs des Parlements nationaux qui ne pourront intervenir que sur le respect ou non du principe de subsidiarité. Il y a une grande méfiance vis-à-vis des parlementaires nationaux à qui leurs électeurs peuvent demander des comptes. Personne ne demande de comptes au Parlement européen. Ainsi l’abstention des députés européens de Lutte ouvrière et de la LCR sur la taxe Tobin est restée inconnue des citoyens sauf de quelques membres d’Attac.
L’augmentation du rôle des parlements nationaux est minime puisque le délai d’examen des directives passe de 6 à 8 semaines. Une directive peut cependant être remise en cause par 55% des parlements nationaux et/ou d’une majorité d’eurodéputés.

Le droit de pétition d’un million de citoyens est illusoire car il ne porte que sur l’application des traités. Il en est de même des coopérations renforcées qui doivent respecter les traités

Le traité dit modifié ou modificatif ou de Lisbonne a été adopté lors du Conseil européen des 18 et 19 octobre. La ratification interviendra en 2008, peut-être même en décembre 2007 pour la France dont Sarkozy veut laver la honte du Non. Elle aura lieu en tous cas avant les élections européennes de 2009. Les dirigeants européens se sont donnés le mot : pas de référendum ni en France ni aux Pays-Bas, et probablement pas en Grande Bretagne. Le 27 septembre le premier ministre des Pays-Bas moins hypocrite que Sarkozy a dit qu’il ne ferait pas un référendum qui pourrait mener à un rejet. Seule l’Irlande organisera un référendum, car sa constitution le rend obligatoire. Peut-être le conseil constitutionnel demandera une révision de la Constitution française, qui pourrait être votée par le congrès à Versailles. Certes l’UMP n’y a pas la majorité des 3/5, mais il suffirait que 11 socialistes votent pour la révision pour qu’elle soit adoptée. De toutes façons le Parti Socialiste s’est prononcé pour le Oui par 36 voix POUR / 20 voix CONTRE et 2 abstentions. François Hollande laisse aux députés la liberté de vote et il faudrait une forte mobilisation pour que tous les élus socialistes votent Non.

Que faire ?
Il existe une pétition qui se trouve sur http://referendumeurope2007.free.fr/ qui demande simplement un référendum et que je vous engage à signer, elle en est à 12000 signatures. Après plus d’un mois de tergiversations avec les organisations fondatrices dont certaines sont pour le oui comme Alternatives économiques, Attac a élaboré une pétition (http://www.collectifdu29mai.org/Appel-unitaire-sur-le-traite.html) avec d’autres organisations. Jusqu’à présent elle a recueilli 800 signatures.

Conclusion

Ce matin sur France Inter, François Hollande disait que le traité n’est plus qu’un simple règlement intérieur, oubliant que toutes les dispositions de l’ancienne partie III ont été reprises. Il reconnaît que le traité n’est pas parfait mais, dit-il, on doit passer à des choses plus importantes. Attitude irresponsable quand on sait que 70% de nos lois sont de simples retranscriptions des directives européennes.
Dans toutes les démocraties, une majorité politique solide peut aisément modifier la constitution. Pratiquement les traités européens une fois ratifiés, ne pourront jamais être modifiés. Il fut un temps où les rédacteurs de la Constitution de 1793 avaient la sagesse et la modestie d’inscrire une disposition, qui fait défaut dans les projets de traités européens : "un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures" ?

Sauf si l’Irlande vote Non, le traité aura été adopté par les parlements. Les peuples n’auront pas eu le droit de s’exprimer. Les européistes croiront avoir remporté une grande victoire, mais ce sera une victoire à la Pyrrhus. Ils seront même les fossoyeurs de la construction européenne. Il aura été démontré qu’il est impossible de faire bouger l’Europe hors de la voie libérale et que cette Europe est inamendable. La construction libérale de l’Europe, l’alliance des socialistes et de la droite était visible dès l’origine car en 1958, un an après la signature du traité de Rome, Jacques Rueff, économiste libéral et conseiller de de Gaulle disait : « Le marché institutionnel est ainsi l’aboutissement et le couronnement de l’effort de rénovation de la pensée libérale, qui a pris naissance il y a une vingtaine d’années, et qui, sous le nom de néo-libéralisme ou de libéralisme social, voire de socialisme libéral, a pris conscience, progressivement, de ses aspirations et des méthodes à même de les satisfaire, pour se reconnaître finalement dans les formules communautaires de la Communauté européenne du charbon et de l’acier et dans celles dont la Communauté économique européenne sera demain l’application généralisée » Les peuples s’écarteront de cette Europe et peut-être les souverainistes ne seront plus seuls à vouloir quitter l’Union européenne.
Christian Schneider