La crise et le politique

Ce texte a été présenté lors de la réunion du Comité Attac Paris Centre le 14 février 2017

Il est de bon aloi d’évoquer désormais -au coté de la crise économique des économies libérales - la réalité d’une crise du politique.
Véritable mantra des commentaires, elle se révèlerait dans les soit disant surprises des derniers votes et consultations des« démocraties occidentales » : élection de D.Trump aux dernières élections aux USA, vote du Brexit en Grande Bretagne ou plus anciennement les mouvements des indignés en Espagne ou en Grèce.
Le moment des prochaines élections présidentielles françaises favorise là aussi la vigueur de ce thème : dans l’ensemble des programmes – à ce jour présentés – la question de la crise des institutions et /ou de la représentation politique est désormais un point de passage obligé.
Faut-il pour autant en déduire que ce thème – récurrent – est défini, circonscrit et s’accompagne de réflexions ou propositions argumentées ?
L’un des paradoxes actuels est que le traitement, la réflexion sur ce sujet semblent inversement proportionnels à leur évocation.
Plusieurs raisons y contribuent :
 La difficulté à définir ce que l’on entend par crise du politique, ses multiples composantes,
 La difficulté à définir ce que l’on préconise pour y remédier. Ces deux facteurs s’alimentant conjointement,
 La difficulté de distancier, séparer le moment de la consultation électorale majeure – l’élection présidentielle – et le traitement de cette crise, mal définie,
 L’ambiguïté à lier crise économique et crise politique : difficulté à déterminer les interactions réelles entre ces deux phénomènes, qui dans leur expression disposent de leurs propres causalité.

I. Crise économique et crise du politique
Le mouvement Attac se fonde sur une approche qui privilégie les luttes et actions orientées sur le primat de l’économique : mouvement contre les dysfonctionnement du système économique libéral, dénonciation des dérives d’une intégration européenne organisée selon dans une approche essentiellement libérale, mouvements contre les inégalités socio-économiques et remise en question du pouvoir financier et économique.
Certes, la remise en cause des mécanismes du pouvoir économique est là, présente dans l’ensemble des actions prônées et portées par le mouvement ATTAC. Elle s’ordonne autour de la dénonciation des dysfonctionnements du système1 actuel, défini et structuré selon des mécanismes économiques capitalistiques.
C’est la richesse et l’identité de ce mouvement de résistance et de protestation de pister et refuser les dysfonctionnements et les dommages d’une économie inégalitaire et dévastatrice.
Or, à la réflexion, la seule priorité des actions à l’endroit des dérives économiques ne peut s’affirmer comme suffisante et englobante pour qualifier la situation d’urgence et de dislocation que nous connaissons. Crise économique et crise du politique sont indéniablement liées :
L’une et l’autre révèlent des mécanismes de captation des pouvoirs, des phénomènes d’exclusion. L’une et l’autre provoquent éloignement, rejet et désespérance au sein d’une société émiettée, parcellisée et fracturée.

