Nicos Poulantzas : l’État comme champ stratégique

Lire Poulantzas est aujourd’hui une tâche qui s’impose.

Théoricien marxiste de l’État largement ignoré, son apport est inestimable. Il représente la tentative la plus aboutie de penser le pouvoir politique en dehors d’une vision mécaniste. L’État n’est pas un simple « outil » des classes dominantes. C’est un champ conflictuel, où s’organisent, se recomposent, s’élaborent les stratégies du bloc au pouvoir.

Il ne faut plus l’envisager comme un bloc monolithique, mais à travers la diversité de ses appareils administratifs, juridiques, culturels, éducatifs, policiers, idéologiques. Incorporant les intuitions de Foucault et Deleuze, Poulantzas nous invite à penser l’inscription des luttes populaires au coeur de l’État. Une telle perspective offre de puissants concepts stratégiques pour envisager la transition révolutionnaire. L’État ne sera pas brisé du jour au lendemain ; il y aura, de façon durable, une coexistence entre des luttes populaires et autonomes d’un côté, et des tentatives de transformation radicale des institutions de l’État bourgeois. Le dépérissement de l’État aura commencé avant le grand soir.

Traduits en plusieurs langues, discutés en Europe et aux États-Unis, les travaux de Nicos Poulantzas furent injustement oubliés en France où il a pourtant écrit ses livres, quasiment introuvables aujourd’hui.
C’est dire le manque comblé par la réédition aux Prairies Ordinaires de L’État, le pouvoir et le socialisme, ultime ouvrage de l’auteur, sans doute le plus abouti et celui où ses convictions personnelles sont les plus saillantes.

Né à Athènes en 1936, Poulantzas étudie la philosophie du droit pendant les années qui précèdent la dictature des Colonels. Militant communiste alors que le parti est illégal, c’est en lisant Sartre qu’il découvre Lukacs, Lucien Goldmann et les classiques du marxisme1. Il s’installe en France en 1960, obtient son doctorat en 1965 et publie en 1968 un premier ouvrage remarqué : Pouvoir politique et classes sociales2. Durant ces premières années françaises, il abandonne progressivement l’existentialisme sartrien pour le marxisme d’Althusser. Pour un temps seulement car sa détermination à poursuivre son propre cheminement théorique, résolument marxiste mais à distance de toute défense – fût-elle désabusée ou tactique – du stalinisme, ne colle pas toujours avec le cadre de travail du « cercle d’Ulm ». Dès lors, et jusqu’à son suicide en 1979, Poulantzas s’attachera à penser la spécificité du politique, convaincu que « le socialisme sera démocratique ou ne sera pas » et que la voie qui y mène passe par la compréhension de ce qu’est l’État. Une réflexion nourrie par la lecture de Gramsci, l’observation attentive des conjonctures et un débat ininterrompu avec les organisations politiques et syndicales.

Mise au point

Aux premières lignes de L’Etat, le pouvoir, le socialisme, Poulantzas parle de « l’urgence, à l’origine de ce texte ». Le lecteur prévenu ne s’attardera donc pas sur l’écriture un peu précipitée ni sur la cadence parfois indigeste des points de vue discutés. On se réjouira plutôt de la justesse avec laquelle il évacue sans ambages l’inconséquence satisfaite et les spéculations métaphysiques de ses contemporains philosophes. C’est que pour Poulantzas il n’y a de philosophie valide qu’engagée dans le réel des pratiques politiques et sociales. Il écrit dans l’urgence, la même urgence qui animait Lénine dans L’État et la révolution, l’urgence d’ajuster la réflexion théorique aux coordonnées du débat politique.
Nous sommes en 1978 et pour lui, l’enjeu est limpide : l’incapacité des gouvernements européens – pour la plupart conservateurs – à sortir du cycle de récession économique, la remise en cause des compromis keynésiens, ainsi que l’expérience accumulée d’une décennie de luttes sociales mettent « à l’ordre du jour » la question de l’accession de la gauche au pouvoir. Et celle d’une transition démocratique au socialisme que Poulantzas appelle de ses vœux.

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