Pour une politique ouverte à l’égard des migrants-réfugiés

Pour une politique ouverte à l’égard des migrants-réfugiés

François / ATTAC Paris Centre

« Dans les mois qui viennent, je serai beaucoup plus occupée par la situation migratoire que par les questions de la Grèce ou de la stabilité de la zone Euro. » Angela Merkel

1. Des migrants et/ou réfugiés : un exode de plus en plus massif , diversifié et meurtrier
Le terme générique de « migrants » utilisé par l’ensemble des médias pour désigner toutes les sortes d’exilés qui aspirent à une vie meilleure dans nos pays développés, n’est pas innocent ; qui permet d’exclure de leurs droits un grand nombre d’entre eux.

Car au terme de la Convention de Genève définie par l’ONU en 1951, il existe un statut de « réfugiés » politiques pour des individus originaires de pays en guerre ou sous régime totalitaire. Ceux-ci peuvent prétendre à un droit d’asile auprès du pays hôte. Ils sont distingués des « migrants » économiques qui recherchent du travail ou une qualité de vie qui n’existe pas dans leurs pays d’origine et qui n’ont ni statut, ni droit. Dans la réalité, cette distinction est le plus souvent difficile à établir : la guerre civile interethnique ou religieuse est-elle le fruit de la misère ou est-ce le contraire ? (Cf Boko Aram au Nigeria).
Comment désignerons nous les victimes du changement climatique dont la vague migratoire a déjà pris forme (1) ? Migrants ou réfugiés climatiques ? Et le sort final des uns et des autres les rapproche encore.
Les migrants entrés illégalement sur le territoire d’une terre promise quelconque, sont condamnés à devenir des clandestins sans papiers, taillables et corvéables à merci. Destin qu’ils partagerons avec les refusés du droits d’asile (85% des demandeurs en France) victimes d’une immigration choisie qui ne dit pas son nom (2).

A cette liste de populations déshumanisées, il faut ajouter le groupe le plus important et de loin : les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, des zones rurales désertifiées aux bidonvilles urbains misérables.
Les déplacements de populations Sud/Sud (en y incluant les pays voisins) sont bien plus importants que ceux qui nous concernent directement. Mais les uns et les autres sont liés : les bidonvilles comme dernière étape vers l’Europe.
Pour prendre conscience de l’ampleur du problème posé, ils nous faut maintenant se référer à quelques chiffres officiels (3) :

  • 60 millions de personnes déplacées dans le monde dont 20 millions de réfugiés
  • 2 millions de demandeurs d’asile
  • 38 millions de déplacés dans leur pays
  • 280 000 entrées illégales en Europe détectées par Frontex en 2014
  • (1er semestre 2015 : 340 000)
  • L’Allemagne accueille 40% des demandeurs d’asile et prévoie 800 000 demandes d’ici à la
    fin de l’année
  • Depuis 2000, 31 000 personnes ont péri en tentant de rejoindre l’Europe.

Mais le problème n’a pas seulement changé de dimension, il est aussi d’une toute autre nature qu’auparavant.
Jusqu’aux années 90 la France ne recevait que des migrants de ses ex-colonies : Maghreb et Afrique sub-saharienne. Les migrants sont francophones et ils étaient reçus (et subventionnés) par des compatriotes arrivés pendant les 30 « Glorieuses ». L’État français n’avait qu’à fermer les yeux.
Aujourd’hui, « ils » viennent du Moyen-Orient ou de la Corne de l’Afrique, ne parlent pas un mot de français et sont, le plus souvent, dans un dénuement total. Que faut-il en faire ?
Et, bien sûr, les réponses diffèrent selon l’engagement politique de ceux qui les formulent, sans qu’aucunes ne soient satisfaisantes.

