Archives par mot-clé : frédéric Viale

Débat public sur l’Europe : un constat amer

Un constat amer. C’est ce qu’on retiendra du débat du 5 avril organisé par ATTAC Pays Basque sur les questions européennes. Non pas que ce soit une grande nouvelle, l’ensemble des participants ayant à peu de choses près le même ressenti sur les divers dysfonctionnements. Ce qui est amer, c’est le constat de la mécanique implacable de la construction européenne autour de ces 4 piliers (libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux), et des traités qui supplantent les législations nationales et empêchent toute voix dissonante de s’exprimer dans cette orchestration européenne néolibérale et univoque.

Une quarantaine de personnes s’étaient donc réunies le 5 avril 2019 à la Maison pour Tous d’Anglet à l’appel d’ATTAC Pays Basque et avec un référent de choix : Frédéric Viale, juriste, auteur d’ouvrages contre les traités transnationaux (« Le manifeste contre les accords transatlantiques », éd. Erick  Bonnier, et récemment de « la gauche à l’épreuve de l’Union européenne, ed° le Croquant) invité en tant qu’expert sur le fonctionnement de l’Union Européenne. Outre les informations échangées, nous retiendrons la qualité de ce débat et l’investissement de tous et la qualité d’écoute remarquable qu’il y aura eu durant ce débat : les participants étaient venus pour profiter de ce lieu d’expression, mais aussi pour écouter et comprendre. C’est une réussite majeure pour les organisateurs.

Premier constat à ce débat, les réussites européennes qui font l’unanimité sont rares : Erasmus, la pacification de l’Europe, la protection de l’environnement, la capacité des citoyens à passer les frontières simplement. Et elles sont à chaque fois accompagnées de déceptions :

– Erasmus ou l’expatriation des étudiants qui n’est pas toujours choisie mais imposée par des systèmes éducatifs nationaux défaillants, l’Europe n’ayant pas permis de protéger le système éducatif public.

– la paix en Europe, mais qui est remplacée par une concurrence économique féroce et une guerre externalisée dans les autres continents. Une Europe pacifiée, vraiment ?

– Si les principaux (les seuls?) outils pour la protection de l’environnement nous viennent bien des directives européennes et nous ont permis de sauver une partie de nos milieux naturels, l’Europe reste incapable de gérer les problèmes de dérèglement climatique ni de tenir ses engagements suite aux différentes COP Climat. Et les marches climats sont là pour rappeler qu’une transition écologique et énergétique réellement efficace est toujours à attendre.

– Quant à la libre circulation des personnes, elle a permis de mettre en évidence le scandale des travailleurs détachés, et de cristalliser le retour aux réflexes communautaires et nationalistes en rejet des communautés indésirées (Roms, migrants), réflexes que l’Europe est incapable de contenir.

Inversement, la liste des dysfonctionnements européens ressemble à un inventaire à la Prévert. Là encore, il n’y a pas eu de désaccords profonds durant le débat, mais un consensus pour mettre en évidence les carences européennes, voire les méfaits de l’Europe sur la quasi totalité des domaines dans lesquels elle intervient : économie, finance, commerce, budget, agriculture, droits de l’homme, lutte contre la fraude, développement et coopération, politique étrangère, etc.

Des souhaits pour une Europe meilleure, bienveillante, source de partage et communautaire, qui protège les faibles et encouragent les projets positifs, qui garantit un avenir aux générations futures, il en a été fait de très nombreux. Mais c’est de là que vient la deuxième partie de ce constat amer. Si on exclut le scandale des privatisations qui sont de la seule responsabilité de l’Etat français, tous ces souhaits resteront lettre morte dans le fonctionnement actuel de l’Europe, principalement en raison des accords transnationaux qui ont été signés. Jugez plutôt : près de 50 accords de libre-échange déjà signés avec tous les continents et des règles constitutionnelles qui placent ces accords au-dessus du droit national des pays adhérents. Cela veut dire que les intérêts des entreprises priment tout : le droit social, le droit fiscal, le droit de l’environnement, la santé… Face aux enjeux sociaux et environnementaux auxquels nous sommes confrontés, il faudrait que les entreprises puissent rendre des comptes à la société. C’est tout l’inverse que l’Europe met en place : via des commissions arbitrales présidées par la Banque Mondiale, ce sont les Etats qui devront céder face aux besoins de rentabilité de ces dites-entreprises dans le respect intégral des accords de libre-échange, signés à l’unanimité et dont il faut également l’unanimité pour en sortir.

Si ces 50 accords de libre-échange paraissent beaucoup, il faut savoir qu’il y en aurait encore une douzaine qui attendent de sortir très prochainement, libéralisant toujours un peu plus notre économie et réduisant toujours plus les champs d’application de notre droit national.

Face à cet amer constat, les solutions sont difficiles à trouver mais quelques tendances générales se sont dessinées et ont pu être discutées en fin de débat. Des pistes pour essayer de changer l’Europe de l’intérieur ont été évoquées : renégociation des règles de déficit pour ne pas tenir compte des investissements vertueux (écologiques par exemple), ou créer des groupes de pression progressistes pour renégocier les traités, voire les annuler. Cependant, dans les règles institutionnelles actuelles et sans moyens de pressions, ces propositions risquent de se heurter au lobbyisme des grandes entreprises et au libéralisme dominant dans les structures de l’UE, et rester largement inefficaces. Resterait donc le choix entre trois options :

– jouer le rapport de force en supprimant le titre XV de notre constitution qui met le droit européen au-dessus du droit français, pour obliger d’autres pays européens à nous rejoindre dans une fronde interne à l’Union Européenne, afin d’imposer une Europe sociale et surtout indépendante du néolibéralisme internationalisé, mais avec pour cela un Etat français déterminé à pousser jusqu’au bout la logique du rapport de force ;

– rompre avec les traités, sans que cela implique une sortie unilatérale immédiate, c’est à dire refuser d’appliquer certaines des dispositions phares du néolibéralisme qu’ils portent tout en prenant des mesures unilatérales (contrôle des capitaux, contrôle de la banque centrale) ce qui permettrait d’installer un rapport de force avec nos partenaires et refonder une autre Europe sur une base démocratique et sociale ;

– se lancer immédiatement dans un Frexit, une sortie unilatérale de l’Union Européenne, à l’image du Royaume Uni, sachant que cette option serait difficile (voir ce qui se passe avec le Brexit) et définitive.

Nous laisserons à chacun le soin de se faire une opinion sur ces trois options, le but de ce débat n’étant pas de convaincre mais de libérer une parole populaire trop rarement entendue, et surtout de donner à chacun les informations permettant de se construire une opinion. Inversement, dans chacune des trois options qui ressortent de ce débat, il apparaît primordial d’aller voter pour permettre d’avoir un parlement à l’image de nos voeux. C’est un vrai poncif d’appeler au vote en période électorale, d’accord, mais quelle que soit notre position individuelle, ce qui est certain, c’est qu’aucune de ces trois options n’a de chance de se passer dans de bonnes conditions, ou même de voir le jour sans des députés à notre image.