Quelle Europe fêter en 2007 ? Par Dominique Plihon (hiver 2007) Extrait de la Lettre d’attac 45 n°40, hiver 2007.

Dominique Plihon est membre du conseil scientifique d’Attac

L’année 2007 va donner lieu à des célébrations-anniversaires concernant la construction européenne. Ce sera d’abord le cinquantième anniversaire du traité de Rome du 25 mars 1957 qui institua les Communautés européennes. L’Allemagne assure la présidence de l’Europe au premier semestre 2007. A cette occasion, la très libérale chancelière Angela Merkel s’apprête à relancer le projet de constitution, pourtant rejeté démocratiquement en 2005 par deux pays de l’Union européenne (UE). Deuxième célébration : le cinquième anniversaire du lancement de l’euro comme monnaie fiduciaire, marquant le remplacement des monnaies nationales par la monnaie unique.
Ces deux évènements seront l’occasion de faire le point sur la construction européenne. Celle-ci s’est réalisée dans le cadre d’un double processus d’approfondissement et d’élargissement.

L’élargissement a fait passer l’UE de 6 à 27 membres de 1957 à 2007. Les deux dernières étapes en sont l’entrée dans l’UE de dix nouveaux membres le 1er mai 2004, et de deux nouveaux membres (la Roumanie et la Bulgarie) au 1er janvier 2007. L’approfondissement, qui correspond à la dynamique d’intégration des pays européens, a connu trois grandes étapes : d’abord, l’union douanière, instituée par le traité de Rome, qui a construit un espace économique protégé par un tarif extérieur commun. Ensuite, la création du marché unique par l’Acte unique, ratifié en 1986, qui transforme l’Europe en une zone de libre échange, abolissant toutes les protections douanières à l’intérieur comme à l’extérieur de l’espace européen. Enfin, la création de l’Union monétaire à partir de 1999 avec l’institution de l’euro et de la Banque centrale européenne (BCE).

Que penser du bilan de la construction européenne ? Il est loin d’être « globalement positif » : l’Europe n’a cessé de dériver vers un système économique toujours plus libéral, générateur d’inégalités, aujourd’hui en crise. En témoigne la montée d’une opposition populaire forte à l’Europe, comme l’illustre le rejet du référendum constitutionnel en France et aux Pays-Bas. Il y a fort à parier que, si leurs populations avaient été consultées par référendum, d’autres pays de l’Union auraient également voté non. La politique d’élargissement est vécue comme un échec par les nouveaux membres, comme le démontre le repli souverainiste et nationaliste de leurs gouvernements. Dans ces pays, les inégalités augmentent. Une fracture s’est créée entre les élites dirigeantes et la bourgeoisie qui sont gagnantes, d’un côté, et des classes populaires laissées pour compte, comprenant la paysannerie et la main d’œuvre non qualifiée, d’autre part. L’une des causes de cet échec est le déficit de solidarité entre les pays les plus riches de l’Union et les nouveaux membres. Quelques chiffres illustrent ce constat : la Grèce est entrée dans la Communauté européenne en 1981, suivie par l’Espagne et le Portugal en 1986. En moyenne, le PIB par habitant de ces trois pays représentait alors 70 % du PIB moyen par habitant dans la Communauté. Ces pays ont bénéficié d’une aide communautaire importante, notamment grâce aux fonds structurels européens. Ce qui a favorisé leur rattrapage. Par contraste, les dix nouveaux entrants de 2004, dont le PIB par habitant n’était que de 50 % du PIB moyen européen, et les deux nouveaux membres de 2007, dont le PIB par habitant ne représente que 29 % du niveau moyen européen, s’intègrent dans une Union européenne qui a décidé de réduire son budget et de geler ses dépenses de transfert.

Si l’on évalue maintenant les politiques d’approfondissement, leur bilan n’est guère plus satisfaisant ! L’Union économique et monétaire en constitue la dernière étape. La monnaie et la banque centrale uniques ont-elles contribué à améliorer la situation économique et sociale dans l’Union ? Il est permis d’en douter. Arc-boutée dans sa lutte contre une inflation qui a largement disparu du fait de la mondialisation et de la concurrence des pays émergents, la BCE tourne le dos à une politique volontariste en faveur d’une Europe plus solidaire et créatrice d’emplois. Ne prône-t-elle pas la rigueur salariale et la réduction des dépenses publiques ? Ne reste-t-elle pas sourde aux demandes des responsables politiques de gauche et de droite de stabiliser l’euro face au dollar ? Car la hausse excessive de l’euro, dont les causes sont largement financières, contribue à la destruction d’emplois en Europe.

Aujourd’hui un nombre important, sans doute majoritaire, de citoyens européens dresse un bilan très critique des dérives néolibérales de l’Europe. Pourtant il y a fort à parier que, à l’occasion des commémorations de 2007, les élites dirigeantes et les médias célébreront les bienfaits de la construction européenne. Il est essentiel que se mobilisent toutes celles et tous ceux qui veulent construire une autre Europe donnant la priorité aux impératifs démocratiques, sociaux et écologiques.