Conférence de Jacques Généreux du 21 novembre 2007

La construction européenne et le nouveau traité européen

INTRODUCTION

Contrairement à ce que j’entends et à ce que je lis dans un certain nombre d’argumentaires, y compris dans mon parti, le parti socialiste, je ne vais pas centrer le débat sur les avancées, les inconvénients du nouveau traité européen. Ce débat a déjà eu lieu en 2005.
La question est de savoir si le « nouveau » traité qu’on nous propose est le même que le TCE mais présenté autrement. Si tel est le cas il n’y a pas de débat mais bien évidemment la question doit être posée autrement.

Certes je vais parler du traité dit simplifié mais les questions que je souhaite aborder ce soir portent sur la signification politique de la façon dont on est en train de faire la construction européenne, justement le fait qu’on s’apprête à faire ratifier un traité qui a déjà été refusé par le peuple, par voie référendaire et enfin je discuterai des perspectives de combat et peut-être, puisque je suis militant socialiste, de la façon dont j’explique la position prise par le bureau national du parti socialiste il y a 15 jours, à savoir que le parti socialiste voterait oui à la ratification de ce nouveau traité.

LE NOUVEAU TRAITE

Parlons du traité ou plutôt des traités car ce qui a été décidé c’est d’abandonner la voie qui avait été tentée en 2004.On ne parle plus de Constitution, ce n’est plus un grand traité qui rassemble l’ensemble des textes juridiques européens dans une Constitution. On garde les traités existants Traité de l’Union et ses modalités de fonctionnement, on les rebaptise et on amende ces traités pour intégrer l’essentiel des innovations qui avaient été apportées par le Traité constitutionnel européen Le Conseil n’avait pas donné mandat à la nouvelle Conférence intergouvernementale, de poser les bases de la négociation d’un nouveau Traité ; c’était un mandat qui disait en substance : sauf mention contraire, tout ce qui a été adopté par la Conférence
intergouvernementale en 2004 doit être intégré dans les nouveaux traités. Dès lors on pouvait déjà deviner ce que serait ce nouveau Traité puisque les marges de manœuvre en fait n’existaient pas. Le mandat confiait une mission simplement technique, une mission de juriste se résumant à trouver comment intégrer à ces deux traités les apports de la négociation qui a été menée en 2004.

En 2004, on avait pris un ensemble de traités qu’on va appeler A et on les a fusionnés dans un grand Traité B. Aujourd’hui que fait-on ? on prend le nouvel ensemble B pour le rééclater et le remettre dans l’ensemble A. Or chacun sait que A+B = B+A, pour être précis est identique à B+A.Voilà le principe.

Il y a malgré tout, quelques modifications et c’était bien le but après le NON français. Le débouché normal aurait été une renégociation qui tienne compte des critiques, des aspirations exprimées lors du référendum. Si on analyse les conséquences du Non français – c’est d’ailleurs le titre d’un de mes ouvrages – on pouvait s’attendre à une réflexion sur la façon dont on pourrait renégocier, dont on pourrait réécrire les articles litigieux.

Ma position, au lendemain du référendum et elle est toujours la même, est qu’une construction européenne se fait sur des compromis entre les Etats, entre les forces politiques de droite et de gauche, entre les démocrates chrétiens, les socio-démocrates, les libéraux, les néolibéraux … Il ne s’agit pas d’imposer par la force sa position, il n’y a pas d’autre méthode que la discussion, la négociation et le compromis. En tant que socialiste pas question d’imposer ma vision de la construction européenne : mon intérêt à entrer dans le débat sur la construction européenne n’existe que si on a des partenaires disposés à des concessions sur un certain nombre de points. Chacun définit son idéal de projet européen concernant la démocratisation de l’UE, les réformes économiques et sociales, les relations internationales mais à côté de cet idéal qui ne fait pas l’unanimité, on peut proposer des domaines sur lesquels on pense qu’il peut y avoir des possibilités de compromis et d’autres sur lesquels on ne peut transiger.

