Quelques réflexions à propos d’un premier tour aux élections présidentielles en France en avril 2017

Gustave Massiah, membre du conseil scientifique d’ Attac France
27 avril 2017

Les résultats du premier tour achèvent provisoirement une campagne électorale étonnante marquée par des rebondissements inattendus. Il n’est pas inintéressant d’en tirer quelques leçons. En tenant compte du contexte sur la situation politique en France, la crise européenne accentuée par le Brexit, la situation internationale marquée par l’élection de Trump.

La colère et le « ras-le-bol » traduisent en fait un profond désir de renouvellement. Le rejet des partis habituellement dominants, le PS et les Républicains s’est traduit par un véritable jeu de quilles qui a fait tomber successivement : Hollande, Sarkozy, Juppé, Valls, Fillon.

Pour beaucoup, il s’agissait avec un bulletin de vote, abstention comprise, de répondre à trois questions : quel serait le moins mauvais président ou le moins mauvais programme ; comment faire barrage au Front national ; comment le mieux préparer la suite pour une recomposition de la gauche. Les voix de gauche se sont réparties en fonction de la priorité donnée à une des questions. Aucune de ces questions n’est hors de propos.

Ces questions restent posées pour le second tour, pour lequel restent en lice Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Beaucoup se détermineront d’abord contre l’un des deux candidats, voire contre les deux. Du point de vue de la présidence et des programmes, sans se valoir pour autant, les deux programmes sont détestables et contradictoires. Celui de Marine Le Pen se présente comme la défense des pauvres nationaux contre la mondialisation et l’oligarchie, particulièrement européenne. Il verse dans une version xénophobe et raciste du nationalisme. Celui d’Emmanuel Macron est une réaffirmation du néolibéralisme le plus débridé, une soumission au capital financier et la précarisation du travail. Il combine la modernisation économique avec un libéralisme politique qui ne se rallie pas (pas encore ?) aux dérives autoritaires.

La question du barrage au Front National n’est pas secondaire. Elle est renforcée par le large mouvement d’opinion international en faveur des mouvements identitaires, souvent d’extrême droite, dont on a vu l’actualité avec l’élection de Donald Trump, l’évolution des régimes notamment en Amérique Latine, en Inde, en Russie et ailleurs. Cette évolution démontre malheureusement que le pire n’est pas impossible. L’accord est facile sur « pas une voix pour Marine Le Pen » sans trop se soucier des voisinages dans cette déclaration. Le fait qu’en France l’extrême droite n’est pas réussi une percée annoncée n’est pas négligeable et pour la France et pour l’évolution politique internationale. Et le fait que Marine Le Pen ne soit pas arrivée en tête n’est pas négligeable.

Pas une voix pour le Pen et pas une voix pour Macron peut être séduisant. Préférons lui « battre Le Pen, combattre Macron ». Renvoyer dos à dos deux options que l’on refuse ne revient pas seulement à montrer le rejet du néolibéralisme dont on a pu mesurer les conséquences, y compris dans la montée des nationalismes xénophobes. Il suggère aussi que les deux situations, celle d’un néolibéralisme que nous avons connu et combattu est équivalent à celle d’un système reposant sur l’affirmation de la xénophobie et du racisme. Pour l’instant, la priorité est de ne pas diviser profondément ceux qui pour battre le Front National s’abstiendront et ceux qui voteront. Est-ce qu’il vaut mieux que le Front National n’ait pas un bon résultat ou que Macron n’en ait pas un trop bon ? De fait, aucun des deux ne pourra se prévaloir du résultat comme d’un appui à son programme. On peut aussi se réfugier derrière l’idée que l’abstention est sans risque en comptant sur ceux qui voteront pour éviter le pire. Il faut espérer qu’ils n’auront pas tort. Dans tous les cas, ce n’est pas une guerre de religion qui partage des évidences incontestables. Le droit de vote est essentiel contre la tendance aux dictatures et régimes autoritaires ; le choix du vote est un choix tactique individuel qui dépend des situations. Pour l’inscrire dans un choix collectif, la discussion porte sur la construction d’un projet alternatif.

Du point de vue de l’avenir, le plus important est le renforcement d’une gauche de gauche, d’une gauche radicale. C’était inattendu et c’est une très bonne nouvelle. Jean Luc Mélanchon a su porter son audience et en être le catalyseur en recueillant près de 20% des suffrages. Elle a atteint 28% des votes avec quatre candidats, manifestement assez de voix mais trop de candidats pour être au second tour. Cette gauche radicale est diverse, active, revendicative, inventive ; c’est ce qu‘elle a montré. Elle a avancé en mettant en avant plusieurs propositions intéressantes et nouvelles, en esquissant un projet alternatif qui comprend plusieurs variantes sur des points importants. Elle n’a pas vraiment démontré son envie et sa capacité à mettre en avant un projet de gouvernement correspondant à la situation actuelle et à ses contradictions. Cette question qui paraissait lointaine s’est imposée à l’ordre du jour. C’est l’enjeu de la période que lui ouvre son succès inachevé. A condition que les affrontements pour le deuxième tour et les législatives ne viennent pas compromettre les espoirs.

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