Projet de loi relatif aux droits des étrangers en France

Analyse du projet de loi présentée par Martine lors de la réunion du comité Attac Paris Centre le 7 novembre 2015.

ANALYSE DU PROJET DE LOI RELATIF AUX DROITS DES ETRANGERS EN FRANCE


Projet de loi adopté par l’Assemblée nationale le 23 juil. 2015, adopté par le Sénat le 13 oct. 2015, examiné actuellement en Commission paritaire.
Le texte sera voté au mois de décembre et des modifications pourront être apportées aux décisions énoncées ci-dessous.

Analyse proposée d’après le texte de La Cimade de septembre 2015.

POLITIQUE DES VISAS ET ACCES A UN TITRE DE SEJOUR

  • 1. Création d’une carte pluri-annuelle de 4 ans soumise à la discrétion du Préfet.

Elle ne concernera qu’un nombre limité de personnes tant les conditions d’accès sont complexes et soumises à la discrétion du Préfet.
Ne bénéficieront pas de cette carte :
Les personnes qui n’auront pas fait preuve de sérieux dans les formations du « Nouveau parcours personnalisé » fixant le parcours d’accueil.
Les malades et les étudiants (la durée du séjour sera fixée par le Préfet).
Les personnes victimes de la traite des êtres humains.
Les personnes bénéficiant d’une ordonnance de protection en raison de mariage forcé pourront avoir une carte de séjour d’un an et les victimes de violence conjugale verront le renouvellement de leur carte accordé de plein droit (mariage seulement).
Carte de 2 ans pour les parents français, conjoints de français et titulaires d’une carte en raison de leurs liens personnels et familiaux, au motif de la lutte contre les fraudes.
Les travailleurs sans-papiers. Le nombre de titres de séjour mention « salarié » ou « travailleur temporaire » d’un an ne cesse de diminuer (10.000 en 2010, 5.000 en 2012). L’essentiel des cartes est constitué par les changements de statut des étudiants.
Une carte de 4 ans « Passeport talent » sera accordée aux scientifiques, chercheurs, entrepreneurs etc. (Immigration choisie).
Les personnes ayant vécu 10 ans ou plus en France. Actuellement la notion de liens personnels et familiaux est prise en compte de façon très restrictive par les Préfectures.

Projet de restaurer une carte de résident de plein droit sous certaines conditions (parents d’enfants français ou conjoints d’enfants français après 5 ans de séjour régulier mais avec conditions de ressources SMIC et maîtrise du français à un niveau supérieur).
Il est à noter que la Directive Retour préconisant l’attribution d’une carte de résident de plein droit à partir de 5 ans de présence régulière n’est pas prise en compte en France puisque cette carte est attribuée à la discrétion du Préfet.

Taxes inchangées :
600 euros sont exigés pour le renouvellement des titres de séjour. 50 euros sont à déposer lors de la demande et ne sont pas remboursés même si la demande est refusée.

  • 2. Pouvoirs de contrôle démesuré des Préfets par rapport aux libertés fondamentales de toute personne.

Les personnes devront se tenir prêtes à répondre aux convocations préfectorales et justifier qu’elles continuent à remplir les conditions qui leur ont permis d’obtenir la carte. Leur titre de séjour leur sera retiré si elles ne répondent pas à ces injonctions.

Les Préfets pourront exiger des informations auprès des hôpitaux (sauf secret médical), écoles, universités, banques, fournisseurs d’énergie.

Cette carte pluri-annuelle laissera de côté les plus précaires, justifiera les pouvoirs de contrôle des Préfets et laissera aux oubliettes la carte de Résident. La carte de Résident avait été votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 17 juillet 1984. C’était un titre de séjour et de travail valable 10 ans et renouvelée automatiquement.

On ne doit pas poser l’intégration comme un préalable à l’obtention d’un titre de séjour mais c’est la stabilité du séjour qui doit être considéré comme un facteur d’intégration.

  • Les malades étrangers

L’effectivité de l’accès aux soins dans le pays d’origine sera prise en compte.
L’effectivité des soins et la gravité de la pathologie seront évaluées par les médecins de l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration) sous le contrôle du Ministère de l’Intérieur au lieu de l’être comme auparavant par les médecins des Agences régionales de santé.
La durée de la carte de séjour, déterminée par le Préfet, sera fonction de la durée prévisible des soins.

ENFERMEMENT, CONTROLE ET EXPULSIONS

Le projet de loi ne remet pas en cause une politique centrée sur l’enfermement, l’expulsion et la réduction des droits.

  • La rétention

La durée maximale de la rétention passée au fil des réformes de 7 à 45 jours n’est pas remise en cause alors que l’on sait que la durée de l’enfermement au-delà de 10 jours n’entraîne pas d’expulsions supplémentaires.
13 % d’éloignement au bout de 5 jours
2% entre 10 j et 15 j
1% entre 25 j et 45 j

Le nombre de personnes enfermées en rétention est en augmentation :
2012 : 43.746
2014 : 49.537

Les enfants sont toujours enfermés en centres de Rétention malgré les promesses électorales de François Hollande :
2010 : 95 enfants enfermés en Métropole et 3.512 à Mayotte.
2014 : 110 en métropole et 5.892 à Mayotte.

