Les Kurdes au cœur de la tourmente

18 mars 2016, par CIIP , GRUNWALD Catherine

Sommaire de l’article
Un territoire à cheval sur quatre pays. Le Rojava : les femmes en première ligne. Les Kurdes en guerre contre Daech. Quelles solidarités ?

De la négation à la reconnaissance en passant par la guerre, voilà la destinée des Kurdes, composante majeure de la mosaïque des peuples anatoliens.

Leur territoire - le Kurdistan, "le pays des Kurdes" - est à cheval sur quatre pays dont les frontières ont été dessinées à la faveur de la guerre, sous les auspices des puissances britanniques et françaises. Si le traité de Sèvres, signé en 1920, prévoyait la création d’un État kurde, conformément au principe wilsonien de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, l’idée d’un Kurdistan n’a pas fait le poids face aux intérêts occidentaux et au partage des zones d’influences après la première guerre mondiale. Lire à ce propos "Les Kurdes et le Kurdistan par les cartes : du traité de Sèvres à la guerre contre l’État islamique (EI)"


Une partisane du PKK au coeur des montagnes kurdes (photo Kurdishstruggle)

Un territoire à cheval sur quatre pays

Bakur (Kurdistan turc), Bashur (Kurdistan iranien), Rojava (Kurdistan syrien)... autant d’appellations pour désigner un territoire, le Kurdistan, loin d’être homogène tant du point de vue des populations concernées, qui parlent plusieurs langues (quatre principales), que de leur histoire et de la situation actuelle.
La densité et la complexité de la situation est bien représentée par la carte interactive du Kurdistan présentée sur le site des Amitiés kurdes de Bretagne et complétée par une chronologie actualisée en permanence Kurdistan Diary (en anglais), sur le site Isyandan.

En Turquie, foyer de population kurde le plus important (15 à 20 millions, les Kurdes occupent un quart du territoire de la République turque), la population kurde et sa culture ainsi que les mouvements kurdes dont le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) classé terroriste et traqué par les autorités turques, n’ont pas cessé d’être violemment réprimés.
Depuis le massacre de Suruç à l’est de la Turquie le 20 juillet 2015, massacre attribué à L’État islamique (EI) par Ankara et où 32 militants pro kurdes ont trouvé la mort, s’est ouverte en Turquie une nouvelle phase de violence, qui met fin à deux années de cessez-le-feu. Une reprise de la guerre qui, malgré des analogies avec l’insurrection des années 1990, s’en différencie notablement : d’un côté le mouvement kurde "écartelé entre des registres d’action qui à la fois se nourrissent et se contredisent les uns les autres", de l’autre une Turquie face à ses ambiguïtés entre Kurdes et politique régionale.
Alors qu’Erdoğan continue sans retenue sa répression généralisée contre les Kurdes et opposant-es démocrates et progressistes…, l’Assemblée pour la paix organisait le 12 décembre 2015 une conférence intitulée "Le processus de résolution et les moyens pour dépasser la crise", une conférence, parmi de multiples initiatives en Turquie, qui marque cet effort pour penser – si ce n’est rêver – la paix.
Pour nombre de députés européens, "une solution pacifique à la question kurde en Turquie n’est pas possible sans négociation avec le PKK", ils demandent donc au Conseil de l’Union européenne que le PKK soit retiré de la liste des organisations terroristes de l’UE (en anglais).
Mi-février 2016, une délégation internationale de la Commission civique UE Turquie s’est rendue en Turquie pour faciliter la reprise du dialogue entre le gouvernement turc et Abdullah Öcalan, le principal porte-parole de la communauté kurde détenu sur l’île-prison d’İmralı depuis 1999, afin d’aboutir à un processus de paix. Lire "Le peuple de Rojava orchestre une révolution sociale" (en anglais).

Le Kurdistan iranien est le berceau historique des Mèdes de l’Antiquité, ancêtres des Kurdes. Selon l’Institut kurde de Paris, "il y a environ 8 millions de Kurdes au Kurdistan iranien auxquels il convient d’ajouter les 3 millions de Kurdes émigrés vivant en communautés compactes dans le Khorassan (1,5 million) ou dans les grandes métropoles iraniennes". Leurs droits civils et politiques sont régulièrement bafoués, des militants et militantes sont régulièrement arrêtés et exécutés, même s’ils ont une représentation politique via le PDKI, le Parti démocratique du Kurdistan iranien.
"Répartis entre la région frontalière avec l’Irak et la Turquie à l’ouest et la frontière turkmène à l’est, les Kurdes iraniens, soit 13 % de la population totale du pays, mènent un combat pour la reconnaissance de leurs droits politiques et culturels depuis les années 1920... La répression, particulièrement sévère dans les années 1980, se poursuit aujourd’hui avec plusieurs exécutions d’opposants kurdes par an.

Les Kurdes irakiens (4 à 5 millions) obtiennent la création d’un Kurdistan autonome en 1991, une entité politique fédérée du nord de l’Irak reconnue par la Constitution irakienne en 2005 : le Gouvernement régional du Kurdistan irakien (GRK) est la seule émanation kurde dotée d’une réelle autonomie politique. Le GRK dispose ainsi de son propre parlement, habilité à édicter des lois, de sa propre armée (100 000 peshmergas qui veillent sur ses frontières territoriales), d’un drapeau propre, d’un hymne, et d’une représentation diplomatique à l’étranger.
Depuis, les Kurdes d’Irak doivent faire face à de nouveaux défis, celui de la naissance d’une nation et de la gestion du pouvoir. La région autonome est aujourd’hui confrontée à une grave crise économique et sociale aggravée d’une crise politique provoquée par le refus du président Massoud Barzani de quitter le pouvoir alors que son mandat s’est achevé au mois d’août 2015, auxquelles s’ajoute la confrontation avec les combattants jihadistes du groupe État islamique, les combattants islamistes de Daech... Si l’avenir semble périlleux pour l’identité kurde, l’évolution spectaculaire de la situation régionale - délitement de l’Irak, guerre en Syrie - ravive "le mirage toujours vivace de l’indépendance kurde".
Mais les organisations de défense des droits humains alertent : selon un rapport d’Amnesty International publié le 20 janvier dernier (en anglais), des forces kurdes ont détruit des milliers de maisons dans le nord de l’Irak. Ce récent rapport s’inscrit dans un corpus de plus en plus important de textes publiés par des organisations de défense des droits de l’Homme, notamment Human Rights Watch, qui révèlent la manière dont des groupes nationalistes kurdes de tous bords et de toutes origines géographiques commettent des crimes sous l’influence d’idéologies nationalistes racistes... Comme l’affirme le chercheur et blogueur Tallha Abdulrazaq, "les Kurdes, les Arabes et les Turcs ont suffisamment souffert sous les coups des dictateurs, des milices et de Daech – il ne faut plus qu’ils s’oppriment les uns les autres".


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