Super Profiteurs, le petit livre noir du CAC 40 - 1

1. Introduction

Tout le temps apparaissent des scandales et controverses concernant les grandes entreprises françaises (GEF) : 

  • Evitemment fiscal, 
  • Ggreenwashing, 
  • Plan de suppression d’emploi, 
  • Lobbying, 
  • Records historiques de profits pour le CAC40, 
  • Exploitation des sous-traitants de grands groupes français, 
  • Liens étroits avec tel dictateur ou régime autoritaire.
     
    On n’arrête pas de nous répéter que les GEF représentent la France, que nous avons besoin d’elles et qu’il ne faudrait pas trop les critiquer.
    Par rapport aux 30 Glorieuses, période évoquant un Etat interventionniste, les GEF rendent le moins possible à la société :
  • Evasion fiscale,
  • Délocalisations,
  • Emploi en berne,
  • Salaires qui stagnent,
  • Inflation galopante,
  • Refus d’assumer la responsabilité de leurs impacts écologiques et sociaux.
     
    Les GEF sont devenues sur les marchés mondiaux des multinationales et se sont soumises au joug de la finance actionnariale dont le CAC40 est le symbole où la plupart des « champions » du monde du dividende figurent : 150 milliards de profits au printemps 2023 qui profitent peu aux travailleurs et travailleuses de ces mêmes entreprises et moins encore à la société.
    Pour le gouvernement, ce qui est bon pour le CAC40 l’est nécessairement pour la société c’est pourquoi ses politiques économiques sont axées sur les intérêts des grands groupes :
  • Principaux bénéficiaires de la croissance des aides publiques,
  • Baisse de la fiscalité,
  • Détricotage du code du travail,
  • Libéralisation,
  • Soutien à l’exportation,
  • Assouplissement des régulations environnementales.
     
    Pendant que ces multinationales sont choyées, les services publics dépérissent faute de crédits suffisants.
     
    Ce livre propose de poser un regard lucide sur ces « champions nationaux » (CN).
     
    La première partie s’intéresse à ce que nous coûtent réellement ces CN .
    La seconde partie se penche à ce qu’ils nous apportent vraiment.
    La troisième partie est consacrée aux pratiques des GEF dans le monde et en particulier sur le dossier du climat
    La quatrième partie propose des pistes pour s’en sortir.
     
    Il importe surtout de se demander si nous avons autant besoin de ces mutitinationales qu’on voudrait nous le faire croire.

1ère partie Que nous coûtent-ils ? 

I Dividendes et rachats d’actions : la ponction des marchés financiers

Des dividendes en augmentation constante : de 2000 à 2020 : + 260 %

On allègue que la bourse et les marchés sont nécessaires pour permettre aux entreprises de se financer mais les grandes entreprises ont davantage recours à l’autofinancement et au crédit qu’au marché. La priorité est maintenant donnée à la distribution de dividendes, en augmentation constante quelle que soit la situation économique. 
Les entreprises françaises sont parmi les plus généreuses vis à vis de leurs actionnaires. 55,2 Milliards d’euros ont été servis en 2018, 80 Milliards d’euros en 2022.
Certaines entreprises vont jusqu’à s’endetter pour rétribuer leurs actionnaires ou versent des dividendes supérieurs à leur profit. Elles ont de plus en plus recours au rachat d’actions qui consiste pour une entreprise à racheter ses propres actions pour les supprimer, ce qui élève le rendement des actions restantes.

Un tribut versé aux seigneurs de la finances

Les principaux bénéficiaires sont : Bernard Arnault et Blackrock et après l’état français, les familles Bettencourt, Pinault, Hermès et le fonds Amundi.
 Les dividendes assurent également des gains astronomiques aux grands patrons dont les revenus viennent pour les 4/5 de dividendes et d’actions (4/5), la part du salaire étant largement inférieure. Leurs intérêts sont donc alignés sur ceux des actionnaires et non sur ceux des employés

Une malédiction pour l’économie, la société et l’environnement

Les bénéfices versés aux actionnaires sont autant d’argent qui ne revient pas à l’investissement, à la création d’emploi, à la rétribution des salarié-e-s.
La recherche du profit entraîne la dégradation des conditions de travail au nom de la rentabilité, la pression sur les fournisseurs et sous-traitants, les délocalisations et la dégradation de l’environnement. Elle contribue à l’augmentation des prix. L’inflation a été une aubaine pour certains grands groupes qui en ont profité pour accroître leurs marges et de ce fait alimentent et renforcent l’inflation. 
Installées dans une logique de rente, les grandes entreprises investissent peu et le font surtout pour s’étendre à l’étranger, recourant pour investir en France aux généreuses aides de l’état.
 Les stratégies financières prennent le pas sur les stratégies industrielles et motivent les grandes fusions prestigieuses qui entraînent régulièrement des suppressions d’emploi.

