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La stratégie du choc de Naomi Klein

présenté par René Rochange
Publié le lundi 17 mai 2010.


La « crise grecque »est une aubaine pour le gouvernement français...la panique créée par les attaques spéculatives contre l’euro ont bien effrayé, donc bien conditionné l’opinion pour qu’elle accepte les coupes qui sont annoncées ...

La strat ?gie du choc

La ? crise grecque ?est une aubaine pour le gouvernement fran ?ais, et Fran ?ois Fillon a saut ? illico sur cette occasion pour annoncer des mesures dont il r ?vait depuis longtemps (il faudrait dire : dont ils r ?vaient depuis longtemps, l’UMP, le MEDEF, les financiers de tout poil ...). Ces mesures, il n’aurait pas os ? les proposer il y a deux mois, mais la panique cr ??e par les attaques sp ?culatives contre l’euro ont bien effray ?, donc bien conditionn ? l’opinion pour qu’elle accepte les coupes qui sont annonc ?es : on est pass ? ? la vitesse sup ?rieure !

Cette strat ?gie, Naomi Klein l’a parfaitement d ?crite dans son livre ? La strat ?gie du choc ?, sous-titr ? ?La mont ?e d’un capitalisme du d ?sastre ?, sorti en 2007.
Elle commence par le r ?cit d’ ?exp ?riences ? (financ ?es un temps par la CIA) men ?es dans les ann ?es 50 par un psychiatre de Chicago, qui avait imagin ? de transformer profond ?ment le psychisme de patients en passant par une ?tape de ? table rase ?, de ? page blanche ?, ? partir de laquelle on pourrait introduire de nouvelles pens ?es dans leur esprit. Pour cela, des s ?ances d’ ?lectrochocs, l’emploi de substances chimiques, puis des temps de privations sensorielles (yeux band ?s, oreilles bouch ?es, doigts couverts de tubes de carton pour ?liminer le sens du toucher). Ces traitements aboutissaient en effet ? une perte de rep ?res (notion du temps, conscience de son corps, jusqu’ ? son identit ? …), permettant l’int ?gration des messages d ?cid ?s par le psychiatre.

Ces exp ?riences ont ?t ? reprises, utilis ?es sciemment, par les dictatures, et, r ?cemment, ? Guantanamo et Abou Ghraib, cela ne surprendra personne, mais elles ne sont pas sans lien avec des strat ?gies politico- ?conomiques men ?es par les penseurs lib ?raux.

C’est aussi ? Chicago que na ?tra l’ ?cole qui fournira les chantres de l’ultra-lib ?ralisme : ? sa t ?te, Milton Friedman bient ?t second ? par Friedrich von Hayek. Avec eux, partout dans le monde, les d ?cideurs n ?o-lib ?raux apprendront ? utiliser les situations de catastrophes pour imposer leurs solutions, toujours les m ?mes : privatisation de secteurs entiers de l’ ?conomie, r ?duction des budgets sociaux, d ?r ?gulations …

En 1965, la prise de pouvoir de Suharto, en Indon ?sie, avec l’aide de la CIA, et pay ?e de plus de 500 000 morts, permit ? des ?conomistes US, install ?s carr ?ment au gouvernement indon ?sien, d’offrir aux multinationales les tr ?s grandes richesses mini ?res et ?nerg ?tiques (p ?trole) du pays.

M ?me sc ?nario au Chili et en Uruguay en 73, en Argentine en 76 : putsch militaire puissamment soutenu par les Etats-Unis, arrestations, tortures, assassinats... La population suffisamment terroris ?e, en ?tat de sid ?ration, les ? Chicago boys ? comme on finit par appeler les disciples de Friedman, peuvent imposer les mesures habituelles : lib ?ration des prix, ? assouplissement ? du droit du travail, baisse des salaires, r ?duction des d ?penses de l’Etat, et ?videmment privatisation de tous les secteurs ? juteux ?.

