#NuitDebout : le retour des indignés ?

Geoffrey Pleyers, 4 avril 2016
Première « Nuit Debout », le 31 mars 2016, Place de la République à Paris

Début mars encore, le mouvement contre le CPE (Contrat Premier Embauche) de 2006 s’imposait comme le référent à l’aune duquel penser et évaluer le début de la mobilisation des jeunes contre la loi du travail. Comme il y a 10 ans, le projet de loi contesté se propose de flexibiliser le marché du travail. Le référent est d’autant plus prisé que ceux qui manifestent aujourd’hui espèrent avoir le même succès que leurs prédécesseurs dix ans plus tôt qui avaient obtenu le retrait du projet de loi.

Depuis le début du mouvement, un autre référent s’impose bien davantage lorsqu’on prête l’oreille aux interventions dans les AG étudiantes et en discutant avec les jeunes manifestants : les mouvements des indignés et d’Occupy du début des années 2010. Il est devenu explicite avec les « Nuits debout » qui ont rassemblé plusieurs milliers de personnes sur la Place de la République.

Dès la fin février, tous les ingrédients semblaient réunis pour que surgisse un « mouvement des indignés à la française », semblable à ceux qui ont marqué le printemps 2011 dans la péninsule ibérique et qui continuent de transformer l’Espagne et le Portugal. Avec l’initiative de la « Nuit debout », un groupe de citoyens autour du magazine Fakir et de l’économiste Frédéric Lordon a ouvert un espace qui a permis aux citoyens d’échanger, d’exprimer leur indignation, de rêver ensemble à un autre monde et à une « convergence des luttes » qui reste à construire.

La loi travail, un formidable élément déclencheur

Une frustration latente ne suffit pas à déclencher de grandes mobilisations. Un élément déclencheur est nécessaire. Une « étincelle » qui va mettre le feu aux poudres et donner le timing d’une première séquence de la mobilisation. Dès début mars, il était clair que la « loi travail » n’était pas le cœur du problème pour nombre de manifestants et pour les jeunes lycéens, les étudiants et de nombreux citoyens mobilisés en dehors des organisations syndicales.

L’avant-projet de loi est devenu cette étincelle indispensable pour initier une mobilisation, dont les causes et revendications sont bien plus profondes. Il est à la fois « la goutte qui fait déborder le vase » pour des citoyens indignés et une revendication claire et largement partagée qui facilite l’extension du mouvement au-delà des cercles militants, la convergence avec des organisations et les syndicats et une visibilité dans les mass media. C’est aussi autour de cette loi que s’établit un premier calendrier de mobilisations avant que le mouvement ne soit capable de trouver sa propre temporalité. Aussi, comme le déclarait Frédéric Lordon à la tribune de la première « Nuit debout » le 31 mars :

On ne remerciera jamais assez la loi El Komri de nous avoir sorti de notre sommeil politique.

Une rapide montée en généralité

Ce qui distingue les mouvements sociaux d’autres mobilisations est d’être centré sur un autre projet de société bien plus que sur une revendication spécifique. Dès les premières convocations étudiantes et lycéennes pour la manifestation du 9 mars, la « loi travail » apparaissait comme l’opportunité de manifester son indignation plus que sa cause centrale. Dans les cortèges, les manifestants se disent surtout « déçus par la gauche ». C’est « contre la politique du gouvernement » et non autour de ce seul projet de loi que les tracts des collectifs étudiants appelaient à manifester le 9 mars.

En la qualifiant de loi « Gattaz-Hollande-Valls-Macron-EL Komri », les étudiants renvoient à la collusion entre les élites économiques et politiques, qui étaient au cœur des dénonciations des mouvements indignés et Occupy en 2011. Ils rejoignent beaucoup de militants et d’intellectuels engagés de la « gauche de la gauche » (Durant & Keucheyan, 2016) ou de la « gauche du PS », notamment ceux qui ont co-signé la tribune de Martine Aubry pour lesquels cette loi vise moins à créer des emplois qu’à accentuer les inégalités et fustigent la dérive sociale-libérale du gouvernement.

Les impasses de la politique institutionnelle


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