Le djihadisme européen reflet de la crise du politique

UN NOUVEL UNIVERSALISME CONTRE L’« HYPER-SÉCULARISATION »

ORIENT XXI > MAGAZINE > FARHAD KHOSROKHAVAR > 20 JUILLET 2015

La tragédie syrienne a notamment eu comme conséquence la migration de plusieurs dizaines de milliers de jeunes provenant du monde arabe, mais aussi de l’Occident et en particulier de l’Europe (aux alentours de 5 000 jusqu’à présent) vers la Syrie, et ce chiffre aurait été plus important encore sans l’intervention des États européens pour empêcher leur départ en Syrie et en Irak. Comment expliquer ce phénomène ?

La migration des jeunes Européens vers la Syrie pour rallier l’organisation de l’État islamique (OEI) est en soi des plus « contre-intuitives ».
Après tout, les guerres civiles dans le monde arabe — comme celle de l’Algérie dans les années 1990 — n’ont attiré, par le passé, qu’un nombre fort limité d’Européens musulmans ou convertis. La guerre en Afghanistan dans les années 1980 a attiré moins d’une centaine d’Européens ; de même, celle de l’Irak en 2003 a vu l’engagement d’un nombre incomparablement moindre que celle de la Syrie. Nous sommes face à un fait majeur qui renvoie autant à la situation en Syrie qu’au malaise des jeunes Français et plus généralement des jeunes Européens.

Les jeunes qui s’aventurent aujourd’hui dans l’entreprise djihadiste sont d’un côté issus du prolétariat, de l’autre des classes moyennes. Comment expliquer ce phénomène ? Pour commencer, il y a un sentiment d’injustice profond devant le drame syrien. La plupart des jeunes évoquent les dimensions monstrueuses de cette tragédie et leur indignation. Mais au-delà, il y a aussi un sentiment « humanitaire » qu’expriment en particulier les jeunes des classes moyennes (ceux des cités ne s’y réfèrent pas en règle générale) et qui les pousse à agir. En tant que pré-adultes (des jeunes post-adolescents) ou adultes (souvent des post-adolescents attardés, nous disent les psychanalystes), ils cherchent à devenir pleinement adultes en passant une épreuve qui ressemble à un rite de passage. L’affrontement de la mort est le vrai tremplin qui les fait passer de cette enfance mal assumée à la plénitude de leurs facultés par l’affrontement de la mort.

Mais il existe une dimension fondamentale du malaise des jeunes, quelle que soit la classe sociale à laquelle ils appartiennent : un horizon bouché.
Pour les jeunes des quartiers populaires, le politique est l’affaire des autres, ils n’y trouvent aucune promesse d’ascension sociale. Pour les jeunes des classes moyennes, le politique ne parvient plus à leur assurer un avenir comme citoyens actifs, dotés d’un travail, l’État-nation régulant leur vie économique et sociale et encadrant les disparités de classes.

"LIBÉRATION" DE L’INDIVIDU ICI-BASS ET DANS L’AU-DELÀ


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