Je prends l’exemple de la Banque centrale européenne. Ma position qui est celle du Parti Socialiste c’est la remise en question de l’indépendance de la Banque centrale européenne par rapport au politique puisque une institution qui décide de la politique monétaire de l’UE ne peut échapper à toute forme de contrôle politique. Il est donc nécessaire d’organiser des modalités selon lesquelles la BCE doit rendre compte de la politique qu’elle mène devant le Parlement européen, doit coordonner ses politiques avec la Commission et doit pouvoir être sanctionnée si la politique monétaire qu’elle mène n’est pas conforme aux attentes de la majorité politique qui s’exprime à travers des élections. Voilà pour l’idéal. Néanmoins on peut, sur cette question, faire des compromis. D’abord par souci de réalisme car on sait que pour les Allemands il est trop tôt pour remettre en cause l’indépendance de la BCE. C’est pour eux une condition « sine qua non » de la mise en place d’une monnaie européenne et d’une politique européenne. Cette intransigeance procède du traumatisme subi par les Allemands en 1923 et en 1948, années désastreuses d’inflation. Il est donc nécessaire de faire cette concession en échange de laquelle on peut obtenir une réforme des statuts et des objectifs de la BCE, en particulier faire admettre que son seul objectif ne soit pas celui de la stabilité des prix.. On peut exiger qu’elle ait une politique monétaire qui vise le plein emploi, le développement durable ou l’équilibre extérieur et qu’elle arbitre ses priorités en fonction de l’urgence du moment.

Voilà ce qu’est un compromis, voilà ce que le NON français aurait dû engendrer si il avait ensuite été repris en charge par un pouvoir politique démocratique au sens réel du terme, un pouvoir qui cherche à offrir un débouché politique à la volonté exprimée par la majorité des français. La négociation aurait dû s’engager dans cette voie après les élections et la nomination d’un nouveau président de la République. Il s’agissait cette fois-ci à côté du Non nationaliste, d’un Non pro européen très largement de gauche qui ne contestait pas l’Union européenne mais qui contestait son orientation strictement libérale, voire néolibérale en matière de politique sociale, économique et monétaire..Un président démocrate, après le Non français avait manifestement pour mandat de dire : « Maintenant, la discussion doit s’engager sinon aucun nouveau traité ne pourra être représenté aux Français ». Au lieu de cela dans un premier temps Jacques Chirac est allé s’excuser du Non français ! C’est hallucinant ! Rien ne s’est passé ! ou plutôt si un « nouveau traité » !

Ce qui change

Certaines revendications ont été entendues, celles des nationalistes, des souverainistes, des anti-européens. On a supprimé tous les symboles de supra nationalité, on ne parle plus de Loi cadre européenne et on revient aux règlements, aux directives, à tout ce jargon technocratique censé montrer que la loi est du domaine de la souveraineté nationale, que l’Europe n’est pas une instance politique supérieure. On a évidemment supprimé le mot Constitution, le drapeau, l’hymne européen, bref tout ce qui dérange les souverainistes.

Certes ceci peut paraître sans importance mais cela nous montre bien dans quel sens on va et quelles revendications on est disposé à entendre dans le parterre des gouvernements européens actuels. Tous ceux qui ne veulent pas de l’ Europe politique qui assurerait l’harmonisation des politiques européennes sont entendus, ce qui fait plaisir aux néolibéraux. Il faut bien comprendre : dans la logique de compromis qui a été celle de la construction européenne au moment de la discussion du TCE en 2004, les libéraux ont fait des concessions. Ils ne voulaient pas d’une Europe politique pas plus qu’ils n’en voulaient au moment de Maastricht, ils voulaient juste une monnaie unique.

Maintenant ils tirent partie des Non néerlandais et français pour donner droit à toutes les revendications nationalistes et souverainistes. Ils ne font que concéder ce qu’ils souhaitaient eux-mêmes. Donc ce qui a changé c’est la suppression de tous les signes de supra nationalité, ou d’affichage de la supra nationalité.

A part cela rien de neuf, la seule avancée démocratique c’est que le délai laissé aux parlements nationaux pour vérifier le principe de subsidiarité a été augmenté de deux semaines (8 semaines au lieu de 6). Mais toujours pas d’extension des pouvoirs du Parlement, toujours pas de droit décisif du Parlement européen en matière de vote du budget, toujours pas d’extension de la Commission à des domaines aussi importants que la politique étrangère dans les domaines économique et social, toujours pas d’extension du vote à la majorité qualifiée sur les questions fiscales. Rien de neuf non plus en matière de désignation de la Commission et de son président. Certes il y aura un président qui peut être élu par le Parlement mais sur proposition du Conseil en tenant compte des élections européennes. Cela ne veut pas dire que le président reflète la majorité politique. De même la façon dont sont désignés les commissaires est très claire, ces commissaires qui constituent,domaine par domaine, le véritable exécutif de l’UE sont choisis d’un commun accord par le Conseil des chefs d’état et de gouvernement et le président élu de la Commission européenne, là encore, sur proposition des Etats, sur la base de leurs compétences techniques et pas du tout en fonction de leur personnalité politique. Donc aucune avancée démocratique.

