Le chavisme dissident dénonce la « Néodictature » et appelle à la résistance

1 AOÛT 2017 PAR SAINTUPERY : BLOG DE SAINTUPERY

Pour les voix critiques qui, au sein du chavisme et de la gauche vénézuélienne, dénoncent depuis des mois, voire des années, la dérive autoritaire mafieuse de Nicolas Maduro et du mouvement bolivarien, la farce électorale de l’« Assemblée constituante » est un point de non-retour. Elle est aussi un défi politique et moral majeur pour l’ensemble de la gauche radicale en France et dans le monde.

D’après le Conseil national électoral vénézuélien, 8 089 320 personnes auraient participé à le 30 juillet dernier à l’élection de la nouvelle Assemblée nationale constituante convoquée par Nicolás Maduro et contestée et boycottée non seulement par l’opposition, mais par nombre de figures historiques du chavisme, dont plusieurs anciens ministres d’Hugo Chávez. Ce qui veut dire qu’au beau milieu de la crise la plus terrible de l’histoire du Venezuela[1], alors que 3 vénézuéliens sur 4 souffrent de malnutrition, que le pays est en proie à une véritable insurrection populaire depuis plus de trois mois, et que toutes les enquêtes accordent à Maduro entre 15 % et 20 % de popularité, le gouvernement serait devenu en quelques semaines, comme par miracle, extraordinairement populaire, et que 2,4 millions d’électeurs additionnels seraient venus renforcer les 5 622 844 de voix chavistes des dernières élections législatives, qui avaient donné la victoire à l’opposition il y a dix-neuf mois[2]. Ce alors que, malgré l’interdiction fréquente faite à la presse et aux personnes privées de photographier les bureaux de votes, tous les témoignages indépendants concordent pour signaler la très faible participation au scrutin[3].

« La plus vaste fraude électorale de notre histoire contemporaine »

Mais avant même le déroulement de cette farce électorale, ce sont les bases de la convocation de cette Assemblée constituante monocolore et ultra-minoritaire qui sont totalement viciées. Comme l’explique fort bien le sociologue Edgardo Lander, figure bien connue des milieux altermondialistes et du mouvement social vénézuélien et principal organisateur du Forum social de Caracas en 2006, « nous nous trouvons dans une situation où l’on impose un mécanisme d’Assemblée constituante qui non seulement est anticonstitutionnel, mais qui repose sur la construction d’un corps électoral élaborée de manière très calculée pour garantir qu’indépendamment de l’opinion de la majorité de la population vénézuélienne, le madurisme puisse imposer sa ‘‘majorité’’. […] Cela se fait d’abord par le biais de la surreprésentation des communes les moins peuplées, à savoir qu’une commune de quatre mille habitants peut avoir la même représentation qu’une de huit cents mille habitants. Il ne s’agit pas d’un biais contingent, mais d’un mécanisme totalement calculé. Ensuite, il y a une part de représentation corporative [NdT : par secteur professionnel] faite sur la base de listes dont on ne sait absolument pas d’où elles sortent. Il n’est absolument pas clair qui intègre chaque liste respective et cela introduit une distinction entre citoyens de première catégorie et citoyens de deuxième catégorie, parce que certains citoyens disposent à la fois d’un vote territorial et d’un vote par secteur, tandis que d’autres n’ont qu’un vote territorial, ce qui viole totalement l’idée qu’une personne égale une voix. […] Tout cela s’est fait sous la table, comme dans un jeu de cartes truqué. Il s’agit d’un mécanisme électoral et d’un projet de Constituante fabriqués dans des conditions où le gouvernement part de l’hypothèse qu’il lui est impossible de gagner des élections. C’est le cas du référendum révocatoire [NdT : réclamé par l’opposition], qui n’a pas eu lieu alors que tous les délais et toutes les exigences requises ont été respectés. Pareillement, le gouvernement a refusé d’organiser l’élections des gouverneurs parce qu’il savait qu’il allait les perdre ; même choses pour les élections municipales [NdT : et même pour les élections syndicales, reportées depuis plus d’un an] et dans ces conditions, il n’y a aucune garantie que des élections présidentielles aient lieu l’année prochaine. Par conséquent, un gouvernement qui reconnaît qu’il est incapable de gagner des élections au suffrage universel, direct et secret, invente un mécanisme spécialement conçu pour, malgré son absence de majorité, engendrer un système politique qu’il puisse contrôler. C’est bien entendu une violation de toute notion de souveraineté et de démocratie populaire, qui s’impose contre la volonté de la majorité de la population4. »
Face à ce qu’il dénonce comme « la plus vaste fraude électorale de notre histoire contemporaine », une des voix les plus respectées du chavisme critique, Nicmer Evans, ex porte-parole de l’organisation Marea socialista, appelle à la résistance : « L’‘‘inconstituante’’ a été élue et va s’installer […]. Elle délimite le début d’un gouvernement totalitaire supraconstitutionnel qui possède désormais la faculté ‘‘formelle’’ pour exécuter ses menaces ; il va s’en prendre d’abord à l’Assemblée nationale, ensuite à la Procureure de la République, et tôt ou tard à toute forme de dissidence, quelle que soit sa couleur ou son étiquette […]. Il est non seulement nécessaire mais indispensable de forger un front antitotalitaire […] qui permette d’amorcer des définitions tactiques face à l’instauration de cette ‘‘néodictature du XXIe siècle’’. […] À chacun de prendre ses responsabilités : chavistes critiques, chavisme démocratique, gauche démocratique, dirigeants critiques de l’opposition traditionnelle, secteurs démocratiques de la MUD5, et aussi tous ceux qui ne se reconnaissent dans aucun épithète, sigle ou sobriquet, nous devons tous comprendre que, seuls ou divisés, nous ne pourrons rien faire faire contre le totalitarisme […]6. »