En 82, pour Mme Thatcher, au plus mal dans les sondages, la guerre des Malouines va offrir une occasion inesp ?r ?e. Attisant le sentiment patriotique, et nantie d’une nouvelle image de ? dame de fer ?, elle va pouvoir briser la gr ?ve des mineurs en 85 et profiter du d ?sarroi des syndiqu ?s pour prendre le virage politique, impossible jusque l ?.

Les crises mises ? profit (c’est le cas de le dire) par les int ?gristes lib ?raux peuvent ?tre, d ?j ?, des crises ?conomiques.

En 85, la Bolivie conna ?t une hyperinflation qui menace gravement l’ ?conomie du pays, et met la population dans un ?tat d’ins ?curit ? totale. Le gouvernement nouvellement ?lu, conseill ? par Jeffrey Sachs, exp ?die en Amazonie 200 leaders syndicaux, le temps de faire voter le ? decreto supremo ? rassemblant 220 lois faisant basculer le pays dans le lib ?ralisme ! Le coup de massue qui finit d’anesth ?sier les Boliviens ! Comme l’avait ?crit Machiavel : ? Le mal doit se faire tout d’une fois : comme on a moins de temps pour y go ?ter, il offensera moins ... ?.

L’opportunit ? de ces crises devint tr ?s claire aux yeux des ? Chicago Boys ?, qui en firent un point essentiel de leur strat ?gie.

Et si les crises esp ?r ?es se faisaient attendre, on pouvait toujours en cr ?er : ainsi Paul Volcker, pr ?sident de la R ?serve F ?d ?rale des E.U., d ?cida de faire grimper les taux d’int ?r ?t, jusqu’ ? 21% en 81. Cons ?quence imm ?diate, la dette des pays ? en voie de d ?veloppement ? se gonfla et devint insupportable. C’est l ? qu’intervint le FMI, qui, en contrepartie d’une aide financi ?re, imposa la politique que nous connaissons par coeur : coupes dans les budgets de l’Education, de la Sant ?, orientation vers des cultures d’exportation (donc, fin de la souverainet ? alimentaire) et privatisations bien s ?r ! Et dans certains cas, si les gouvernements n’ ?taient pas assez ? souples ?, le FMI laissait ? mijoter ? pour que la situation devienne intenable, comme en Pologne ou en Russie.

Comme l’ ?crit Naomi Klein :
 ? En un sens, la th ?orie des crises de Friedman se renfor ?ait d ?sormais d’elle-m ?me. Plus l’ ?conomie mondiale se pliait ? ses prescriptions (fluctuation des taux d’int ?r ?t, d ?r ?glementation des prix, ?conomies tourn ?es vers l’exportation), et plus le syst ?me ?tait vuln ?rable ? des crises, d’o ? une multiplication du genre de d ?b ?cles qui, ainsi que Friedman l’avait pr ?vu, incitaient les gouvernements ? suivre davantage de ses conseils radicaux ?

Le FMI et la Banque Mondiale participaient donc ? ce mouvement, et leur orientation devint en quelque sorte officielle lorsque fut d ?voil ? ce qu’on appela ? le consensus de Washington ?, c’est- ?-dire ? le noyau de principes admis par tous les ?conomistes s ?rieux ? : entre autres, ? les soci ?t ?s d’Etat doivent ?tre privatis ?es ?, ? les entraves ? l’implantation de soci ?t ?s ?trang ?res doivent ?tre abolies ? …

On pourrait encore rappeler l’exemple russe, o ? Eltsine, apr ?s avoir plong ? le pays dans la stupeur en annon ?ant brutalement ? la fin de l’URSS ?, attaqua avec l’arm ?e son propre parlement pour pouvoir faire passer ses ? r ?formes ?. Ainsi que le dit Joseph Stiglitz, qui ?tait ?conomiste en chef ? la Banque Mondiale :
 ? Seule une attaque ?clair pendant ? la conjoncture favorable ? cr ??e par ? le brouillard de la transition ? permet d’apporter les changements avant que la population n’ait eu le temps de s’organiser pour prot ?ger ses int ?r ?ts ?.

