Bilan de la marche du Siècle du 16 mars 2019 : vers une radicalité écologique et sociale

La Marche du Siècle du 16 mars fait partie d’une série de marches pour le climat qui ont débuté en septembre 2018. C’est la 5ème d’une série qui s’annonce longue et qui s’étend progressivement à l’international. Lors de ce 5ème acte, il y aura eu en en France des centaines de milliers de manifestants répartis sur plus de 200 sites ; plus de 150.000 étudiants, lycéens et grévistes le 15 mars ; près de 350.000 manifestants le 16 mars.
Une convergence évidente entre « fin du monde » et « fin du mois », les Gilets Jaunes ont répondu présents sur pratiquement tous les sites.

Et après ?

Les journalistes retiennent en priorité les images de casse et de violence qui tournent en boucle sur Paris et les grandes agglomérations. Outre qu’on ne sait pas toujours bien qui en aura été l’origine (le Fouquet’s aurait été incendié par des galets de lacrymogène tirés par la police), elles ne résument ni les revendications écologiques, ni la somme de manifestants pacifiques.

Dans de nombreuses autres villes de province, les marches ont été largement rejointes par des Gilets Jaunes, des militants ou de simples citoyens sensibilisés à l’urgence climatique. Elles se sont déroulées dans le calme, avec des prises de paroles, des actions symboliques, du tractage et des échanges productifs entre groupes.

Et pour quel effet ?

Non seulement ces marches pacifiques sont pratiquement inaudibles, mais même localement elles n’auront eu qu’un impact limité sur les rares spectateurs et passants pressés qui avaient surtout pour objectif d’aller faire leurs courses et de rejoindre le centre commercial le plus proche. Surtout, elles n’auront eu aucun effet sur nos politiques qui ont aujourd’hui le beau rôle et expliquent à quel point ils sont , comme les manifestants, sensibles au dérèglement climatique sans avoir jamais pris une décision efficace sur le sujet. Macron, le soi-disant champion de la Terre, a reçu la petite Thunberg à l’Elysée ? La belle affaire ! Un divertissement supplémentaire pour les éditorialistes.

Donc oui, il est important de nous compter et de montrer notre mobilisation lors des grandes manifestations. Mais l’urgence écologique et climatique nous demande d’être plus que mobilisés : il nous faut être efficaces. Mais que faire quand on ne veut pas incendier de banques ni passer son temps à marcher inutilement ?

Changer nos pratiques individuelles de consommation et nos modes de vie ? On le voit bien, à l’instar des marches pacifiques, ça ne sert à rien. Les appels aux boycotts ne fonctionnent que trop rarement et toujours trop lentement, même s’il y a quelques cas intéressants : Ferrero par exemple, qui perd des parts de marchés avec le Nutella à l’huile de palme et commence à s’inquiéter mais ne change toujours pas de politique.

Changer de pratique de consommation à l’échelle nationale ? C’est trop lent. Nos nouvelles échelles de temps (l’immédiateté de type internet ou livraison express) et d’espace (notre capacité à nous déplacer sur des distances énormes) nous imposent un bilan carbone désastreux mais sont trop ancrées. Elles conditionnent de plus, pour une bonne partie d’entre nous, la façon dont nous sommes obligés de travailler et de vivre au quotidien. Au mieux, ces pratiques individuelles épargneront la honte à quelques-uns qui ont la chance de pouvoir suivre leur idéal. Mais combien en ont seulement les moyens ? Pas suffisamment, et il est hors de question de stigmatiser ceux qui sont obligé de faire 2h de transport pour aller travailler ou qui n’ont pas les moyens d’acheter du Bio, ni de les punir pour les fautes d’un système pervers.

Il faut donc s’attaquer à la racine du problème : imposer une politique permettant la transition énergétique et écologique, et qui intègre dans nos politiques publiques les notions de coûts écologiques, de services écosystémiques, en taxant de façon juste les principaux pollueurs et en accompagnant les entreprises et les citoyens pour éviter de tomber dans l’injustice et l’autoritarisme sous prétexte que la cause écologique est juste. Et pour cela, il faut plus que des marches, largement inefficaces, plus qu’un mode de vie responsable, impossible à suivre pour la plupart d’entre nous : il faut imposer notre volonté à nos gouvernements en s’opposant massivement au système actuel.

Rejoignons les ZAD, les associations de protection de l’environnement, les associations altermondialistes qui sont actuellement les seules à offrir un réel contre-pouvoir aux pollueurs, aux aménageurs et à l’Etat qui les soutient. Bloquons les activités écocides, comme les grands projets routiers, les infrastructures productrices de carbone ou consommatrices d’espaces naturels, les fabricants de pesticides, les banques qui financent ces activités. Occupons les sites symboles de notre économie mortifère : les centres commerciaux, les centres logistiques d’e-commerce, les raffineries, les aéroports, les autoroutes… Mobilisons-nous autour des centres de décisions qui n’ont jamais assumé leur rôle dans la protection de l’environnement : les collectivités territoriales, les ministères, les services déconcentrés, les établissements publiques. L’anthropocène, le capitalocène ne sont pas des fatalités, ces ères sont trop récentes pour être irréversibles et elles ont leur faille : le (non)consentement populaire.

On peut être non-violent et radical. C’est cette radicalité qu’il nous faut maintenant mettre en œuvre. Les Gilets Jaunes nous ont montré que nous n’étions pas une nation serpillère qu’on pouvait essorer sans conséquences. Avec eux, il nous faut maintenant démontrer que cette colère et cette radicalité peuvent être efficaces. Les actions et revendications de justice sociale et écologique ont les mêmes fondements, elles avanceront selon les mêmes rythmes et les mêmes modalités en se renforçant entre elles. Plus que des marches, il nous faut maintenant passer à l’action radicale.

Laurent THIEULLE, pour le CA ATTAC Pays Basque

Crédit photo : ATTAC Pays Basque – plantation d’un arbre sur la zone récemment défrichée du Séqué pour dénoncer la perte d’un des derniers espaces forestiers de Bayonne (action du Collectif des associations de défense de l’environnement – Marche du siècle, 16 mars 2019)