2. D’une droite crispée dans un repli identitaire à une gauche prisonnière de ses contradictions

Par « Droite », nous entendons l’ensemble des partis de gouvernement, sous l’aiguillon d’une extrême-droite qui ne cesse de se développer en Europe en agitant l’épouvantail de l’invasion migratoire. Le fondement idéologique des politiques de droite est à rechercher beaucoup plus dans la crainte d’une perte de l’identité nationale que dans celle des conséquences économiques des ces déplacements de populations. Cette crainte peut être formulée de deux manières :

  • Défense des valeurs chrétiennes comme bases de notre civilisation.
  • Défense d’une laïcité, conçue comme un sport de combat anti-religieux.
    Les deux positions paraissent contradictoires.
    En fait elles se rejoignent dans une islamophobie qu’exacerbe la publicité médiatique faite autour d’une infime minorité « djihadiste » présente parmi nous : l’ennemi est dans nos murs parmi les migrants et il y faut de plus en plus de contrôles quitte à éroder nos institutions démocratiques.
    Autre aspect non négligeable de la propagande de droite : évoquer la lutte contre les passeurs pour faire passer la guerre contre les immigrés. Dés lors, l’action des gouvernements devient un combat humanitaire !

Mais qu’en est-il des mesures concrètes prises par les instances européennes et les gouvernements nationaux ? A première vue, on construit ensemble mais aussi chacun pour soi une Europe forteresse à la militarisation de plus en plus sophistiquée et à la privatisation grandissante qui rapporte gros à quelques entreprises géantes et coûte très chère aux états. Chacun de ceux-ci, à leur tour, dressent des murs (enclaves espagnoles au Maroc, entre la Grèce et la Turquie, en Bulgarie, en
Hongrie...) pour rejeter les migrants chez leurs voisins (4).
Il n’est pas vraisemblable que les responsables puissent croire en l’efficacité de leur matériel face à des individus prêts au sacrifice de leur vie. Mais la véritable efficacité est ailleurs : il s’agit de faire bouger et d’encaserner dans une délocalisation sur place une main d’œuvre que la précarité de sa condition ou la clandestinité réduira à merci. Avec, en prime, deux bénéfices politiques : celui de trouver des boucs émissaires comme responsables des conséquences sociales de la crise ; et celui d’instituer le contrôle des étrangers avant d’en venir à celui des « nationaux ».

Regardons maintenant du côté de la seule véritable opposition : une gauche radicale aux contours quelques peu flous. Surprise ! La gauche de la gauche, héritière d’une révolution qui avait supprimé l’esclavage et ennemi déclaré de la mondialisation néo-libérale, semble se désintéresser de la question ou du moins d’en faire le minimum sur le sujet : ses réactions se limitent la plupart du temps à demander un (meilleur) accueil pour ceux qui sont là. On va parfois jusqu’à la dénonciation des causes de la situation ; on ne dessine jamais de perspectives à long terme, de solution globale du problème. Il y a plusieurs raisons à cela :

  • Des raisons idéologiques :
    « Un économisme » qui veut ignorer les enjeux identitaires et donc le fond du problème
    « Un souverainisme » qui voit dans le retour à l’état nation le recours suprême et répugne de ce fait à l’ouverture des frontières ; d’autant que celle-ci, pour être viable ne peut s’appliquer à un seul pays.
  • Une raison économique :
    La peur qu’une arrivée massive de migrants ne provoque un « dumping » social au détriment des « nationaux ».
  • Une raison politique :
    10 % seulement des français se disent prêts à accueillir plus d’étrangers (21 % parmi les sympathisants de gauche). La gamelle électorale assurée ! Alors on préfère ne pas combattre sur le terrain de l’adversaire... Et pourtant...