On peut donc parler d’un "coût du capital" qui pèse sur chaque citoyen et travailleur.

II Privatisations et libéralisations : notre patrimoine collectif cédé aux intérêts privés.  

En 1984 : la part de l’état dans les groupes industriels était de 74%, elle est de 15% aujourd’hui

Historiquement, 3 vagues de nationalisations se sont succédé : en 1936 (Front Populaire) en 1945-46 (Libération), en 1981-83 (Union de la gauche) 
Depuis 1986 avec le tournant néo-libéral le mouvement s’inverse et les privatisations conduisent à la désindustrialisation et à l’affaiblissement des services publics.
Les grandes entreprises actuelles ne sont donc pas le fait d’entrepreneurs créateurs et innovants ; elles prennent la suite d’entreprises d’état dont elles récoltent les fruits.

  • Le dépeçage d’Alstom : un scandale d’état

Le pôle Energie à été vendu à General Electric (USA) en 2014 (Macron étant ministre de l’économie de Hollande), ce qui a entraîné la suppression de 5000 emplois (fermeture du site de Belfort) et un transfert des compétences à l’étranger.
en 2022 : l’état rachète les activités nucléaires d’Alstom pour 2 fois le prix de vente de 2014.

  • Les entreprises publiques soumises à la loi du marché

1990 : ouverture à la concurrence (Europe)

Transports : en 1997 scission de SNCF réseau (infra structures) et SNCF voyageurs
en 2020 : SNCF devient une société anonyme (donc gérée comme une entreprise, fin du statut de cheminot), ce qui ouvre la voie à sa privatisation.
 Sous Macron, les lignes d’autobus interurbains sont libéralisées et les bus gérés par la RATP ouverts à la concurrence.

Energie : Scission EDF /GDF en 2004. GDF est transformée en société anonyme puis cotée en bourse. Fusion avec SUEZ pour former ENGIE dont l’état détient 23% du capital mais appelée à être entièrement privatisée.
En 2021, Macron élabore le projet Hercule qui suppose la scission d’EDF en 3 pôles :
"bleu" : nucléaire et thermique - "azur" : hydraulique avec possibilité de privatiser les barrages - "vert " : réseau de distribution et renouvelables ouvert aux capitaux privés, ce qui implique que
la transition énergétique sera soumise à une logique de rente.

autoroutes : en 2006, les autoroutes construites avec des fonds publics sont bradées à des sociétés concessionnaires privées, filiales de grands groupes (Vinci, Eiffage, Abertis) à qui elles reversent des centaines de millions d’euros, en augmentant régulièrement les péages. En 2023, Borne négocie le report de l’augmentation prévue avec pour contrepartie la prolongation des concessions et une augmentation des chantiers autoroutiers payés par l’état.

  • Privatisation rampante des acteurs financiers publics

Les banques ont été cédées au privé à partir de 86. Reste la Caisse des Dépôts et Consignations mais réformée en 2019 par la loi pacte qui la fait gérer selon les standards du marché.
Il existe un projet de pôle financier public (avec la Banque Postale et CNP assurances) mais toujours soumis aux standards financiers, ce qui revient à une privatisation déguisée.
C’est une véritable menace car la C.D.C qui gère plus de 300 milliards d’euros, finance les infrastructures d’intérêt général et 70% du logement social.

  • L’état actionnaire

Aujourd’hui l’état est encore actionnaire de plus de la moitié des entreprises du CAC 40, mais sans y soutenir l’intérêt public, si bien que cette participation ressemble plus à une aide publique aux entreprises sous forme de capital.

  • Un non-sens écologique, économique et politique

Les grandes entreprises privées obéissent à la logique consumériste, productiviste et extractiviste de l’économie capitaliste, alors que la frugalité est désormais une nécessité.
Elles ont une position dominante dans leur secteur et en tirent profit. 
Alors que le rôle de l’état serait de veiller à l’intérêt général et à la justice sociale, les privatisations opèrent un transfert de richesses des citoyen-nes aux actionnaires et conduisent à une injustice sociale insupportable.

III Aides publiques : une addiction devenue un tabou

157 milliards d’euros soit 6,4% du PIB
 plus de 30% du budget de l’état
10 milliards de + que l’ensemble des aides sociales
+ 242 % en 20 ans
On tait leur rôle dans le déficit budgétaire

  • Un maquis sans transparence protégé par le secret des affaires

1819 aides (subventions, exonérations de cotisations, abattements fiscaux, prêts bonifiés) bénéficient majoritairement aux grandes entreprises mais sans aucun véritable chiffrage ni contrôle de leur efficacité.

