Super Profiteurs, le petit livre noir du CAC 40 - 4

Quatrième partie et conclusion : qu’est-ce qui doit changer

Quels sont les moyens possibles pour remettre les multinationales sous contrôle démocratique et sociel au plan national et à l’échelle internationale car il n’y aura pas de changement profond sans bouleversement du rapport de force ; il faut continuer à lutter.
 
Nous présentons trois axes.

Premier axe : encadrer et réguler pour mettre fin à l’impunité et aux privilèges

Les politiques néolibérales sont la conséquence et le reflet de la mise en concurrence internationale et des privilèges abusifs qu’exigent les multinationales.

  • Mettre fin aux politiques néolibérales

Il faut remettre les grandes entreprises dans le cadre du droit commun en les soumettant aux obligations sociales, économiques et fiscales.
· En matière de fiscalité, il faut revenir sur les baisses massives d’impôts sur les entreprises, le capital et les grandes fortunes surtout depuis l’élection de Macron. 
Il faut renforcer la progressivité du système fiscal et sa dimension écologique.
· En matière d’aides publiques, il faudrait instaurer une véritable transparence sur les divers dispositifs, leurs coûts et bénéficiaires : allègements de cotisations sociales et « niches fiscales ».
Les aides devraient être soumises à de véritables conditions fiscales, sociales et écologiques.
Les pouvoirs publics doivent revenir sur les décennies de privatisation et de libéralisation.
Concernant la transparence de la vie publique, il faut établir des règles strictes sur les conflits d’intérêts, pantouflages et rétropantouflages
· Dans le domaine des médias, la mainmise des grands groupes doit être combattue en renforçant la législation anti-concentration et en empêchant les grands groupes dépendant de commandes publiques de posséder un média.

  • Mettre à bas les règles internationales qui favorisent les grandes entreprises

Il faut contraindre les multinationales à respecter les exigences de justice sociale, fiscale et écologique. 
Un des exemples est le système des tribunaux d’arbitrage international lié à l’investissement. Ces tribunaux privés et opaques permettent aux multinationales de poursuivre devant ces tribunaux les gouvernements qui iraient à l’encontre de leurs intérêts et de réclamer des compensations financières exorbitantes.
Il en va de même des règles du marché unique et du droit de la concurrence qui favorisent le moins disant social et les plus gros acteurs.

  • Devoir de vigilance : imposer le respect des droits humains et environnementaux

Il faut remplacer le droit international existant par un nouveau cadre imposant le respect des impératifs de justice sociale et écologique : à ce jour, aucun texte international contraignant ne garantit le respect des droits humains et de l’environnement par les multinationales ; il n’y a pas vraiment de mécanismes de contrôle et de sanction.
Adoptée en 2017 en France, la loi sur le devoir de vigilance oblige les entreprises de plus de 5000 salariés à publier et à mettre en œuvre un « plan de vigilance » pour prévenir les risques d’atteinte graves aux droits humains et environnementaux.
Depuis 2014, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU est mandaté pour élaborer un outil juridiquement contraignant afin de garantir l’accès à la justice et aux réparations pour les activités des victimes des activités des multinationales. Ce traité fait l’objet de négociations annuelles mais beaucoup de pays s’y opposent.

  • La taxation unitaire des multinationales

L’évasion fiscale est une autre forme d’impunité des multinationales.
Une réforme de la fiscalité internationale a été entérinée par 136 pays en 2021 et comporte deux piliers.
· Le 1er reconnaît le principe d’une taxation d’une partie des bénéfices (25%) dans les pays où les mutinationales (une centaine) réalisent leur activité.
· Le 2nd fixe un taux d’imposition de 15%, insuffisant puisqu’au plan mondial,le taux moyen d’imposition se situe à 22%. Il sagit donc d’un statut fiscal exagéré et injuste.
 
Attac, de nombreuses organisations et des universitaires proposent autre chose (lire P192) qui est une méthode efficace qui permet d’éradiquer l’évasion fiscale en taxant les multinationales dans les pays où elles réalisent leur activité. Elle permet à chaque pays d’appliquer sa propre législation fiscale respectant sa souveraineté.

