L’Etat d’abjection

par Jean-François Bayart
le 26/01/2018

A peine sortis de l’état d’exception, nous nous installons dans l’état d’abjection.

La bouche mielleuse, nous parlons de l’impérieux devoir d’asile, mais dans les faits nous traquons les migrants et les réfugiés autour de nos gares, dans les centres d’hébergement, à nos frontières, et jusqu’en mer. En Libye, au Soudan, en Erythrée, nous sommes prêts à signer des accords infâmes avec des régimes infâmes. Nous imposons à nos alliés africains de faire le sale travail de refoulement à notre place.

Nous stigmatisons l’immigration clandestine, mais rendons impossible l’immigration légale dont l’Europe a besoin, économiquement et démographiquement, et ce pour le plus grand bénéfice des passeurs contre lesquels nous prétendons lutter, et le plus grand danger des émigrés que nous assurons vouloir défendre de ces derniers. Nous nous alarmons du flot des réfugiés que nos bombardements et nos interventions militaires en Afghanistan, en Irak et en Syrie ont fait grossir. Dans nos villes, nous détruisons de pauvres biens de pauvres hères, nous assoiffons, nous privons d’hygiène et de sommeil, nous condamnons au froid et à l’errance, nous enfermons. Calais est devenu le visage hideux de la République.

De même que l’état d’exception a institué l’Etat d’exception, par l’inscription dans le domaine de la loi ordinaire de plusieurs de ses dispositions temporaires, l’état d’abjection nous conduira à l’Etat d’abjection, par acceptation générale de l’inhumanité sur laquelle il repose...

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