On nous dit que désormais on reconnaît une valeur juridique à la Charte des Droits fondamentaux mais cette charte s’applique à l’UE quand sont mis en œuvre des droits de l’UE contraires aux droits nationaux. Donc de nombreux domaines sont exclus et là encore peu de progrès. Aucun forum, aucun travail en commun, c’est le TCE en moins bien.

Analyse politique

Ce projet se fonde sur des impératifs économiques qui font consensus, en fait c’est un projet politique sans politique. Si on revient aux origines, pour les pères fondateurs c’est par le biais d’intérêts économiques évidents pour tous et sur lesquels on pouvait faire l’unanimité qu’on allait ancrer l’idée de l’Europe, l’idée de la coopération entre les peuples, de leur union.

En effet si au lendemain de la guerre on avait proposé aux Allemands et aux Français de faire l’union politique cela aurait paru totalement absurde, par contre si on proposait de favoriser la reconstruction d’une industrie du charbon et de l’acier détruite par la guerre, cela paraissait une bonne idée. Si on peut faire aboutir de manière supra nationale des décisions qui sont largement acceptées car conformes à l’intérêt général on va plus loin dans la négociation d’un marché commun d’une communauté économique européenne. C’est ce que j’appelle un projet un projet politique sans politique !

Pendant longtemps cela a marché parce qu’il y avait un champ vaste de progrès économique et indirectement social, en effet pendant les trente glorieuses le progrès économique a largement contribué à financer le progrès social. Cette philosophie fondatrice continue d’inspirer aujourd’hui de nombreux proeuropéens, notamment des proeuropéens socio démocrates. Ils sont très marqués par cette philosophie qui est qu’au niveau européen on traite des questions d’intérêt général, donc de questions techniques et économiques qui peuvent faire l’unanimité car elles participent à la prospérité de l’Europe.

Par contre au niveau européen on ne fait pas de politique politicienne, il n’y a pas de débat entre gauche et droite, ce débat là n’a de sens qu’au niveau national. Au niveau national, il y a des conflits, des différences de projets de société, des différences entre des gens plus libéraux, des gens plus sociaux, des batailles politiques sur des idéologies, sur des projets,sur des politiques économiques et sociales différentes. On fait de la politique dans son pays. Par contre en Europe on fait du progrès économique général, du progrès technique par des coopérations qui ne sont ni de droite, ni de gauche parce que tout le monde est d’accord pour qu’il y ait plus de croissance. Voilà ce qui inspire ce projet et encore une fois pendant longtemps cela a marché.

Mais à partir de 1986, les choses ont changé de nature, quand on a décidé d’aller plus loin et de créer un grand marché qui serait bien plus qu’un marché commun des marchandises, des biens.On a mis en place un marché du travail, des services, des capitaux. A partir de là on sait bien que ce grand marché unique va limiter considérablement les marges de manœuvre des politiques nationales. Par exemple la libre circulation des capitaux, on s’en est rendu compte quand les états avaient des monnaies différentes, paralyse complètement la conduite de politiques budgétaires ou monétaires nationales. En effet si on ne fait pas la même chose que son voisin, en l’occurrence à cette époque l’Allemagne, des spéculateurs viennent sur le marché ruiner votre monnaie.

Cet exemple montre qu’à cette époque là l’Europe a changé de nature : on a transféré de plus en plus de pouvoir économique réel vers le niveau européen, sans transférer en même temps le débat politique et la démocratie politique qui au plan national faisait accepter aux citoyens que la politique menée ne soit pas celle qu’ils désiraient parce qu’ils avaient un droit de vote, droit de faire changer la majorité politique pour obtenir d’autres politiques. Donc on a transféré de plus en plus de pouvoirs vers le niveau européen : en 1992 depuis le traité de Maastricht on a transféré la monnaie ; avec le Pacte de stabilité on a transféré la gestion de la politique budgétaire, sans transférer le contrôle politique citoyen. On a vidé de son contenu le pouvoir politique national ce qui ne me dérange pas en tant que pro européen mais à condition en contrepartie qu’il y ait transfert du débat politique au niveau européen.