Une autre personnalité chaviste importante, l’ex Défenseuse du Peuple (équivalent du Défenseur des Droits français) Gabriela Ramírez, écrit sur son compte tweeter que le 30 juillet est « un jour de tristesse pour la démocratie » et « un coup de poignard contre ceux qui avaient pour mission de la protéger » : « Tandis que d’aucuns comptent des votes imaginaires et même les célèbrent, le Venezuela compte ses morts et les pleure7. »

Le 30 juillet est effectivement un jour de tristesse pour le peuple vénézuélien. Il est aussi un jour de honte pour la gauche régionale et mondiale. Peut-être pire encore que les défenseurs inconditionnels de la kleptocratie mafieuse et assassine de Maduro, dont le nom restera à jamais inscrit dans l’histoire mondiale de l’ignominie idéologique8, il y a tous ceux qui, courageusement, préfèrent se taire sur la question, ou bien noyer le poisson à coups d’arguments spécieux et de maquillage grossier des faits, ou encore euphémiser la gravité de la crise et la nature criminelle du régime bolivarien. Visant soi-disant à ne pas désespérer les troupes progressistes ou à ne pas « faire le jeu de la droite », ces positions sont d’une irresponsabilité absolue. Ce sont en réalité les tenants de cette politique de l’autruche idéologique qui font le jeu de la droite internationale et de Macron en France, parce que la droite et Macron vont tout faire pour attaquer et discréditer la gauche radicale sur la question vénézuélienne, avec chaque jour hélas un peu plus d’excellents arguments pour le faire.

En termes absolus, la débâcle vénézuélienne n’est pas nécessairement la crise la plus grave de la région9, mais elle est sans conteste la catastrophe idéologique la plus terrible du début du XXIe siècle pour la gauche régionale et mondiale. À cent ans d’octobre 1917, une bande de voyous sans foi ni loi se prétendant « socialistes » et n’ayant pour horizon que la survie de leur pouvoir et de leurs immondes trafics (qui se chiffrent en centaines de milliards de dollars « évaporés ») est en train d’installer une dictature de la matraque et de la faim sur un peuple de 31,5 millions d’habitants, et une bonne partie de la gauche radicale applaudit, tergiverse ou se tait. Cela ne lui sera pas facilement pardonné.

« Ambition dictatoriale » et corruption sans frein


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