"C’est à notre tour de nous bouger le cul" : les étudiants parisiens installent des migrants dans la fac de Paris 8

31/01/18 10h51
PAR Pierre Bafoil

Après Nantes et Lyon, un regroupement autogéré de collectifs parisiens occupe un bâtiment entier de l’université Paris 8, à Saint-Denis depuis mardi 30 janvier. Ils y ont logé de force une trentaine de migrants qui y ont passé la nuit sans être évacués. Récit de cette première journée d’occupation.

Les quantités de nourriture collectée, de matelas, de couvertures ou de vêtements le prouvent : l’opération est minutieusement préparée depuis plus d’un mois. "On investit un bâtiment de Paris 8 pour loger des exilés qui dorment dans la rue, résume un étudiant de l’université en réajustant son écharpe. Aujourd’hui, c’est à notre tour de nous bouger le cul."
En écho aux initiatives d’occupations étudiantes et citoyennes lyonnaises ou nantaises, mardi 30 janvier, un regroupement de collectifs parisiens, essentiellement composés d’étudiants, a investi le bâtiment A de l’université Paris 8 pour y installer des migrants "dublinés". Objectifs : leur permettre de dormir sous un toit, protester contre la politique migratoire et, à terme, négocier une régularisation générale.
"Le mouvement commence enfin"
Ceux qui se font appeler "le comité de soutien aux occupant.e.s du bâtiment A" ont d’abord pensé à d’autres lieux de la capitale, plus centraux, peut-être plus symboliques. Trop compliqué, pas assez sûr. Ça sera finalement Paris 8, à Saint-Denis, choisie pour sa taille et ses nombreuses sorties mais aussi pour la sensibilité de gauche de ses étudiants et de ses professeurs.

Mardi, aux alentours de midi, environ soixante étudiants de plusieurs universités escortent discrètement une dizaine de migrants dans des salles d’un bâtiment reculé de la faculté de Saint- Denis. A midi et demi, trois salles sont occupées au deuxième étage. Les entrées sont sécurisées, les lieux nettoyés et le ravitaillement mis en place. "Le mouvement commence enfin",se réjouit un jeune d’une vingtaine d’année, les bras chargés de cageots de mangues.
Evacuation aux aurores
Jusqu’au dernier moment, l’incertitude régnait. Plus tôt le matin, tout a failli être annulé. Les rares personnes au courant sont alertées par sms : "On avorte, grosse évac." L’opération, fixée pour 10h30, chancelle. Les migrants prévenus, ceux qui dorment chaque nuit dans des tentes aux portes de la Chapelle et de la Villette ont été évacués aux aurores. La quarantaine de personnes qui devaient être conduites à l’université a disparu, emmenées dans les bus des CRS.
Une petite psychose s’installe. "Ils n’ont évacué que la partie du canal où logeait ceux qui devaient nous accompagner", peste un militant qui s’interroge sur une fuite éventuelle.
"On ne peut plus reculer"
Mais alors que tout le monde baisse les bras, une dizaine de personnes arrivent au point de rendez- vous. En majorité soudanais, érythréens, éthiopiens et guinéens. Eux sont dans la boucle depuis le début. "Ça fait un mois qu’on leur promet un toit, on ne peut plus reculer." L’opération est réactivée, une nouvelle salve de sms est envoyée depuis des téléphones spécialement achetés pour l’occasion. Pendant ce temps à Saint-Denis, des étudiants de la fac se postent par petits groupes pour baliser le passage. Ils indiquent la route à suivre pour accéder au bâtiment A dans les dédales de Paris 8. Un
signe de tête, un sourire montre le chemin à ceux qui savent, venus de toutes les universités parisiennes.
Cuisine, communication et dortoir
En moins de deux heures, des banderoles sont fixées aux fenêtres "Bâtiment à occuper", "Les exilé.e.s occupent le bâtiment A, rejoignez nous". Les trois salles de classe à l’étage sont réparties en plusieurs pôles.
La première pièce est une cuisine de fortune où sont acheminées des centaines de sandwichs préparés par des "teams" d’étudiants, des dizaines de caisses de vivres, de légumes, de boissons. Pendant quelques heures, la nourriture est introduite avec une facilité déconcertante dans la fac. Seuls quelques vigiles semblent être au courant de ce qui se passe, sans en prendre réellement la mesure.
"On est là pour eux"
Une salle est investie par le "pôle com", sorte de cellule de crise où les étudiants pianotent sur leurs ordinateurs pour ameuter les réseaux sociaux, écrire les communiqués, prévenir les journalistes, imprimer les tracts. Une équipe prévient la présidence de la faculté. Une autre est chargée d’aller prévenir un maximum d’étudiants de ce qu’il se trame dans le bâtiment A.
Des règles sont fixées pour s’adresser aux médias. "Pas moins de trois personnes, toujours un exilé présent." Un étudiant explique. "On est pas là pour nous, on est là pour eux. Tout est fait en accord avec les exilés. C’est d’abord pour les loger qu’on est ici, pour qu’ils aient un toit."