C’est sur ce point fondamental que les néo-libéraux ont gagné la bataille en Europe, par rapport à la gauche et aux socio démocrates. Voilà ce qui explique la nature de nos institutions, de la Commission européenne, par exemple : on a un gouvernement européen, un exécutif avec des commissaires qui sont de simples techniciens absolument pas chargés de représenter une majorité politique. A partir de là on ne peut avancer sur la construction d’un projet politique européen puisque le pouvoir politique a été transféré à un pouvoir technocratique. Les néolibéraux tiennent à cela plus qu’à tout et font tout pour que le traité modificatif passe sans débat citoyen. Le Non français au TCE et surtout le débat politique qui l’a amené a été à leurs yeux un sacrilège épouvantable et a ouvert la voie au pire des dangers : que les Européens se mettent à croire qu’il y a un débat politique en Europe, un débat droite-gauche.

Voilà quel a été le sens du Non français et son message ! Or on fait comme si le Non français n’avait pas existé, sans que cela ne choque personne, ni les médias, ni les politiques dans leur grande majorité. On va faire ratifier le même texte à quelques détails près par la voie parlementaire pour bien montrer aux autres peuples européens qu’il est inutile de se saisir du débat politique au niveau européen.

DEBAT SUR LA POSITION DU PARTI SOCIALISTE

IL n’est pas question au PS de refaire le débat sur le Oui et le Non, celui-ci a déjà eu lieu, on connaît le résultat : majorité pour le Oui et forte minorité pour le Non. On connaît les arguments des uns et des autres, il n’y a aucune raison pour que les choses aient radicalement changé.
Par contre on pouvait s’attendre à ce que les socialistes soient à 100% d’accord sur le respect de la démocratie. Les Français se sont exprimés, la seule possibilité était la demande d’un nouveau référendum pour ratifier ou non le Nouveau Traité. La seule voie pour le Parti socialiste était de prévenir le Président de la République qu’il refusera de participer à un processus de ratification qui serait autre qu’un processus de ratification par référendum. Cela veut dire qu’il ne votera pas la révision constitutionnelle nécessaire pour qu’on puisse procéder à la ratification par voie parlementaire. Voilà le message clair que le PS doit lancer à l’unanimité.

Or au lieu de discuter de cette question, la direction du PS, sous la houlette de François Hollande, a décidé de reporter ces questions de forme et de procédure pour d’abord se prononcer sur le fond du Nouveau Traité. On a procédé à un vote au Bureau national : 30 pour, 22 contre et 2 abstentions.

L’effet de ce vote est catastrophique puisque si le but affiché était d’enterrer la hache de guerre entre le oui et le non, c’est raté. Même si cette fois-ci la précaution a été prise de ne pas prévoir de sanctions contre les opposants, ce vote a durci les positions et a accentué le clivage au sein du parti socialiste. On peut donc dire à coup sûr que le but affiché n’était pas le but réel. Quel était-il ? Voici mon interprétation.

C’est une pure manœuvre tactique interne : François Hollande probablement va s’en aller au prochain congrès pour se mettre en réserve et tenter de revenir au moment de l’investiture sur les présidentielles. En effet Ségolène Royal risque fort d’être discréditée par son échec, DSK s’est éloigné, Fabius ne progresse pas donc Hollande espère revenir. Mais pour ce faire, il y a un projet de réforme des statuts du PS, celui-ci deviendrait une sorte de parti démocrate de « fans » qui agitent des drapeaux à l’unanimité derrière leur candidat. Le PS ne serait plus un parti à la majorité, avec des courants et un débat politique interne. Cette réforme des statuts est une manière de tuer le PS en le transformant en un parti majoritaire, un parti d’adhérents où on parle tous d’une même voix. Tuer le PS car jusque là ses membres avaient une convergence à laquelle ils tenaient fort, celle de continuer à mener le débat et à le trancher démocratiquement. Du coup l’alliance sacrée qui s’était constituée entre des hommes et des femmes qui avaient des divergences sérieuses sur des questions de ligne va se briser et Hollande espère refédérer les partisans du oui et du non autour de lui. Voilà mon explication. C’est de la pure tactique partisane à court terme.

CONCLUSION

Cela dit la bataille n’est pas achevée puisque François Hollande se remet à parler de référendum, peut-être comprend-il que, si un jour il est candidat c’est une idée très populaire dans la population. Le combat reprend pour se battre pour un référendum et se battre pour un référendum c’est pour le Parti socialiste ne pas voter la révision constitutionnelle.

Mettons nos actes en rapport avec nos idées et signons l’appel du Comité national pour un référendum. Il suffit pour cela de consulter le site « Nous voulons un référendum » et de rejoindre les très nombreux signataires.