PARASITES édition "les liens qui libèrent"

, par JN

Parasites

Ce livre est publié à la maison d’édition « Les liens qui libèrent ». Son auteur, Nicolas Framont a un profil atypique. Sociologue d’origine, il a enseigné quelque temps à la Sorbonne, a créé le magazine en ligne « Frustration magazine », a été collaborateur parlementaire à la France Insoumise, est consultant pour les comités sociaux et économiques, et vend des légumes sur les marchés de Charente Maritime où il vit.

Il doit avoir des journées bien remplies. Mais qui sont ces parasites ? Les médias dominants et les discours de la droite stigmatisent volontiers les « assistés », trop feignants pour traverser la rue, et qui se la coulent douce aux frais des courageux contribuables qui travaillent.

Eh bien non, la quatrième de couverture met d’emblée les choses au point. « La véritable classe parasite écrit-il est celle qui est située au sommet du corps social, cette classe bourgeoise qui a envahi la société tout entière, rachetant ses médias, finançant ses hommes politiques, exploitant ses travailleurs au plus bas prix possible. En retour, cette classe ne nous apporte rien. Pire, elle nous coûte bien plus cher qu’elle ne nous rapporte...Elle nous mène au désastre écologique car elle est incapable de vivre sans accumuler... »

Tous les ans, le magazine patronal Challenges, dresse le palmarès des 500 plus grandes fortunes françaises. C’est cette bourgeoisie qui est la classe dirigeante dans notre système capitaliste. Elle cumule direction du travail via les entreprises, direction de l’Etat et direction des médias.Et comme l’ont montré les Pinçon-Charlot auxquels l’auteur se réfère, elle a une conscience de classe affirmée. Elle fait bloc dès qu’il s’agit de défendre ses privilèges. Et le livre démolit efficacement tous les fausses représentations sur elle même que les médias qu’elle contrôle répandent dans le public. L’auteur les traite tout simplement de parasites.

Il y a d’abord le parasitisme économique. On va passer rapidement là dessus, cet aspect de l’exploitation du travail est hélas très ancien et très bien connu. Mais l’auteur montre aussi comment après le Taylorisme qui faisait de l’ouvrier les serviteur d’une machine qui lui imposait les fameuses cadences infernales (qui n’ont jamais disparu dans l’industrie), quand on ne peut pas contraindre physiquement les travailleurs, la psychologie positive vient à la rescousse. On attend des salariés, pardon, des « collaborateurs », une attitude positive, un engagement personnel pour l’entreprise, avec un « état d’esprit de croissance. »... Et on est évalué là dessus. Dit autrement, participer à sa propre exploitation avec le sourire. Ou faire semblant . Pour donner du sens au travail, il y a mieux.

Mais il insiste aussi sur le parasitisme politique. Il montre à partir de quelques exemples, dont Emmanuel Macron est l’exemple parfait, comment hautes sphères économiques, haute fonction publique et pouvoir politique sont en symbiose complète. Et surtout comment les entreprises privées vampirisent l’Etat. D’abord par ce qu’il appelle la « Grande dépossession », c’est à dire la vague de privatisation des services publics mise en oeuvre par tous les gouvernements de droite ou de fausse gauche depuis le milieu des années 80.Il montre, par exemple, comment l’ ancienne Compagnie Générale Transatlantique a été bradée, après quelques magouilles politiques, à la famille Saadé devenue le troisième armateur mondial. En plusieurs pages, il détaille le démembrement d’EDF. Et pour montrer ce qu’était le service public, il cite le témoignage d’un électricien, Jean-Charles Malochet qui, dans le Berry du 25 décembre 2019 revient sur la tempête qui 20 ans plus tôt avait dévasté le réseau électrique du Cher.

« On a commencé notre semaine de folie par une nuit blanche et on a enchaîné par des journées de 7 heures à minuit. On ne s’arrêtait quasiment pas car on ne pensait qu’à une chose : remettre l’électricité partout et par tous les moyens... c’était dur, c’était la guerre. Et on a fini par la gagner ...Là on se rend compte de l’utilité de notre travail et on ne peut pas s’empêcher d’y penser même si aujourd’hui cela a bien changé. »

Vingt trois ans plus tard, le service public n’existe plus. Le personnel a été réduit.La concurrence devait faire baisser les prix, c’est le contraire qui s’est produit avec l’apothéose de l’été dernier où le prix du mégawat-heure qui suivait le cours du gaz livré aux spéculateurs se négociait à 600€ . Et cette démolition des services publics est générale. Elle nous pourrit depuis des années la vie quotidienne avec les fermetures de bureaux de poste, d’écoles, de guichets, les trains qui ne partent ni n’arrivent plus à l’heure. Sans compter la dévastation de l’hôpital public et les attentes interminables aux urgences.Et on pourrait allonger la liste. Mais cette austérité n’est pas pour les bourgeois : ils pillent directement le budget de l’Etat. En allègements de charges, niches fiscales et subventions directes ce sont plus de 150 milliards d’euros d’aides aux entreprises soit près du quart du budget de l’Etat. Ces aides sont passées de 10 milliards d’euros en 1980 à 140 milliards en 2021. Certaines de ces aides sont sans doute utiles, encore faudrait-il qu’elles soient clairement fléchées et leur utilisation strictement contrôlée. Mais il n’en est rien. Comme le fameux CICE, la plupart ne sont soumises à aucune condition ni contrôle. Les entreprises font ce qu’elles veulent . Comme Michelin qui disait investir à la Roche sur Yon pour envoyer les machines neuves en Pologne et en Roumanie.

On sait depuis Karl Marx que la bourgeoisie exploite les travailleurs, qu’elle a l’ Etat à son service et qu’elle s’efforce de répandre une idéologie qui justifie sa domination. L’intérêt de ce livre est de nous montrer concrètement, dans la France du début du XXIème siècle comment ça fonctionne. Il cite des noms et montre comment ils s’y prennent. C’est un livre de sociologue, mais plus encore de journaliste. Si les références à des documents officiels et à des études académiques sont nombreuses, les références à des articles de presse le sont encore plus.Ce qui donne un livre très dense mais très bien écrit, clair, facile à lire, quand on le commence on ne le lâche plus. C’est aussi une mine de références, d’exemples, d’articles pour alimenter le combat militant.Et dans le dernier chapitre il donne des pistes d’action et des conseils. Le premier et le plus important c’est de retrouver une fierté de classe. Soyez fiers d’être ouvriers, d’être employés, dit le sociologue vendeur de légumes, ce n’est pas grâce à eux mais grâce à nous, grâce à notre travail, à nos compétences que fonctionne la société. Ces parasites ne méritent ni notre admiration, ni notre respect, même pas notre haine, juste notre mépris.