II. Pourquoi traiter aussi de la crise du politique ?
Le refrain qui accompagne le discours politique est celui de l’imperfection du système représentatif, le taux d’abstention, l’éloignement de la classe politique par rapport aux citoyens – électeurs. On invoque quelques solutions éparses et non structurelles : démocratie participative, recours à un tirage au sort, réforme des institutions.
On le voit, cette simple énumération témoigne de la complexité à pouvoir – dans un mouvement synoptique – comprendre ce qui se joue dans la notion de crise du politique : chacune des assertions s’inscrit comme un des éléments constitutifs de la crise du politique, chacune d’ente elles ne peut contribuer à définir que partiellement ce qui ressort de la crise du politique.
Le mouvement « nuit debout » est à cet égard un bon exemple d’une tentative inachevée : le propos était une démarche participative visant à définir l’ensemble des dysfonctionnements actuels du politique. Le mouvement a pris fin avant même que les discussions sur la définition et la recherche de solutions aient abouti. L’approche demeure cependant innovante, puisque le thème du politique et de ses altérations était alors débattu dans ses différentes composantes. Cette exigence-là est à souligner, à l’heure des refrains sur la « crise politique »...
Puisque qu’en fin de compte, ce qui fonde le politique est ce qui assure ou contribue à la cohésion de la société civile, ce qui renforce et réifie le sentiment d’appartenance à une communauté et à ses modes d’organisation. Ce qui est en jeu, c’est l’exercice du Pouvoir : pouvoir de désignation, de délégation, d’expression mais aussi -et de façon aussi forte et indispensable -pouvoir de sanction, d’expression et d’action.
Dans un contexte de pouvoir qui capte, divise, ostracise et illégitime, le politique et ses enjeux doivent être aussi une composante, un enjeu de toute démarche d’engagement militant. Il n’est qu’à énoncer les mécanismes de repli et d’auto-défense de la classe politique à ce sujet : suppression de quelques articles de la Constitution, suppression illusoire du clivage idéologique droite gauche, évocation de mesures technocratiques visant à offrir l’apparence de contre-pouvoirs (au niveau local et national). Ce rappel souligne, si besoin était, qu’il est là encore question de captation et pas seulement de profits financiers …
Ces tentatives – réussies – de réduction des contours de ce débat appellent- en réaction salutaire -une réflexion urgente, voire une résistance militante pour dénouer les faux semblants et les artifices des fausses solutions. Là est aussi l’urgence d’une mobilisation citoyenne...

III- Que faire ? Comment faire ?

Que faire ?
Convaincus de la nécessité d’employer des outils politiques pour mettre en chantier les mesures suggérées par ATTAC afin de "sortir de la crise", nous sommes néanmoins conscients des difficultés à affronter pour y parvenir.
Ces difficultés sont de trois ordres :
l’intérêt des acteurs en place dans le système actuel à ce que rien ne bouge,
la réticence croissante à utiliser les institutions actuelles, fût-ce pour les réformer, qu’expriment à la fois les individus et les mouvements (indignés, occupy wall street, nuit debout etc) aspirant à un vrai changement,
la défiance d’une partie de plus en plus grande de la population à l’égard de la vie politique ou plus précisément à l’égard du personnel politique et des institutions.
Un gouffre sépare aujourd’hui ceux qui tiennent la barre du navire et les passagers, de plus en plus nombreux, qui souhaitent ou exigent un changement de cap sans pour autant vouloir prendre les moyens d’y parvenir. L’existence et l’élargissement de ce gouffre, en France comme dans bien d’autres pays, rendent de plus en plus improbable l’accession au pouvoir d’élus décidés à prendre des routes vraiment nouvelles. Une série d’évènements récents, dont le plus significatif est l’élection de D. Trump aux Etats Unis, illustre cette hypothèse. En France, la confusion et le chaos qu’ont créés les candidats se disant de gauche enlèvent probablement tout espoir de voir l’un d’eux accéder à la présidence de la république.
Cette conjoncture, assez récente, doit-elle être prise en compte dans la stratégie d’ATTAC ?
C’est la première question que nous aimerions porter à la discussion. Elle nous paraît importante : à quoi bon, en effet, élaborer des idées, aussi pertinentes soient-elles, s’il est évident qu’on n’aura pas les moyens de les mettre en œuvre ?
L’action politique ne peut se faire hors-sol. Depuis longtemps, ATTAC a cherché à agir, qu’il s’agisse de contestation ou de proposition, sur un monde politique représentatif de la société qu’il dirigeait. Il l’est de moins en moins et toute action le prenant pour seul objet risque, dans le contexte actuel, d’être vidée de son sens.
Si, comme nous le souhaitons, la réponse à cette première question est positive, il faut, bien sûr, définir les moyens à utiliser.