Et quand il n’y a pas de crise, et qu’on ne peut pas en cr ?er, on peut aussi en inventer : l’exemple du Canada est ?difiant. Les agences de notation firent l’objet de pressions pour baisser l’ ?valuation du Canada, une bonne partie des m ?dias d ?veloppa l’id ?e que le Canada connaissait une ? crise du d ?ficit ?, on parla du ? mur de la dette ?,ce qui ?tait faux et fut reconnu par la suite. Mais le climat d’inqui ?tude cr ?? dans l’opinion permit de faire des coupes dans les budgets sociaux : objectif atteint !

Autre occasion que les lib ?raux ont saisie : les attentats du 11 Septembre 2001, qui traumatis ?rent la population, permirent au gouvernement d’offrir au secteur priv ? ce qui rel ?ve normalement de l’Etat, la s ?curit ?, le renseignement et jusqu’ ? la direction d’op ?rations militaires ! Il faut dire que Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Richard Perle et bien d’autres ?taient ? la fois ceux qui faisaient ces cadeaux (aux frais des contribuables) et ceux qui les recevaient par les soci ?t ?s o ? ?taient leurs int ?r ?ts !

Et pour couronner le tout, les catastrophes naturelles !
D ?j ?, en 98, l’ouragan Mitch, qui avait ravag ? le Honduras et le Guatemala et plong ? des populations dans l’extr ?me pr ?carit ?, n’avait pas fait que des malheureux : dans les deux mois qui suivirent, alors que les sinistr ?s survivaient au milieu des ruines et des cadavres, le Congr ?s du Honduras adopta des lois autorisant la privatisation des a ?roports, des ports et des autoroutes, acc ?l ?rant les projets de privatisation des soci ?t ?s nationales de t ?l ?phone et d’ ?lectricit ? et de certains secteurs de l’approvisionnement en eau. Il abrogea des lois sur la r ?forme agraire, facilita l’achat et la vente de propri ?t ?s par des ?trangers et fit adopter une loi sur les mines radicalement favorable aux entreprises en abaissant les normes environnementales.

Pour finir, le tsunami de D ?cembre 2004, qui ravagea les c ?tes de la Tha ?lande et du Sri-Lanka entre autres (250 000 morts, 2,5 millions de sans-abris). Au Sri-Lanka, on d ?cr ?ta, au nom de la s ?curit ?, une ? zone-tampon ? ? l’int ?rieur de laquelle les p ?cheurs n’eurent plus le droit de reconstruire leurs huttes, indispensables ? leur gagne-pain, mais on y autorisa la construction d’h ?tels de luxe, pour la jet-set mondiale, afin de profiter des magnifiques plages de cette c ?te, auparavant ? g ?ch ?es ? par les mis ?rables constructions des p ?cheurs. Ces plans ?taient pr ?ts depuis longtemps, le tsunami fut l’occasion de les appliquer ...Le d ?tail qui tue : le projet de ? d ?veloppement ?, d’un co ?t de 80 millions de dollars serait financ ? sur les fonds recueillis au nom des victimes !

La ? crise grecque ? est donc aussi ? lire ? la lumi ?re de ces exemples, de m ?me que les d ?clarations de Fran ?ois Fillon : la situation actuelle est un terrain jug ? propice pour faire avaler par une population en ? ?tat de choc ?, comme on dit aux infos, des mesures de r ?gression sociale …
Les forces financi ?res, apr ?s avoir pill ? des territoires en Asie, en Afrique, en Am ?rique latine, lorgnent vers l’Europe, vers des secteurs qui leur paraissent de possibles sources de profit. Les d ?sengagements des Etats font partie des conditions.

Le livre de Naomi Klein (Actes Sud) est un gros livre (565 pages), mais qui se lit sans difficult ?s.
Lisez-le, vous regarderez l’actualit ? avec des yeux plus clairs, une vue plus large, ou plus profonde, comme on voudra...


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