100% du CAC 40 soutenus par les pouvoirs publics pendant la pandémie

2/3 ont eu recours au chômage partiel mais ont versé des dividendes aux actionnaires et procédé à des rachats d’actions.

  • De l’argent public sans aucune contrepartie

Aucunes véritables conditions ne sont mises aux aides mais des recommandations non contraignantes
Ainsi, des aides importantes ont été allouées à Air France, Airbus, Renault (3 grands pollueurs) sans exigences environnementales ni en termes d’emploi.
Renault, après un prêt garanti de 5 milliards et le soutien du Plan automobile (coût 8 Milliards) a supprimé 4600 emplois
TotalEnergies qui clame ne pas avoir eu recours à l’aide d’urgence bénéficie de nombreux autres dispositifs (baisse des impôts de production- subventions plan hydrogène - Plan automobile.)
Elles reçoivent aussi un soutien via le marché carbone européen : des millions de quotas de CO2 gratuits

  • Des aides le plus souvent inefficaces mais maintenues

C’est par exemple le cas du CICE : Crédit Impôts Compétitivité Emploi et du CIR : Crédit Impôts recherche, (inefficacité reconnue par la Cour des comptes, malgré son importance : 0,29 % du PIB en 2018)

  • Des coûts sociétaux cachés
     
    Dépollution d’usines, prise en charge des maladies professionnelles, politiques sociales en cas de suppressions d’emploi sont assumées par les pouvoirs publics.
    Les "externalités négatives des entreprises" ( leur impact dommageable sur la société et l’environnement) appellent des politiques de prévention et de remédiation financées par la collectivité.
    Beaucoup de ces coûts sont difficilement évaluables (pollution- environnement- société) car diffus, et souvent intangibles mais aussi parce que le bien-être n’est pas chiffrable.
  • L’état à la rescousse

Lors de la crise de 2008 apparaît l’expression " too big to fail" qui justifie le renflouement des banques pour éviter un effondrement en chaîne généralisé. En France, l’ affaire Kerviel (Société générale) nécessite également le secours de l’état. Le soutien concerne aussi l’industrie automobile ou prend la forme de commandes de trains à Alstom en difficulté.

IV Une démocratie capturée

L’état et l’administration publique sont mis au service des "champions nationaux", expression qui laisse supposer que les intérêts privés et collectifs seraient identiques.
Pour ce faire, les dits champions recourent à de multiples stratégies d’influence qui confisquent la démocratie.

  • Quand les lobbies co-écrivent les lois et les régulations

Lobbying à Bruxelles et Paris sous différentes formes.
 lobbying direct : rendez-vous avec les décideurs, suggestions rédactionnelles.
 mais influence aussi (plus discrète) à tous les niveaux et moments de décisions : en amont, information des lobbies patronaux avant tout autre ; lors de l’application, participation à des comités techniques invalidant les décisions gênantes.
En 2021 les entreprises du CAC 40 ont déclaré 20 millions d’euros de dépense de lobbying à Paris. Il s’exerce en particulier dans le domaine des médicaments, de l’énergie, de la finance, de la construction aéronautique et de l’armement, de l’agro-alimentaire et des boissons et opère souvent en déplaçant les discussions sur le plan technique et juridique.

  • Les relations incestueuses entre l’état et les grands groupes privés.

Il existe une symbiose entre haute administration et hautes sphères du pouvoir économique dont les membres ont une communauté de parcours et d’intérêts.
Le pantouflage (recrutement de hauts fonctionnaires ou anciens élus par des entreprises) est une pratique courante. À l’inverse, de nombreux responsables, ministres ou associés, sont issus du privé, dans 2 secteurs en particulier : la finance et l’énergie. Ce qui explique par exemple l’échec de la loi sur la séparation bancaire dont l’élaboration à été confiée à des proches de BNP Paribas. La filière nucléaire a pu recevoir entre autres le soutien d’Edouard Philippe, ancien lobbyiste pour Areva

  • Main basse sur les médias et manipulation de l’opinion

 10 oligarques contrôlent 90% des quotidiens nationaux
Bolloré : Europe 1 - Paris Match - JDD - Hachette - Canal plus -Direct Matin- Daylimotion - Editis CSA - Havas
Bouygues  : TF1
Dassault Figaro
Arnault : les Échos, le Parisien /Aujourd’hui via LVMH
Les recettes publicitaires sont utilisées comme armes de chantage

L’influence culturelle se fait aussi par le biais de Think tanks : L’Institut Montaigne mais aussi sous une apparence d’impartialité l’IDDRI (institut de développement durable et des relations internationales) et l’ IFRI (institut français des relations internationales).

Dans l’enseignement supérieur, le mécénat des grandes entreprises (remboursé à 60% par le crédit d’impôt) permet d’orienter subtilement les axes de recherche.