Qui est l’État Islamique ?

by Collectif Noria | Dec 9, 2015 | Analyses, Analyses, collectif noria, Focus on the Islamic State |

Noria analyse les processus de continuité et de ruptures politiques et sociales qui reconfigurent le paysage politique international. Cette série de publications, signée collectivement par nos chercheurs, vise à apporter des clés de compréhension des problématiques liées à la question de l’Etat islamique et aux conséquences des attentats en France.

Les termes se sont multipliés pour caractériser les auteurs des attentats de novembre 2015 : islamistes, salafistes, djihadistes, syriens, irakiens, français, de familles musulmanes, descendants d’immigrés, convertis. Sont-ils des terroristes, des fondamentalistes, des fanatiques, de nouveaux barbares ? Comprendre qui est le commanditaire des attaques est tout aussi compliqué.

Si l’État islamique a revendiqué l’attaque du 13 novembre, il n’est pas directement impliqué dans celles de janvier contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher. Les frères Kouachi étaient liés à la branche yéménite d’Al-Qaïda, (Al-Qaïda dans la Péninsule arabique, AQPA). Plus largement, les mouvements islamistes, de l’Europe à l’Indonésie en passant par le Moyen-Orient, constituent une nébuleuse de groupes politiques nombreux et différents, parfois en lutte les uns contre les autres, et irréductibles aux qualificatifs qu’on veut leur apposer. En voulant à tout prix identifier un ennemi à combattre, on oublie ainsi d’analyser les dynamiques politiques qui animent ces groupes.

L’Etat islamique naît à la fin des années 1990 au moment de la création de la branche irakienne d’Al-Qaïda. Alors simple groupuscule, le groupe commandé par Abou Moussab al-Zarqawi prend de l’importance sous le nom d’Al-Qaïda en Mésopotamie à la suite de l’intervention américaine en Irak en 2003. Il se constitue à partir d’un triple terreau : les prisons américaines, la lutte clandestine contre l’occupant et la confessionnalisation du conflit entre sunnites et chiites.

A partir de 2004, les prisons américaines en Irak regroupent des combattants islamistes et d’anciens membres des forces de sécurité du régime baathiste de Saddam Hussein. Alors qu’à l’extérieur, les anciens baathistes sont marginalisés, arrêtés et parfois éliminés par les nouvelles autorités irakiennes et les milices chiites, le confinement dans les cellules collectives offre à ces deux groupes les moyens de s’unir et de s’organiser. De plus, l’expérience de la clandestinité transforme profondément le mouvement. Confrontés aux opérations des forces spéciales américaines, les militants qui survivent se forment à une culture du secret et de la violence. Il découle de cette vision sectaire un hermétisme total et une séparation du mouvement par rapport à la société irakienne. Loin d’être fragilisées par le conflit, l’idéologie et la rhétorique qui alimentent l’Etat islamique sont au contraire renforcées par les attaques menées par la coalition internationale, interprétées comme autant de signes confirmant la mission divine du mouvement et la tenue prochaine d’un vaste combat entre les forces du bien et du mal annonciateur de la fin des temps. Cela explique également la capacité du groupe à se maintenir malgré ses défaites régulières.

Enfin, dans un contexte de confessionnalisation de la guerre civile, la branche irakienne d’Al-Qaïda termine d’assurer son autonomie vis à vis de la structure centrale, réfugiée à la frontière afghano-pakistanaise. L’ennemi principal de la branche irakienne n’est plus l’Occident lointain, mais son environnement chiite proche. De plus, contrairement à Al-Qaïda qui fonctionnait comme un mouvement formé par des spécialistes des attentats s’adjoignant à des groupes locaux (Taliban en Afghanistan, Al-Shabab en Somalie), la branche irakienne vise le contrôle direct du territoire et la construction d’un appareil militaire et institutionnel autonome. Symbole de cette nouvelle stratégie, il change de nom et devient l’État islamique en Irak.


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