  • Assignation à résidence

Elle devra primer sur la rétention mais :
Les critères sont inchangés (garanties de représentation, absence de risques de fuite).
L’assignation faite en même temps que l’annonce de la mesure d’éloignement rend plus difficile l’accès aux avocats, aux associations et font que les recours plus rares et les délais dépassés.
Situation de précarité en raison du refus de droit au travail.
Un enchaînement de cycles entre le passage de l’assignation à la rétention sera possible.
Son objectif, plus que de répondre à des préoccupations humanitaires, serait de contrôler ceux qui n’étaient pas soumis à la rétention (demandeurs d’asile Dublin, sortants de rétention, interdiction de circuler en France).

  • Accès au juge

L’accès au juge de la Liberté et de la Détention, JLD (ou juge judiciaire) est rétabli au 2ème jour de la détention alors qu’il avait été reculé au 5ème jour en 2011. L’intervention de ce juge qui contrôle la légalité de toutes les étapes de l’interpellation au placement en rétention permet de libérer un certain nombre de personnes avant leur expulsion.
En 2014, en métropole 45,2% des personnes ont été éloignées avant l’intervention du JLD, 74,1% dans le CRA de Nice, 99% en outre-mer.

Après les 2 premiers jours de rétention décidés par le préfet, le JLD prolongerait l’enfermement pour une durée de 28 jours (au lieu de 20 jours actuellement), puis pour 15 jours supplémentaires. Cette disposition consacrerait la plus longue période de privation de liberté sans contrôle judiciaire obligatoire jamais votée à l’encontre de personnes étrangères.

  • Expulsions sans délai et extension des mesures de bannissement

15 jours au lieu de 30 jours pour les personnes entrées illégalement en France ou n’ayant pas demandé un titre de séjour et déboutés du droit d’asile. Pour les refus de séjour le délai de 30 jours serait maintenu.

Ordre de Quitter le Territoire Français sans délai (48 H) si le Préfet estime que la personne ne présente pas assez de garanties ou risque de prendre la fuite. Une Interdiction de Retour sur le Territoire Français (IRTF) ou en Europe de 3 ans accompagnera cette mesure.
IRTF de 3 ans pour les personnes ayant bénéficié d’un délai de départ sans l’avoir respecté.

  • Création d’une Interdiction Temporaire de circuler sur le territoire français de 3 ans pour les européens (Roms).

Les personnes étrangères en prison sont exclues de la réforme

  • Restriction de la possibilité de se défendre et d’avoir accès au juge : délai de 48h pour déposer un recours. Un juge unique statuera dans les 48h.

Outre-mer : toujours un régime spécial injustifié et illégal

Les personnes étrangères d’outre-mer ont moins de droits que celles de métropole.
Le projet de loi maintient cet infra-droit pour pouvoir expulser à tour de bras sans être gênés par la justice. Le recours ne suspend pas la mesure d’expulsion et permet qu’une personne soit expulsée alors que son recours n’a pas encore été étudié par un juge. Le juge judiciaire n’est sollicité qu’au 5 ème jour de rétention en CRA et les renvois sont organisés en moins de 48H.
Le projet de loi crée un référé liberté qui sera pratiquement impossible dans les faits.

Mayotte : une exception dans l’exception

Dérogations à celles appliquées dans le reste de l’outre-mer :
Titres de séjour invalides en France.
Conditions supplémentaires pour obtenir certaines cartes de séjour.
Conditions indignes d’enfermement en rétention.
En 2013, 1512 enfants ont été enfermés puis expulsés sans même la compagnie d’un parent ou la possibilité de se défendre devant un juge.

  • Pouvoirs des préfets accrus pour refuser un titre de séjour et réaliser une expulsion

Interpellations à domicile sur autorisation d’un juge.
Pouvoir d’organiser des rendez-vous dans les consulats pour obtenir les documents nécessaires aux expulsions et escorter de force les personnes qui ne souhaitent pas s’y rendre.

  • Pénalisation renforcée et disproportionnée

Refus de se soumettre à une prise de photos ou d’empreintes digitales puni d’un an d’emprisonnement et 3.750 euros d’amende.

Utilisation d’un document d’identité d’un tiers punie de 5 ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende. (pour un national : 1 an d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende pour usurpation d’identité.

Ces dispositions sont contraires à la Directive Retour : la jurisprudence du droit européen a mis terme à la pénalisation d’entrée irrégulière.

Conclusion

Les lignes de force du projet de Loi :
Un accès au séjour plus limité et insécurisé.
Un contrôle renforcé des pouvoirs du préfet et de la police.
Une facilitation des expulsions.
Une pénalisation renforcée

Martine B. le 7 novembre 2015

Pour plus d’informations :
Dossier exhaustif du GISTI : Projet de réforme du droit des étrangers en France www.gisti.org