Deuxième axe : réduire le pouvoir excessif des multinationales et les remettre sous contrôle démocratique

Il faut aller plus loin que mettre des cadres contraignants pour les activités des multinationales.
Un retour à l’intervention publique est indispensable dans trois catégories complémentaires :
· Le démantèlement qui sépare les activités des multinationales,
· Le contrôle public direct,
· Une transformation en profondeur de la gouvernance des entreprises en instaurant un nouveau mode d’organisation démocratique entre salarié.e.s et usager.e.s.

  • Le démantèlement des multinationales

Il permet d’atteindre deux types d’objectifs :
· Mettre fin à des positions dominantes d’entreprises (AT&T en 1982 aux EU). Il est à l’ordre du jour à propos des GAFAM et pourrait être appliqué à TotalEnergies.
· Lutter contre la financiarisation et ses effets pervers (le Glass Steagall Act en 1933 aux EU – séparation des banques de détail et d’investissement). La France a mené une polique identique en 1945 jusqu’en 1982 mais a mis fin à cette séparation

  • Un retour au service public

Il faut libérer les services publics de la domination des marchés et des actionnaires (EDF et SNCF). 1400 expériences de municipalisation dans différents secteurs(eau, éducation, santé …) impliquant 2400 villes dans 58 pays montrent l’exemple : baisse des coûts et tarifs pour les usager.e.s, amélioration des conditions de travail, etc, …
Grenoble, Paris et d’autres villes ont remunicipalisé leur gestion de l’eau ce qui a permis de réduire la mainmise de Suez et Veolia sur le secteur.

  • Une transformation en profondeur de la gouvernance des entreprises

Le partage des pouvoirs en entreprise est essentiel en impliquant l’ensembles des parties prenantes : les apporteurs de capital, les apporteurs de travail et les usager.e.s de l’entreprise en instituant une véritable répartition paritaire, comme les SCIC (Sociétés coopératives d’Intérêt Collectif).

Troisième axe : l’action citoyenne, levier indispensable pour des changements concrets

Face à tous les dangers, la nationalisation ou le contrôle social doivent revenir à l’ordre du jour. Ces mesures doivent faire l’objet d’un véritable contrôle démocratique.
La remise en cause de la dominination des grands groupes sera longue et ne se fera pas sans une prise de conscience et une mobilisation d’ampleur de la part des citoyen.nes.

  • Informer et être informé.e, c’est déjà résister

De nombreux médias indépendants, des lanceurs et lanceuses d’alertes (pour l’évasion fiscale, l’affaire du Médiator, Panama Papers, …), des collectifs, associations, ONG participent aux efforts ; l’Observatoire des multinationales donne de la visibilité à ces informations et produit des rapports sur les dommages écologiques, sociaux et démocratiques documentés.
Attac multiplie les actions pour interpeller le grand public sur les dérives des multinationales.

  • Victoires locales contre géants mondiaux

Un des rôles des collectifs et mouvements sociaux et écologiques et de vaincre la résignation et l’isolement face à ces multinationales. 
Grâce à une mobilisation large, les luttes contre les grands projets inutiles en sont un exemple (Vinci à Notre-Dame des Landes, EuropaCity au Triangle de Gonesse, …)
La solidarité inter-luttes doit maintenir le rapport de force dans la durée : la ZAD à Notre-Dame des Landes a été le fruit de la collaboration entre l’opposition locale et les militant.es altermondialistes de plusieurs pays.
Plus récemment les Soulèvements de la Terre ont joué un rôle clé pour soutenir la résistance contre les « méga-bassines ».

Un autre monde est possible

Il faut réaliser que nous n’avons pas besoin de ces « champions du marché » car des alternatives existent au niveau local avec les circuits courts, les réseaux de solidarité et à une échelle plus large, des coopératives de production et les services publics .
On peut imaginer une société :
· Où les services publics seraient gérés (à nouveau) pour les usager.es plutôt que siphonner de l’argent au service des actionnaires,
· Où des entreprises socialisées répondraient à nos besoins quotidiens et fondamentaux,
· Où le secteur de la culture et du numérique serait affranchi des géants européens et nord-américains …