LA CRISE CORÉENNE ET LA GÉOPOLITIQUE EN ASIE DU NORD-EST : DU PASSÉ AU PRÉSENT

Mardi 6 juin 2017, par Pierre Rousset ( fondateur d’Europe Solidaire Sans Frontières )

De chronique, la crise coréenne est devenue aiguë depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. Sur fond d’instabilité générale, elle se joue à trois niveaux : les rapports de forces mondiaux entre puissances ; les vives tensions à l’œuvre dans l’ensemble de l’Asie orientale ; la rupture ou le maintien du statu quo entre les deux Corée.

A cela, rajoutons encore la situation aux USA où Trump est tenté de compenser ses échecs en matière de politique intérieure en créant un climat de mobilisation nationale contre une menace extérieure – qu’elle soit Russe, Chinoise ou Nord-Coréenne. Les enjeux de la crise coréenne sont si nombreux que les incertitudes sont grandes et les dangers de « dérapages non contrôlés » réels.

Les péninsules occupent souvent une position géostratégique disputée ; c’est bien le cas ici. Elle partage aujourd’hui une frontière terrestre ou maritime avec la Chine, la Russie et le Japon. Les Etats-Unis assurent une présence militaire permanente (importantes bases, VIIe Flotte). C’est l’un des rares points du monde où quatre puissances sont ainsi face-à-face. Une situation qui dure en fait depuis un siècle et demi.

La redistribution initiale des cartes
La situation géopolitique en Asie du Nord-Est s’est profondément modifiée entre le milieu du XIXe siècle et le début du XXe. Une part importante de l’histoire mondiale moderne s’est jouée à l’occasion de ces bouleversements. Le conflit russo-japonais de 1904-1905 a influé sur les alliances européennes de la Première Guerre mondiale. Elle a aussi mis en lumière la rivalité grandissante entre les impérialismes nippons et étatsuniens – creuset Pacifique de la Seconde Guerre mondiale.

Au début de cette période, la compétition est déjà vive entre puissances occidentales pour le contrôle du commerce avec la Corée, la Mandchourie, la Chine, les archipels du Pacifique….

L’archipel nippon est alors « hors compétition », devenu un shogunat reclus, replié sur lui-même, totalement fermé aux étrangers. La politique de la canonnière poursuivie par Washington provoque involontairement un retournement radical de situation aux conséquences majeures : la naissance de l’impérialisme japonais.

Parmi les puissances occidentales, les Etats-Unis jouent très tôt joué un rôle prépondérant vis-à-vis du Japon. Ils forcent par étapes l’ouverture du pays, afin que leurs navires puissent y faire escale et leurs missions commerciales ou diplomatiques puissent s’établir dans quelques zones portuaires. Ils envoient à cette fin en 1853 et 1954 une flotte militaire conduite par le commodore Perry. En 1858, le traité Harris « d’amitié et de commerce » étend leurs droits.

Au Japon, en 1868, la menace US précipite ce que l’on appelle l’avènement du Meiji (un nouveau règne impérial) : unification politique du pays incarné par une capitale unique (Tokyo), processus de modernisation capitaliste, révolution sociale (bourgeoisie), industrialisation. Le pays est indépendant et le champ reste encore suffisamment libre pour la montée en force de l’impérialisme nippon face à des Etats occidentaux opérant très loin des métropoles.

Le nouveau Japon impérialiste joue un rôle moteur en initiant l’ère des conquêtes territoriale dans le Pacifique Nord. La Corée est alors un royaume placé sous la suzeraineté de la Chine. La Première Guerre sino-japonaise (1894-1895) permet à Tokyo d’assurer son influence sur la péninsule (elle devient en 1910 une colonie directe). Il obtient aussi , par le traité de Shimonoseki signé avec la dynastie chinoise Qing, l’île de Formose (Taïwan), l’archipel des Pescadores et la presqu’île du Liaodong – un accord remis en cause sur ce dernier point par une intervention concertée de l’Allemagne, de la France et de la Russie.

La victoire de Tokyo, en 1905, dans la guerre russo-japonaise, lui permet de faire reconnaître sur le plan international son contrôle sur la Corée, ainsi que l’extension de sa zone d’influence à la Mandchourie et à l’île de Sakhaline. Cependant, les Etats-Unis interviennent à nouveau dans la négociation du traité de Porsthmouth (USA) afin de contrer les ambitions nippones. La défaite russe a par ailleurs des répercussions importantes pour les Européens : l’expansion de la Russie étant brisée en Orient et sa capacité militaire devant être reconstituée, elle ne représente plus un danger immédiat – en revanche, les ambitions allemandes (pour Asie, à partir de la Chine) face à l’influence britannique prédominent, ce qui contribue à la formation de la Triple Alliance entre le Royaume uni, la France et la Russie (désireuse de reprendre à l’ouest l’initiative perdue à l’est).

Les événements extrême-orientaux influent donc sur le cours de l’histoire occidentale. Il faut dire que le conflit russo-japonais n’a pas été « mineur ». Les cuirassés nippons ont détruit la principale flotte russe, basée en Baltique, envoyée en renfort. La bataille de Moukden oppose près de 500.000 soldats les uns aux autres – elle est alors considérée comme la plus grande bataille de l’histoire. Le siège de Port-Arthur introduit de nouvelles modalités de combats, qui feront école, avec sa guerre de tranchée et ses assauts d’infanterie.

Du fait des concessions imposées par les Etats-Unis, la conclusion diplomatique de la guerre russo-japonaise ouvre une crise au Japon ; mais en Asie, ce conflit représente un véritable coup de théâtre : pour la première fois, un Etat d’Orient l’a emporté contre une puissance européenne ! Le Japon devient un pôle de référence où se rendent étudiant.e.s et militant.e.s. Toute la palette des nationalismes et des radicalismes se côtoie là, y compris marxistes et anarchistes (les courants anarchistes sont alors vivaces en Asie).

La Première Guerre mondiale se mène aussi en Asie, même si elle essentiellement centrée sur l’Europe (et implique le Proche-Orient). Confronté en Chine à l’Allemagne et financièrement débiteur des Britanniques, le Japon soutient la Triple Alliance et profite du conflit pour devenir une puissance industrielle et internationale.

Ce grand conflit pour le partage du monde a affaibli et déconsidéré les impérialismes traditionnels, européens. A sa suite, le Japon est à même de reprendre l’initiative en Asie. Au-delà de la Corée, il prend le contrôle direct de la Mandchourie en 1931 – puis part en 1937 à la conquête militaire de la Chine. La marche à la Seconde Guerre mondiale s’avère alors bien engagée ; cependant, un nouvel acteur est entré en lice : le mouvement communiste asiatique, porté par l’impact de la révolution russe (1917).

Il n’y a pas deux, mais trois acteurs majeurs sur l’immense théâtre d’opérations asiatique : le Japon impérial, les Etats-Unis et le mouvement révolutionnaire.

Le mouvement communiste coréen


LIRE LA SUITE

>