3. De la liberté de circulation et d’installation comme moyen de construire une autre Europe

Restaurer la liberté de circulation et d’installation sur et dans les frontières de l’Europe,
est-ce possible ?
Le premier ministre du Royaume-Uni, D. Cameron, parle de « nuées » de migrants comme s’il s’agissait de sauterelles ; et l’accroissement numérique des exilés ainsi que leur changement de nature (pour faire simple : de plus en plus de réfugiés par rapport aux migrants) autoriserait ce genre d’images. Mais il convient de mettre les chiffres des migrations (60 millions dans le monde dont 38 dans leurs pays d’origine) en corrélation avec celui de la population européenne de 740 millions d’individus.
Assiste-t-on à des flux migratoires jamais vus en Europe ? « On reste sur des chiffres comparables à ceux des guerres liées à l’éclatement de la Yougoslavie dans les années 90 » (5).
Autre comparaison révélatrice : Israël a enregistré une arrivée massive de juifs russophones après la chute de l’Union Soviétique ; ce qui a fait croître la population active du pays de 15 % en 7 ans, sans que pour autant, son économie ne s’effondre.
A l’échelle européenne cela reviendrait à accueillir 50 millions d’étrangers en age de travailler (6).
Ouvertes, les portes servent autant à sortir qu’à rentrer. Tandis que fermées, elles bloquent tout retour. Si le droit à la mobilité était acquis, on assisterait à un va et vient d’une part importante des migrants parce qu’ ils sont attachés, comme nous, à leurs racines ; mais aussi parce-que les sommes gagnées dans les pays riches représente un pouvoir d’achat supérieur quand elles sont dépensées dans les pays pauvres (7). L’exemple des mexicains à la frontière sud des États-Unis l’atteste : les efforts des autorités US pour boucler la frontière du Rio Grande à partir des années 60/70 ont
entraîné un mouvement d’implantation permanente qu’on se résout aujourd’hui à régulariser.... tout en renforçant les murs ! (8)
Enfin des études menées pare l’OCDE en 2013 montrent que les migrants sont des contributeurs nets pour les finances de leur pays d’accueil car, en général, jeunes et en bonne santé, ils cotisent plus qu’ils ne reçoivent et ont peu de chance de percevoir des droits à la retraite en cas de retour au pays d’origine.
C’est pourquoi, on ne peut comprendre le vrai sens de la politique de l’Europe forteresse que dans la promotion d’une délocalisation sur place qui institue, précaires ou clandestins, des citoyens de seconde zone, un apartheid qui ne dit pas son nom.
Si l’on s’y refuse, la liberté de circulation et d’installation n’apparaît souhaitable et même nécessaire que dans le projet d’un autre système économique, d’une autre Europe. Le néo-libéralisme a engendré des inégalités sociales qui se concrétisent dans des cités-ghettos où s’entassent les plus pauvres pour la plupart d’origine étrangère ; et d’autre part des inégalités régionales avec des territoires réduits en friches industrielles et d’autres devenus des déserts ruraux qui retournent à la
jungle.
Par ailleurs, le développement d’une agriculture intensive provoque la pollution des sols et des nappes phréatiques. Repeupler les campagnes, promouvoir une agriculture écologique, réindustrialiser au besoin, nécessite une main d’œuvre nombreuse, jeune et dynamique que nos populations vieillissantes d’Europe sont incapables de fournir.

Associés aux « indigènes », les migrants et réfugiés seraient employés à réparer les dégâts provoqués par la croissance sauvage de l’économie de marché. C’est leur permettre à long terme une véritable intégration. C’est aussi leur ouvrir l’ensemble des territoires en les sortant des ghettos de banlieue où prospèrent les communautarismes. C’est encore favoriser les contacts individuels et professionnels qui, seuls, peuvent dissiper les fantasmes racistes.

Il est vital, pour la gauche radicale, d’intégrer à son programme éco-socialiste, cette dimension humaine. Elle affirmera ainsi qu’un autre monde cosmopolite, libre, égal et fraternel est possible.

(1) : Cf article du « Monde » du 23/24 août 2015
(2) : Si l’Allemagne se montre beaucoup plus « généreuse » en matière de droit d’asile (40% des demandes acceptées) c’est, en partie parce qu’elle reçoit essentiellement des syriens en majorité issus des classe moyennes et susceptibles d’offrir un plus en matière économique.
(3) : Chiffres tirés des dossiers spéciaux : « Libération » 21 août 2015 « Courrier International » n° 1289
(4) : Des migrants en provenance de Lampadusa et munis par les autorités italiennes d’une carte de séjour temporaire, ont été refoulés à la frontière de Vintimille par nos CRS qui les ont renvoyés en Italie.
(5) : Cf interview de François Gémenne dans « Libération » du 21/08/15
(6) : Philippe Legrain pour le « New York Times » du 06/05/15
(7) : « Les migrants qui rentrent au pays, et ils sont nombreux, rapportent dans leurs valises le savoir acquis dans les pays riches. Dans les 4 ans qui suivent leur retour, la moitié des migrants turcs rentrant d’Allemagne fondent leur propre entreprise grâce à l’argent économisé à l’étranger » Philippe Legrain : « Immigrants, un bien nécessaire » 2009 édition : Little Brown
(8) : Cf (6)