Comment faire ? Quelques pistes ..
Il nous semble que cette réflexion ne peut partir que du constat de bon sens suivant : il faut utiliser les institutions actuelles, aussi critiquables soient-elles, pour porter au pouvoir les dirigeants dont nous avons besoin. Que peut faire ATTAC pour y parvenir, dans le marasme français d’aujourd’hui ? Il est peut-être trop tard pour inverser le cours prévisible des prochaines élections mais ce n’est pas certain : aux USA, au Royaume Uni, les récentes consultations populaires n’ont pas abouti au résultat annoncé. On peut réfléchir à deux types d’actions :
sur les candidats : ATTAC peut, comme elle l’a fait à de nombreuses reprises interpeller les candidats, critiquer ou dénoncer leur programme, leur demander de s’engager sur des sujets importants. C’est certainement utile mais on sait ce que valent les promesses et les engagements de campagne…
sur l’opinion publique : Il nous semble important qu’ATTAC, si elle ne veut pas voir son audience se réduire progressivement à ses seuls militants, essaie de s’adresser directement à cette fraction de plus en plus importante de la population qui renonce à toute participation à la politique institutionnelle ou qui est aspirée par le front national. C’est le vote de cette partie de l’électorat qui déterminera le résultat des luttes menées par ATTAC. Dans cette entreprise, elle devra sans doute réfléchir à des méthodes de communication, de pédagogie, différentes ou complémentaires de celles qu’elle emploie plus habituellement avec ses militants. Nous ne pouvons, dans ces quelques lignes, que suggérer quelques pistes de réflexion. Il faudra sans doute chercher à mobiliser deux groupes de population :

  • 1- Le premier groupe, le plus nombreux, est celui des déçus de la politique, qui n’attendent plus rien de la participation aux institutions et qui ont décidé de ne plus voter ou de voter FN. Ceux qui le composent ressentent que, quels que soient les programmes et les promesses faits par ceux - de droite ou de gauche- qui ont exercé le pouvoir ces dernières années, leur voix n’est pas entendue. C’est ce désespoir qu’ATTAC doit prendre en compte. Peut-être, d’abord, en devenant leur porte-parole dans les media, dans les réseaux sociaux, en disant la rage qu’ils ressentent mais n’ont plus les moyens d’exprimer. Peut-être, aussi, en dénonçant le comportement de la caste politique.
    S’il est illusoire à quelques mois de l’élection présidentielle d’organiser une nouvelle campagne exprimant l’exigence légitime du "peuple de gauche" à être enfin représenté par un candidat unique, on ne peut rester sans voix ni sans réaction. Il faut pouvoir rendre un écho plus fort de cette désespérance, dès à présent...
    A plus long terme, ATTAC pourrait essayer d’élaborer une pédagogie du politique spécifiquement destinée à tous ces déçus : c’est ce que fait depuis des années, avec le succès que l’on sait, le front national. Ce qu’il fait pour le pire, ne peut-on essayer de le faire pour le meilleur ?
  • 2-Le second regroupe ceux qui aspirent à instaurer de nouvelles formes de participation à la vie politique mais qui, refusant de participer à des institutions qu’ils rejettent, espèrent que la multiplication d’actions "horizontales" finira par venir à bout du système actuel.
    Ce groupe -allergique à toute organisation "verticale" du pouvoir- associe une bonne partie de ceux qui, dans notre société, aspirent à un vrai changement politique.
    Ce sont eux qui élaborent probablement les germes de la renaissance du politique dans notre société. Ne peut-on cependant, dans les échanges qu’il faut entretenir avec eux, les persuader que, pour introduire dans la société de nouvelles pratiques politiques il faut nécessairement utiliser les institutions actuelles ?

C’est pourquoi, ces quelques voies possibles, nous souhaitons les voir discutées, enrichies et prolongées au sein d’Attac …

Yves et Isabelle

Voir le débat dans le CR de la réunion du Comité Attac Paris Centre le 14 février 2017